Après la gauche, le socialisme. Bilan subjectif du dernier demi-siècle

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog de Denis Collin

Il est souvent difficile de mesurer ce que le dernier demi-siècle a changé, en profondeur, dans la perception que nous pouvons avoir de ce qui compte et de ce qui compte moins en politique. Nous avons tendance à vivre avec les catégories du passé et avec les jugements du passé que nous projetons sur le présent. Dans Après la gauche, j’ai tenté de comprendre pourquoi la distinction droite-gauche qui avait eu sa pertinence s’est effondrée et pourquoi nous sommes maintenant devant un champ de ruines, à rechercher les morts sous les décombres. Tout cela aboutit au constat d’un abîme qui s’est creusé avec une bonne partie des « gens de gauche » et à mieux comprendre pourquoi une bonne partie du peuple est restée de « droite » bien qu’objectivement (du moins le pensions-nous) son intérêt était de soutenir « la gauche ».

Les raisons pour lesquelles on pouvait être « à gauche » voici cinquante ans sont très variées. (1) On pouvait être à gauche par détestation du capitalisme en tant que système d’exploitation de l’homme par l’homme. C’est tout simplement la revendication morale qui se trouvait finalement en première ligne : se placer du point de vue du plus défavorisés, être solidaire des luttes de ceux qui n’ont rien contre ceux qui se gavent du travail des autres. Cette motivation pouvait et peut toujours recouper un certain christianisme radical : le Christ n’enseigne-t-il pas qu’il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un riche d’entrer au paradis. Ernst Bloch a bien montré cette continuité des mouvements révolutionnaires et de l’espérance dont ils étaient porteurs. Je fais partie de ceux pour qui les mots « prolétaire », « ouvrier », « révolution sociale », « commune de Paris » ont du sens, un sens qui résonne au plus profond et appelle l’engagement moral autant que politique.

On pouvait et on peut encore (2) être à gauche par républicanisme. Valmy, contre les aristocrates, la protestation des manants et de tous ceux qui travaillent contre les parasites, mais aussi la république laïque. Voilà un engagement un peu différent mais qui peut compléter le premier ou y conduire. C’est la vieille revendication de la république sociale. Athées et libres-penseurs qui soutiennent qu’il n’existe qu’une seule morale humaine qui n’est en vérité que la morale chrétienne mais sans récompense ni châtiment divin. Renouvier, cet instituteur des républicains avait déjà bien œuvré dans cette direction.

Mais il y a un demi-siècle on pouvait (3) être à gauche par pure révolte « anti-bourgeoise » : contre la morale sexuelle de la bourgeoisie, contre l’art traditionnel, contre tous les préjugés en faveur du travail, il fallait « jouir sans entraves et vivre sans temps morts ». La « critique artiste » et la « critique sociale » (voir Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999) pouvaient sembler aller de conserve mais les motivations étaient par trop différentes. Une partie des groupes « soixante-huitards » exprimaient parfaitement cette révolte anti-bourgeoise : ils ne détestaient pas tant le capitalisme que la famille et l’école, ils n’étaient pas tant internationalistes qu’ennemis de la patrie. Ils étaient bien plus des libertaires hédonistes (voir les analyses de Michel Clouscard) que des révolutionnaires anticapitalistes. Leur ralliement sporadique à la « cause ouvrière » ne fut jamais que le résultat d’un malentendu vite dissipé quand ils durent constater que les ouvriers ne faisaient pas grand cas de leurs élucubrations.

Enfin, (4) contre le capitalisme tel qu’il était encore à cette époque, un capitaliste mixte, pris entre la vieille classe bourgeoise et la technocratie, les nouvelles classes moyennes intellectuelles commençaient à faire valoir leurs revendications. Le capitalisme était « irrationnel » et eux, les nouveaux instruits, possédaient la rationalité qui manquaient à cette société. Ils se retrouvaient en masse au PSU et furent les artisans de la « déconfessionnalisation » de la CFTC devenue CFDT. Ils formaient les bastions de la « deuxième gauche » que très justement Garnier et Janover (1986) avaient rebaptisée La deuxième droite.

