AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
Présentation
Nous publions ici l’interview d’un représentant du Congrès Bélarussien des Syndicats Démocratiques (BKPD), en date de mardi matin 17 août, donnée au site Le partisan bélarusse. La traduction est de notre seule responsabilité (nous avons modifié l’ordre de certains paragraphes dans un souci de clarté ).
Les militants ouvriers français doivent comprendre l’importance du BKPD (et du coup l’importance du communiqué de soutien publié lundi par la confédération CGT). Comme le RKT russe (mais ce dernier avec 2 millions de syndiqués réels est beaucoup plus puissant à l’échelle de son pays), le BKPD est, en simplifiant un peu, un reste, un acquis des grandes luttes ouvrières des années 1989-1997, initiées par la grande grève des mineurs dans toute l’URSS d’alors en 1989, et poursuivies jusqu’à la démoralisation des mineurs du Donbass en Ukraine, après 1992, la répression de la grève du métro de Minsk inaugurant la présidence Loukashenka en Bélarus en 1995, et l’impasse dans laquelle se sont trouvées les grandes actions du type « piquet » des mineurs russes en 1997-98.
Une partie de ceux qui semblaient les leaders ouvriers d’alors ont été absorbés dans les syndicats officiels (nous reviendrons dans un prochain article sur le cas très important d’Andreï Issaïev, longtemps « Monsieur anarcho-syndicaliste n°1 » en URSS puis en Russie). La discontinuité syndicale a été plus grave encore en Ukraine, ce qui est l’une des causes de la faiblesse du mouvement social ukrainien actuellement, bien qu’il y ait là aussi des syndicats indépendants, et de même, dans la clandestinité, parmi les mineurs du Donbass.
Le BKPD a résisté sous la répression qu’il a encore subie récemment – espérons que son responsable Nicolaï Zimin se remette des blessures causées par les Omon. Il n’était pas officiellement interdit mais l’était le plus souvent dans la pratique.
Un moyen pour lui de « tenir » pendant ces longues années a été son affiliation internationale à la CSI (Confédération Syndicale Internationale, qui a décerné un titre de vice-président au camarade interviewé ici – quoi que l’on pense de la CSI, ces camarades syndicalistes ne pouvaient en aucun cas s’affilier à la FSM, dont les syndicats officiels, structures verticales analogues aux syndicats franquistes, sont la section locale : ces derniers viennent d’appeler, voyez-vous ça, au « dialogue social » et à l’ « arrêt des violences ! » – nous invitons nos lecteurs pro-FSM à réfléchir à cela …). A chacun de se faire son opinion, discutons-en.
Il y a pour nous deux aspects remarquables dans cette interview et la position qu’elle exprime.
Premièrement, le camarade Alexander Yaroshuk affirme avec clarté et tranquillité que la classe ouvrière est la seule force capable de résoudre la question du pouvoir en Bélarus, la seule a en avoir la force, et que telle est la situation présente. « Seuls les travailleurs », dit-il, peuvent sortir le pays de la crise politique.
Ceci implique qu’à ses yeux, Svetlana Tikhanovskaia, qui après quelques jours est sortie de son silence et tente de se poser en rassembleuse d’une sorte de conseil de transition, n’en a pas la capacité.
Cela implique surtout une formidable conscience empirique de la réalité sociale et politique présente, formidable démonstration, en fait, de la réalité mondiale dès lors que les exploités font irruption sur la scène et s’organisent par eux-mêmes, en retrouvant des formes démocratiques d’organisation qui sont celles du prolétariat en action : grève, AG, rassemblement sur la place publique, syndicats indépendants, et soviets en sens de 1905 -c’est bien à cela que nous avons affaire actuellement en Bélarus.
Deuxièmement, tout en laissant entendre que, pratiquement, ce sont les travailleurs qui ont la seule capacité politique dans le pays – mais pas la force armée, attention …-, il n’envisage pas de résoudre cette situation de la manière apparemment logique consistant à dire « prenons donc le pouvoir », surmontons la dualité de pouvoir (la « dyarchie » dans le texte) en donnant tout le pouvoir aux soviets, oups pardon, aux comités de grève.
