Peut-on espérer un rebond rapide de l’économie?

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SOURCE : Blog de la Banque de France

Si le choc de la Covid-19 sur l’économie mondiale est, à maints égards, inédit, la reprise attendue pourrait néanmoins ressembler aux reprises passées. La reconstruction et réallocation sectorielle de l’activité et de l’emploi sont des processus qui prennent du temps, tandis que l’endettement est susceptible de peser sur la demande agrégée. La durée de la reprise dépendra donc moins de la nature du choc que des mesures prises pour limiter son impact.

Figure 1. Baisse du chômage en France, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis durant les dernières reprises.
Figure 1. Baisse du chômage en France, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis durant les dernières reprises. Source : OCDE.

Variation du taux de chômage en points de pourcentage, relativement au niveau maximal atteint à la fin de chaque contraction (date indiquée dans la légende). Les dates de fin de contraction et de fin de reprise sont déterminées à partir des changements du taux de chômage, suivant la méthode décrite dans Dupraz, Nakamura et Steinsson (2020). Le chômage augmentant significativement à la suite de la crise des dettes souveraines européennes en France et en Italie (mais pas en Allemagne et aux États-Unis), la méthode place la fin de la reprise de la crise de 2008 en 2012 pour la France et l’Italie (et en 2019 pour l’Allemagne et les États-Unis).

La contraction de l’activité causée par la pandémie de Covid-19 sera quasi certainement, dans de nombreux pays, la plus importante enregistrée sur une année depuis la crise de 1929. L’Eurosystème prévoit une baisse du PIB annuel de 8,7% en zone euro et la Banque de France de 10,3% en France en 2020. Si, dans la plupart des pays européens, le recours à l’activité partielle a considérablement contenu la montée du chômage, l’absence d’un tel dispositif aux États-Unis a conduit à une forte hausse de son taux, passé de 3,5% en février à 14,7% en avril.

L’impact initial du confinement sur l’activité était inévitable, et un premier rebond à sa sortie prévisible. Toutefois, la vitesse de la reprise dans les mois et années à venir est plus incertaine, de même que le pic qu’atteindra le taux de chômage – en France, la Banque de France le prévoit à 11,8%, à la mi-2021.

Les reprises passées ont connu des rythmes assez similaires

Si l’on mesure le cycle économique par l’évolution du taux de chômage, les récessions des 40 dernières années ont pourtant été marquées par la régularité de la vitesse de leurs reprises, aux États-Unis comme en zone euro. La figure 1 montre qu’en France, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis, une fois le pic du taux de chômage atteint, sa décrue s’est faite à une vitesse assez similaire d’une crise à l’autre: en moyenne 0,55 point de pourcentage (pp) par an en France et en Italie, 0,7 pp en Allemagne et 0,63 pp aux États-Unis.

Mais au vu de la particularité de la crise actuelle, les reprises passées constituent-elles un bon guide de la reprise à venir? Si la crise de la Covid-19 est à de nombreux titres inédite -par le caractère « délibéré » de la baisse initiale de l’activité, par sa combinaison de chocs d’offre et de demande – l’aspect qui pourrait conduire à un certain optimisme quant à sa reprise est le caractère exogène du choc du Covid-19. En effet, la récession actuelle ne résulte pas des facteurs économiques habituels.

Cet optimisme peut prendre plusieurs formes : la reprise à venir serait plus rapide parce que la crise de la Covid-19 n’est pas la conséquence d’une économie en surchauffe, parce qu’elle n’est pas le résultat d’une mauvaise allocation de la production, ou parce qu’elle ne touche pas en premier lieu le secteur financier.

Une reprise plus rapide car l’économie n’était pas en surchauffe ?

Un premier argument est que la crise actuelle ne survient pas comme un correctif à une économie qui fonctionnait au-dessus de son potentiel, et qu’il serait par conséquent plus facile de retrouver le niveau de production antérieur – en tenant compte initialement des nouvelles contraintes sanitaires. Cette conception du cycle économique est courante en macroéconomie : l’activité économique oscillerait autour d’un niveau potentiel, les récessions survenant d’ordinaire quand l’activité est trop au-dessus, et les reprises s’amorçant quand elle est trop en-dessous.