Évidemment, tout cela était loin d’être aussi clair et on en saurait ranger les gens de gauche dans ces quatre cases. Mais le PCF, Lutte Ouvrière et l’OCI avaient souvent correctement épinglé ce gauchisme petit-bourgeois – que l’on ne devrait pas confondre à le gauchisme traditionnel, celui que pourfendait Lénine qui lui reprochait de vouloir sauter tout de suite à la révolution prolétarienne et aux conseils ouvriers, sans passer les médiations nécessaires. Le PCF, LO et l’OCI étaient classés comme d’horribles puritains, véhiculant la « morale bourgeoise » parce qu’ils refusaient la mise en avant des revendications « sociétales ». Mais pratiquement, on se réclamait souvent aussi bien du marxisme que de ces nouvelles revendications de la petite bourgeoisie intellectuelle. La Ligue Communiste, devenue Ligue Communiste Révolutionnaire tentait de réaliser une improbable synthèse, hésitant entre le vieux moralisme et la transformation des camps d’été consacrés à la formation des militants en lieux de partouzes. De son côté, le PCF allait progressivement donner toute leur place aux ingénieurs, cadres et techniciens, puis aux intellectuels postmodernes qui étaient en train de conquérir le monde universitaire, perdant progressivement ce qui avait fait so originalité, sa base authentiquement ouvrière. La « fin de la classe ouvrière » était en vue.

Le dernier demi-siècle a vu s’affirmer une nouvelle variété de gauche, issue du gauchisme soixante-huitard et de la technocratie CFDTiste, un gauche moderne, résolument moderne, ouverte à tous les bouleversements techniques et en recherche d’un nouveau sujet de l’histoire. Il est inutile d’en faire la généalogie (d’autres auteurs s’y sont risqués). Disons d’un mot que le reflux du mouvement ouvrier concomitant à la désindustrialisation de la France a permis à la composante libérale-libertaire du mouvement de 1968 d’écraser sa composante prolétarienne. Plus de classe ouvrière, mais un nouveau « peuple » urbain. Plus de front unique, mais l’intersectionnalité des luttes. Plus de socialisme, mais un capitalisme « cool », virtuel, communicant, qui permet la liberté totale de l’individu porté par son désir. La philosophie de ces nouveaux mouvements a été faite voilà près de 50 ans par Deleuze et Guattari dans L’Anti-Œdipe et dans Mille plateaux. Plus récemment, le « nouveau populisme » postmarxiste d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe a proposé une convergence de tous des mouvements d’opposition « identitaire ». Mélenchon a donné de tout cela une version plus présentable dans son « ouvrage théorique » L’ère du peuple qui doit être lu comme un adieu à la classe ouvrière et au marxisme, faisant de la multiplicité des luttes du « nouveau peuple urbain » l’axe d’un renouveau politique en faveur de ce qu’on doit maintenant appeler « l’intérêt général » (comme si l’intérêt général pouvait n’être pas une mystification dans une société divisée en casses antagoniques). Le même ouvrage annonce qu’il faut en finir avec le passé, que le passé ne peut jamais nourrir l’avenir, que nous sommes les héritiers du futur et même que nous allons vaincre la mort. La chose étonnante est d’ailleurs que personne n’a relevé ces francs délires ni cherché à en analyser le sens.

Qu’on me pardonne de m’exprimer directement, à la première personne, mais je n’ai pas la prétention de pouvoir généraliser à l’étape actuelle de la réflexion. Toujours est-il que bien que je pense rester de la continuité des versions (1) et (2) de la gauche, il se trouve que mes divergences avec le reste – aujourd’hui dominant – de la gauche, celle des versions (3) et (4), sont suffisamment claires qu’il ne soit pas nécessaire de développer. Pour la « deuxième gauche », les choses sont évidentes, car, après tout, l’élection d’Emmanuel Macron est son triomphe total. Un certain libéralisme sociétal, un antiracisme de bon aloi, un européisme enragé, une aversion marquée pour l’intervention de l’État dans l’économie, avec une cuiller de bons sentiments envers les pauvres tirés de la doctrine sociale de l’Église, voilà l’idéologie de la « upper middle class » qui constitue le noyau dur de ce « bloc élitaire » très bien analysé par Jérôme Sainte-Marie. Quant à la synthèse de gauche techno et de gauchisme débridé réalisée par les Verts, là aussi la distance est telle qu’on n’a pas à y revenir. Il est clair, notamment depuis qu’ils gèrent ou cogèrent quelques grandes villes, que les Verts (EELV) ne sont pas préoccupés par l’environnement ou la défense de la nature mais par la création d’une nouvelle société entièrement vouée aux délires néo-féministes, au revendications séparatistes des islamistes, sans le moindre souci du « petit peuple », ces « salauds de pauvres » et ces « beaufs » qui sont les cibles préférées de ces belles gens.