Soyons clairs : il serait absolument surprenant que ce camarade ait une autre position que celle d’une « transition pacifique » donnant le pouvoir à une sorte d’organisme gouvernemental de transition dans la perspective des élections libres que réclament les grévistes. D’abord, il est mandaté pour ça, n’en doutons pas. Que les « sachant-par-avance » ce qu’il faut faire rengainent leurs phrases toutes faites : nous avons là le mouvement réel d’une révolution démocratique dont le prolétariat prend de facto la direction, mais sans perspective claire visant à un autre ordre social et politique global réalisant la démocratie par la reprise en commun des moyens de production, bien que l’ambiance de la révolution et des grèves pousse spontanément à des initiatives en ce sens. Comment pourrait-il en être autrement ?
« Hé oui, se pose ici la question du parti, té ! », nous dirons alors, rassurés, les « sachant-par-avance » (ne parlons même pas ici des stupides qui prennent Loukashenka pour un socialiste anti-impérialiste, quelle honte …), ce qui leur permet (ça sert en général à ça) de se retourner en maugréant qu’eux, ils savent, mais pas ce satané monde réel, qui, lui, ne les écoute pas.
Nous cherchons, en tant que centre politique de propositions, d’analyses, de discussion et d’action, nous cherchons à aider le mouvement réel à aller de l’avant. Notre camarade syndicaliste bélarussien parle avec une courageuse et claire confiance en la puissance de sa classe : le Comité national de grève va voir le jour très vite, espère-t-il (nous aussi !), et toute structure « de transition » ne peut que marcher avec lui, voire même, si l’on comprend bien, être portée par lui. Mais alors, le pas en avant démocratique suivant n’est-il pas celui-ci : l’organisation concrète des élections libres, ici et maintenant, à une assemblée, de fait constituante ? Svetlana Tikhanovskaia, depuis Vilnius, dit qu’elle ne demande qu’à être présidente de transition d’ici aux élections libres. Après tout, pourquoi pas, si le Comité national de grève garantit la réalité des élections libres à tous les niveaux ?
Mais ce faisant, il va heurter l’État, la force armée, les Omon et l’armée qui, avec ou sans Loukashenka, sont sans doute déjà largement pris en main par le troisième acteur, si l’on peut dire, de « la dyarchie » qui serait donc plutôt une triarchie : l’État russe. Ce heurt n’est en rien perdu d’avance, car le peuple russe sympathise et regarde avec passion ce qui est en train de se passer.
Oui, place au Comité national de grève ! Place aux élections libres !
Document
Alexander Yaroshuk – Sur la création d’un comité national de grève : la procrastination, c’est la mort !
Le Partisan bélarus a demandé à Alexander Yaroshuk de répondre à quelques questions.
Q : Les actions locales de solidarité qui ont submergé la Biélorussie après les élections présidentielles truquées, se sont transformées en une manifestation nationale contre l’usurpation du pouvoir par Loukachenka. On a l’impression que le dirigeant biélorusse n’a pas compris ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est produit ?
R : Le comportement absolument inapproprié de Loukachenka et son rejet total de la situation qui s’est produite ne sont pas seulement une tragédie pour lui, mais d’abord un drame avec une réelle perspective d’ issue tragique pour le pays.
Il ne veut pas admettre ce qui crève les yeux : que l’écrasante majorité du peuple le rejette, exige son départ immédiat.
Il est également possible de contester le fait que Svetlana Tikhanovskaya a été élue présidente, puisque les bulletins de vote ont été détruits et qu’il est impossible d’établir exactement combien de voix elle a remporté. Mais le fait que Loukachenka n’ait pas été élu et qu’il ait été soutenu non pas par 80% des citoyens du pays, proclamés par la Commission électorale centrale, mais par beaucoup, beaucoup, beaucoup moins, un enfant pourrait le comprendre.
Q : Le 17 août, les plus grandes entreprises publiques du Bélarus ont commencé à faire grève : Belaruskali, MZKT, BMZ. Que faire à présent ?
R : La situation est à un point critique, les structures de pouvoir sont paralysées et ne peuvent pas prendre de décision, Loukachenka ne veut admettre sous aucun prétexte que le peuple a irrévocablement cessé de lui faire confiance et exige son retrait immédiat.
