Liban: Diab démissionne… et après?

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SOURCE : L"Orient le jour

La France appelle à la « formation rapide d’un gouvernement qui fasse ses preuves ».

Diab démissionne... et après ?

Hassane Diab a fini par céder aux pressions populaires, mais surtout politiques. Une semaine après la tragique double explosion du port de Beyrouth, le Premier ministre a annoncé hier soir la démission de son cabinet, qui intervient après plusieurs jours de violences entre manifestants et forces de l’ordre, couplés à une série de gesticulations politiques visant à faire chuter le gouvernement. Il s’agit donc d’une victoire à mettre à l’actif du mouvement de contestation, même si cela ne suffit pas pour satisfaire les demandes des manifestants qui veulent en finir avec la classe politique dans son ensemble. Mais le timing de cette décision plonge le Liban dans l’inconnu. M. Diab a jeté l’éponge à un moment particulièrement critique marqué par des crises aiguës sur le triple plan économique, social et sanitaire, doublées de pressions inédites de la part de la communauté internationale qui s’impatiente de voir le Liban engager le processus de réformes économiques une bonne fois pour toutes, afin de débloquer les aides promises au Liban depuis la conférence de Paris dite CEDRE (avril 2018) ainsi qu’une aide du Fonds monétaire international.

Ces pressions internationales ont été renforcées par la visite du président français, Emmanuel Macron, à Beyrouth jeudi dernier. Et pour cause : le président français a semblé fixer aux dirigeants libanais un court délai pour passer à l’acte en matière de réformes, expirant le 1er septembre prochain, date à laquelle il a promis de revenir au Liban. Sauf qu’avec la démission du cabinet Diab, on voit mal un nouveau gouvernement se former d’ici là. D’autant que la présidence de la République a décidé de temporiser avant d’appeler à des consultations contraignantes pour nommer un nouveau Premier ministre, escomptant auparavant une entente politique élargie. À cela s’ajoute le fait que la Constitution ne fixe au Premier ministre désigné aucun délai pour constituer son équipe. Le processus de formation du cabinet peut donc s’éterniser…Toutefois, avec une crise économique sans précédent et des négociations avec le FMI suspendues depuis le 10 juillet, les protagonistes de la crise ne peuvent s’offrir le luxe de se lancer dans leurs habituelles guerres de quotes-parts ministérielles.

Règlement de comptes

En attendant la levée du flou entourant la phase post-Diab, une chose semble sûre : la démission du Premier ministre résulte d’un règlement de comptes politiques avec le président de la Chambre, Nabih Berry. Tout a commencé samedi soir, lorsque le Premier ministre sortant a adressé un message à la nation, dans lequel il avait déclaré qu’il présenterait au Conseil des ministres (tenu hier au Sérail) un projet de loi prévoyant la tenue de législatives anticipées. Une façon pour lui de tenter de calmer la rage des manifestants, tandis que la journée de samedi avait été marquée par de violents affrontements avec les forces de l’ordre aux alentours du Parlement, dans le cadre d’une manifestation massive. Si les propos de M. Diab n’ont pas calmé la grogne populaire, ils ont suscité la colère du chef du législatif, Nabih Berry, confie une source proche du dossier à L’Orient-Le Jour. Elle souligne que M. Berry y a vu une atteinte à ses prérogatives et à celles du Parlement. D’autant que le Premier ministre (démissionnaire) a appelé à des élections anticipées sans concertations préalables ni avec le président de la Chambre ni avec le Hezbollah, perçus comme les principaux parrains de son équipe.

C’est à ce stade, ajoute la source, que M. Berry s’est résolu à convoquer la Chambre à un débat général, jeudi, avec en toile de fond le cataclysme du 4 août. Une séance qui devait servir à provoquer la chute du cabinet, comme l’a affirmé hier, depuis Aïn el-Tiné, Alain Aoun, député aouniste de Baadda et membre du bureau de la Chambre. « Si le gouvernement ne démissionne pas aujourd’hui (hier), il tombera jeudi lors de la séance parlementaire », a-t-il déclaré hier. Mais avec la démission hier de Hassane Diab, M. Berry n’aura pas cette satisfaction.

De même source, on apprend que le Hezbollah a été notifié de la détermination de Nabih Berry à tourner la page Diab. Il a donc donné le feu vert à la démission du Premier ministre, alors que le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, tentait en vain de jouer, une fois de plus, au pompier. Dans certains milieux politiques, on indiquait hier que le chef de l’État aurait chargé le général Ibrahim de convaincre Hassane Diab de renoncer à sa démission, jugée par lui « inopportune ». Des informations que les proches de la présidence ne confirment pas, se contentant de souligner à L’OLJ que la décision de jeter l’éponge « est du ressort du chef du gouvernement ».

Les démissions… avant la démission

C’est ainsi que dans un message aux Libanais, Hassane Diab a annoncé sa démission. Comme de coutume, il s’est mis à lancer des accusations, sans nommer explicitement quiconque. « Nous étions seuls et ils étaient tous contre nous », a-t-il tonné, ajoutant : «Ils ont utilisé toutes leurs armes, falsifié les faits et les preuves (…). Ils savaient que nous représentons une menace pour eux (…). »

Plus tôt dans la journée, M. Diab avait présidé un dernier Conseil des ministres au Sérail. Une réunion qui était initialement prévue à Baabda, mais qui avait été transférée au Sérail du fait du refus de Michel Aoun de discuter d’un projet de loi portant sur les législatives anticipées, sans concertations préalables avec les divers protagonistes.

Peu avant la séance ministérielle, les ministres des Finances, Ghazi Wazni (proche de Nabih Berry), de la Justice, Marie-Claude Najm, et de la Défense, Zeina Acar, avaient présenté leurs démissions écrites au Premier ministre. Ils emboîtaient ainsi le pas à leurs collègues Manal Abdel Samad (Information) et Damien Kattar (Environnement et Développement administratif), qui avaient jeté l’éponge dimanche.

Parallèlement, les démissions parlementaires se sont poursuivies toute la journée. Comme prévu, Henri Hélou, député joumblattiste de Baabda, et Paula Yaacoubian ont remis hier leurs démissions écrites au secrétaire général du Parlement, Adnane Daher. Ils rejoignaient ainsi sept de leurs collègues qui avaient rendu leur tablier à la suite de l’explosion de mardi. Il s’agit de : Marwan Hamadé (joumblattiste, Chouf), Samy Gemayel (Kataëb, Metn), Nadim Gemayel (Kataëb, Beyrouth), Élias Hankache (Kataëb, Metn), Nehmat Frem (Kesrouan), Michel Moawad (Zghorta) et Dima Jamali (Futur, Tripoli). Sur le plan diplomatique, Tracy Chamoun, ambassadrice du Liban à Amman (Jordanie), avait démissionné de ses fonctions jeudi. De même Gaby Fernaini, membre du conseil municipal de la capitale, a quitté son poste hier.

Défilé diplomatique

La communauté internationale suit de près les développements sur la scène locale. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Chucri, est ainsi attendu aujourd’hui à Beyrouth, alors que le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, David Hale, devrait arriver dans la semaine. Entre-temps, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a déclaré dans un communiqué publié hier soir que « la priorité est à la formation rapide d’un gouvernement qui fasse ses preuves auprès de la population et qui ait pour mission de répondre aux principaux défis du pays, en particulier la reconstruction de Beyrouth et les réformes, sans lesquelles le pays va vers un effondrement économique, social et politique ».


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