Ce qui est plus difficile à saisir et à faire comprendre, c’est la profondeur du fossé qui s’est creusé entre des gens qui, ayant souvent un passé commun, avaient ou croyaient avoir des convictions communes sur l’avenir de notre société et qui se trouvent maintenant à des années-lumière sans même avoir pris conscience des processus qui conduisent à ce grand écart. La gauche « marxiste », « lutte des classes », se soutenait d’une croyance au progrès illimité des « forces productives », aux miracles de la technique dont le progrès était prétendument entravé par les rapports de propriété capitalistes, et au rêve d’un communisme utopique où la rareté aurait disparu et où l’État s’éteindrait. Mais la critique marxienne de l’exploitation, de l’aliénation et du fétichisme de la marchandise, c’est-à-dire ce qui est développé dans son œuvre majeure, Le capital, n’est pas nécessairement liée avec la dimension utopique qui est typique des croyances scientistes du XIXe et du XXe siècle. Dans ce bloc construit après la mort de Marx et qu’on appelle « marxisme », il y a de nombreux éléments hétérogènes. Je crois et même je suis certain que Le Capital reste un ouvrage essentiel – ce que j’ai développé dans plusieurs livres – mais je crois que l’on peut abandonner à son triste sort la rhétorique utopiste, techniciste, scientiste qui n’a que trop parasité la pensée de ce grand maître, et même quand on peut se prévaloir de citations de Marx, dont la pensée ne forme pas un tout achevé. Marx, en tout cas, n’a jamais œuvré pour qu’advienne un « homme nouveau », produit du développement de la science et de la technique, mais seulement la réalisation de l’essence humaine. C’est le stalinisme qui a inventé l’homme nouveau, repris par Guevara et nombre de ses suiveurs. La libération, pour Marx, était celle du travail créateur, et non celle de la technique, la libération de la culture, de l’art et de la pensée et nullement la transformation de l’homme en objet du mécano technicien.

 Nous avons appris, mais nous aurions pu le savoir plus tôt, que les ressources de la planète ne sont pas illimitées. Mais Marx lui-même, en dépit de certaines manifestations d’enthousiasme pour le progrès technique savait que la Terre est la première source de richesse et que nous devions la gérer avec économie – c’était une des raisons de l’introduction d’une planification de la production par les producteurs associés. Le socialisme s’impose, non pour promettre le paradis sur terre, mais pour planifier la consommation des ressources rares, pour construire une société plus égalitaire et plus conviviale, seule à même de nous faire sortir du « toujours plus » et de permettre l’éducation au sens de la mesure dont l’humanité aura le plus grand besoin pour affronter les défis qui nous sont devant nous.

Si, jeunes, nous avons eu raison de rejeter la morale puritaine qui dominait encore largement au XXe siècle – mais pas tant qu’on l’a dit et pas partout – l’abolition de la séparation entre la vie intime et la vie commune à laquelle nous assistons est une véritable catastrophe. Nous n’avons rien inventé en matière de sexualité, sinon la place qu’on lui donne dans la vie publique et médiatique. Les « sextoys » semblent remonter à la préhistoire, mais le NPA s’est cru un jour obligé de consacrer un stage militant à cette question… Combien c’est révélateur ! La glorification politique de ce qui se positionne hors de la norme (les « pride » en tous genres) impose une nouvelle norme qui vise l’intime – la pénétration est devenue une question politique. La « révolution sexuelle » des années 60 fut la première phase non pas d’une libération mais plutôt de nouveaux enfermements dont sont porteurs les nouveaux féminismes, les mouvements « trans », etc. Comme Marcuse l’avait analysé, la désublimation répressive conforme aux objectifs du capitalisme techniciste moderne s’est imposée. Freud, que vouent aux gémonies ultragauchistes, onfrayistes et libéraux cognitivistes, voulait desserrer l’étau de la répression pulsionnelle mais savait la nécessité de la formation du Surmoi, patrimoine de la civilisation, dont il montre l’importance dans Malaise dans la civilisation. Lacan le faisait remarquer à des soixante-huitards déchaînés : vous désirez un maître ! Aucune société ne peut avoir pour principe la satisfaction des désirs d’individus déliés de toute contrainte sociale, pas plus le désir d’individus du même sexe de devenir parents que le désir d’avoir des enfants en se dispensant de la maternité ou que le fantasme de changer de sexe à volonté. Mélenchon, comme tout le monde à gauche, est pour le changement d’état-civil gratuit et à volonté. Il indique clairement par là qu’il s’inscrit dans cette mouvance ultra-libérale qui n’accepte pas « l’état civil ». Couvrir cela en roucoulant les mots « république » et « patrie » ne change rien à l’affaire. On est pleinement dans l’hédonisme libéral-libertaire qui est une des composantes de l’idéologie bourgeoise dominante. Le refus de se soumettre à « l’état civil » est un refus politique de la prééminence du collectif sur un individu qui prétend se faire tout seul. Mélenchon, sans le savoir, glorifie le self made man. Et sur ce plan il se tient exactement sur la même position que les groupuscules qui ont envahi LFI et y imposent leur loi.