À son tour, la présidente élue Svetlana Tikhanovskaya, qui a annoncé hier qu’elle était prête à devenir le leader national, ne peut, ni elle-même ni le Conseil de coordination formé par elle, entamer un dialogue sur le transfert du pouvoir.
Une situation de diarchie, extrêmement dangereuse pour le pays, se présente. Elle doit être résolue le plus rapidement possible et un pas doit être fait pour sortir de la crise politique aiguë. Et vous et moi, les travailleurs qui sommes entrés dans une grève illimitée, organisés en comités de grève dans les entreprises, sommes les seuls à pouvoir le faire.
La seule force qui peut désormais assumer la responsabilité du sort du pays et assurer la transition du pouvoir sont les travailleurs. Les plus grandes entreprises stratégiques du pays – JSC Belaruskali, MTZ, MAZ, BelAZ, JSC Grodno Azot, MTZ, JSC Naftan et l’usine Polymir, JSC Mozyr Oil Refinery, Belshina et d’autres ont déclaré une grève illimitée.
Parallèlement à la création de comités de grève dans les entreprises, nous devons créer un Comité national de grève (NSC – acronyme en français CNG) dès que possible, dans les 2-3 prochains jours. Et en son nom, engager un dialogue direct avec les autorités sur le transfert du pouvoir dans le pays.
Les syndicats indépendants du pays ont déjà commencé à créer des comités de grève dans leurs entreprises. Les mineurs de l’OJSC « Belaruskali », où nous avons un syndicat indépendant des mineurs (NPG) puissant et efficace, ont créé des comités de grève dans tous les départements des mines.
Dans un proche avenir, avec la participation active de syndicats indépendants, cela sera fait par les travailleurs d’OJSC « Grodno Azot », d’OJSC « Naftan » et de l’usine « Polymir », d’OJSC « Mozyr Oil Refinery ». Vous devez immédiatement faire de même chez MTZ, MAZ, Gomselmash, BelAZ, Belshin et dans toutes les autres entreprises du pays et déléguer immédiatement vos représentants au Comité national de grève.
Il est possible d’effectuer ce travail en parallèle et, sans attendre la création du comité de grève, déléguer un représentant au CNG.
Mes collègues et moi-même du Congrès bélarussien des syndicats démocratiques (BKDP) assumons le rôle de coordinateurs de la création du CNG.
J’indique l’adresse e-mail à laquelle vous devez envoyer dès que possible vos propositions de délégation de vos représentants au CNG – bkdp.by@gmail.com. Mon téléphone est le +375 29616 11 51.
Mon collègue vice-président du BKDP Sergei Antusevich a pour numéro de téléphone +375 29 676 29 73. Nous sommes situés au 11 rue Serafimovich, Minsk, station de métro Proletarskaya – ce qui est non seulement pratique, mais aussi symbolique !
Dans les prochains jours, demain ou après-demain, nous devons rencontrer vos représentants délégués et former un CNG. Vous ne pouvez pas hésiter, même ceux qui n’auront pas réussi à le faire tout de suite, ils nous rejoindront plus tard.
Notre organisation, le BKDP, est reconnue non seulement dans le pays, mais aussi dans le monde, et est membre de la Confédération syndicale internationale (CSI). Je suis moi-même vice-président de la CSI et membre du Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Nous avons donc de bons atouts entre nos mains, nous pouvons interagir activement à la fois dans le pays et sur la scène internationale et utiliser les opportunités et les avantages de notre position pour résoudre la crise politique aiguë et assurer le transfert rapide du pouvoir dans le pays.
Mais pour cela, il est nécessaire, dès que possible, de créer un comité national de grève et d’élire ses dirigeants. Le sort de la patrie, le sort de la Bélarus est en jeu. Amis, écrivez et appelez, il faut agir vite, le retard est comme la mort. Puisque nous parlons du sort de notre Bélarus, et nous sommes les seuls à pouvoir, à cette heure fatidique, assumer la responsabilité de sortir de la crise politique aiguë et d’assurer une transition rapide du pouvoir.