Le bouleversement radical, anthropologique, produit par les revendications autour de la PMA, de la GPA et du transgenre a entraîné toute une partie de la gauche, suivant en France ce qui est déjà arrivé aux États-Unis, dans une mixture étrange de véganisme, de technologies de pointe et de transhumanisme (j’ai montré, dans ma contribution au livre collectif La transmutation posthumaniste, en quoi la mode « trans » était la brique de base du projet transhumaniste-posthumaniste). Le mouvement La France Insoumise a joué un temps sur les deux tableaux : côté pile, la vieille gauche « sociale », laïque, républicaine et côté face la nouvelle gauche, moderne, trans, végan, genre « peuple urbain », nom donné à la thèse de l’intersectionnalité des luttes en langage mélenchonisé. Le côté pile a donné à Mélenchon son succès présidentiel, le côté face les échecs électoraux qui ont suivi et la décomposition de LFI dont toute une partie se comporte exactement comme une secte à la dévotion de son chef génial. Ce processus est irréversible. Dans un interview au journal « le 1 », Mélenchon parlait de l’influence qu’avait eue sur lui « l’historien marxiste Denis Collin ». Bien que n’étant pas historien, j’avais supposé qu’il parlait de moi, mais comme il en parlait au passé, il fallait clairement comprendre qu’il n’était plus influencé par les « marxistes » de mon genre. L’évolution de quelqu’un comme Mélenchon est significative et emprunte d’autres chemins, des chemins particuliers, préservant son image de tribun contestataire. Mais au fond, c’est pour parvenir au presque au même point que nombre d’autres responsables des groupes trotskistes des années 1968 : Cambadélis, Dray (qui fut un temps l’associé de Mélenchon dans le PS), Stora et combien d’autres venant de l’OCI, pour ne rien dire de Weber, Goupil et tutti quanti venant de la LCR auxquels il faut rajouter la longue cohorte des anciens maos devenus les gardes rouges de l’ordre capitaliste. Ils sont tous restés, à leur façon, des « révolutionnaires », mais des révolutionnaires de ce régime de la révolution permanente qu’est le mode de production capitaliste. Mélenchon qui est, comme eux, un « bougiste » effréné, est dans la même problématique, centrée sur les intérêts, les manières de vivre et de penser des classes moyennes intellectuelles habitant les centre-ville, des classes qui trouvent toutes leur intérêt dans le mouvement permanent de la société capitaliste avancé, de ce « capitalisme absolu » qui n’a plus à s’encombrer des fantômes du passé. Significativement, Mélenchon n’a rien à dire à l’évolution de l’école – évolution dont, comme ministre, il a été un des acteurs – reprochant seulement à Blanquer de mettre en œuvre la sélection dans un système scolaire selon lui assez satisfaisant. Que l’école détruise le passé, après tout, c’est son programme.

Je suis certainement plus conservateur que je ne l’étais il y a un demi-siècle mais je reste radicalement opposé au règne du capital, et c’est parce que je crois qui faut protéger le monde contre la destruction à laquelle le conduit la marche folle de l’automate nommé capital que je suis opposé à toute conciliation avec ce système politique et social où mes « anciens » amis voient toujours le mouvement qu’il faut accompagner. On ne peut être opposé au libéralisme et au tout marché et encourager la « politique du désir » qui est l’essence même de l’esprit du capitalisme. Entre la PMA pour toutes et la destruction du régime des retraites il existe une cohérence assumée par Macron et ses maîtres à penser que sont les Attali (ancien bras de droit de Mitterrand) et Minc et le groupe des capitalistes des médias dont une partie était également mitterrandienne. Sur les questions décisives qui engagent l’avenir de l’humanité, il est étrange que Mélenchon finisse par pencher du côté de Macron avec qui il partage par ailleurs la haine des vieux partis, les goût pour le « parti du leader » et la manie de prétendre brouiller toutes les frontières.

On pourrait imaginer que critique sociale et critique sociétale ne s’opposent pas mais se complètent, selon la vision « intersectionnelle » que Mélenchon partage avec Lordon et Mouffe. Mais pratiquement il n’en est rien, bien au contraire. La critique sociale mobilise, face à la minorité capitaliste, les travailleurs attachés à conserver ce qu’ils ont acquis et pour qui la lutte est toujours défensive, conservatrice. Ils veulent simplement vivre décemment. La critique sociétale, au contraire, vise tous les individus qui ne sont ni « gays », ni lesbiennes, ni trans, tous les hétéros binaires, c’est-à-dire 90% de la population (au moins). Elle est radicalement opposée à la « décence commune », puisque l’indécence est sa norme, et elle obtient le consentement des hétéros binaires honteux de l’être encore, des blancs honteux de s’être découverts blancs et de tous les faibles d’esprits prompts à s’incliner devant la mode du moment – et qui s’inclineront demain avec la même promptitude devant une mode contraire. Ainsi la fameuse « intersectionnalité des luttes » est-elle une chimère qui vise à maquiller la reddition sans condition à l’ordre capitaliste. Ceux qui se rappellent les mobilisations contre la « loi travail » de Macron-Hollande et des palinodies de « Nuit debout » avaient déjà pu mesurer en quoi l’intersectionnalité est un fourre-tout pour bavards dont la fonction est de camoufler le ralliement du reste de « gauche » à l’ordre néolibéral.

Il y a un autre aspect de ce qu’est aujourd’hui la gauche qui la rend insupportable et qui fait qu’on ne peut plus la supporter sans se renier, c’est la gauche pleurnicharde qui veut nous rendre tous coupables des crimes de l’impérialisme d’hier et nous invite à mettre genou à terre aujourd’hui. Personnellement, je n’ai jamais soutenu quelque impérialisme que ce soit depuis les premiers jours de ma vie politique un peu consciente – ce qui remonte à très loin. Je suis venu à la politique par la lecture d’auteurs hostiles à l’impérialisme comme Sartre, par le fréquentation de militants qui avaient lutté contre la guerre d’Algérie (j’ai même assez bien connu quelques anciens « porteurs de valises »). J’ai manifesté contre l’arrivée des troupes russes à Prague en 1968 et contre le coup d’état militaire en Pologne du général Jaruzelski, contre les dictatures pro-américaines en Amérique latine et contre la guerre au Vietnam. De quoi devrais-je m’excuser ? De quoi faudrait-il que je demande pardon ? Mes « bons amis » de la gauche de la gauche ont soutenu des gouvernements qui défendaient l’OTAN en 1982, qui soutenaient Mrs Thatcher pendant la guerre des Maldives, qui ont participé la coalition US pendant la première guerre du Golfe et bombardé Belgrade par humanité et qui, après avoir envoyé les troupes françaises à Kaboul nous eussent sans doute entraîné dans la deuxième guerre du Golfe si la défaite inopinée de Jospin en 2002 n’avait pas coupé à la base un si bel élan. Mais de ces choses-là, il n’est plus question. Les amis indigènes de LFI, les Obono, Coquerel et aux acoquinés avec les chefs islamistes du 93 imposent la vision « indigéniste » de ces gens pour qui les « Blancs » sont coupables a priori et la France un pays structurellement raciste. Là encore, pas d’intersectionnalité puisque dans l’idéologie oboniste et coquereliste un ouvrier blanc est un ennemi alors qu’un millionnaire noir comme Omar Sy ou Anelka est un ami… Cette idéologie venue en droite ligne des États-Unis, cette dénonciation du « privilège blanc » a contaminé une bonne partie de la « gauche » française comme elle a voué à l’impuissance la « gauche américaine ». Elle recoupe les revendications islamistes, les chefs islamistes, amis des terroristes, protecteurs idéologiques de toutes les tyrannies, antisémites furieux, ont réussi à se faire passer pour des persécutés et à faire défiler LFI derrière les femmes emmitouflées dans leurs burqas et les haut-parleurs scandant « Allahou Akbar ». Cette sinistre manifestation du 10 novembre 2019 marque l’effondrement moral total de LFI et de son chef Mélenchon.

Le bilan complet du demi-siècle passé reste à écrire. Peut-être m’y attèlerai-je un jour. En attendant, je reste un partisan de la lutte des classes, de la défense des travailleurs (dépendants ou indépendants), seule force qui fait vivre la société, partisan de l’indépendance de la nation, seul cadre à même de permettre la mise en œuvre d’une politique vraiment socialiste, partisan de la liberté contre les nouveaux terrorismes intellectuels et le lavage de cerveaux médiatiques auquel nous sommes soumis quotidiennement, partisan d’un État républicain, c’est-à-dire un État capable de protéger les individus contre toute domination, mais aussi partisan de la défense de la nature en tant que « la nature est le corps non-organique de l’homme », comme le disait Marx. Avec tout cela, je pense qu’on peut construire un programme cohérent et non délirant, capable de rassembler une majorité pour exercer le pouvoir. Au fond, je n’ai pas tant changé que cela en un demi-siècle.

Le 7 août 2020. Denis Collin


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