Figure 2 : L’imprévisibilité de l’ampleur des récessions aux États-Unis de 1948 à 2019.

Figure 2 : L’imprévisibilité de l’ampleur des récessions aux États-Unis de 1948 à 2019. Source : BLS, taux de chômage civil ajusté des variations saisonnières.

Une contraction (expansion) est ici définie comme une hausse (baisse) du taux de chômage de plus de 1,5 point de pourcentage et son amplitude comme l’ampleur de la hausse (baisse) du taux de chômage (voir Dupraz, Nakamura et Steinsson (2020) pour une définition plus précise).  

Dupraz, Nakamura et Steinsson montrent cependant que cette vision trouve peu d’appui dans les données. Si c’était le cas, on devrait observer que les contractions les plus amples surviennent après les expansions les plus amples, quand l’économie est le plus en surchauffe. Or, la figure 2 montre que, si l’on considère les États-Unis depuis 1948, on n’observe rien de tel (une régression donne même une relation négative, mais non statistiquement significative). Mais à l’inverse, comme le montre la figure 3, l’amplitude d’une expansion est à chaque fois très similaire à celle de la contraction précédente (1,09 fois en moyenne). Le cycle économique aux États-Unis semble mieux décrit par le « plucking model » de Milton Friedman : l’économie se situe la plupart du temps sous son potentiel, vers lequel elle convergerait si des contractions ne venaient périodiquement retarder le moment de l’atteindre. La récession actuelle et les récessions passées seraient donc de ce point de vue similaires : elles détruisent des emplois et des entreprises qui n’avaient rien d’excessif au vu des capacités de production. Le « plucking model », s’il implique que la reprise post Covid-19 devrait être plus ample que lors des reprises passées, suggère donc également que la vitesse des reprises passées n’est pas un mauvais indicateur du temps qui sera nécessaire à la reconstruction des emplois et entreprises détruits par la crise de la Covid-19. La reprise ne sera donc pas forcément plus rapide.

Figure 3 : La propriété de « Plucking » aux États-Unis de 1948 à 2019.

Figure 3 : La propriété de « Plucking » aux États-Unis de 1948 à 2019. Source : BLS, taux de chômage civil ajusté des variations saisonnières.

Une contraction (expansion) est ici définie comme une hausse (baisse) du taux de chômage de plus de 1,5 point de pourcentage et son amplitude comme l’ampleur de la hausse (baisse) du taux de chômage (voir Dupraz, Nakamura et Steinsson (2020) pour une définition plus précise).

Une reprise plus rapide car la production n’était pas mal allouée ?

Un deuxième argument est que si les crises ordinaires sont suivies de reprises lentes, c’est qu’elles surviennent en réaction, sinon à un excès de production, du moins à une production mal allouée, souvent due à une mauvaise allocation du crédit : par exemple un surinvestissement dans l’immobilier et la construction avant la crise de 2008, ou dans des entreprises peu productives. La récession qui suit entraîne alors une lente réallocation intra et intersectorielle. Comme la crise de la Covid-19 n’a pas pour cause immédiate une mauvaise allocation de la production, on pourrait espérer une reprise plus rapide.

Cependant, la crise de la Covid-19 devrait elle aussi engendrer d’importantes réallocations sectorielles susceptibles de ralentir la reprise. La crise frappe les différents secteurs de manière très hétérogène, certains comme le numérique ou la grande distribution rencontrant même un surcroît de demande. Une partie des changements de consommation et de production induits par la distanciation physique – dans la restauration, la culture, l’organisation du travail (télétravail) et la télémédecine – seront sans doute persistants. Les projets d’investissements publics dans la santé et de relocalisation de certaines industries constituent également des changements structurels importants, qui prendront du temps.

Une reprise plus rapide car la crise n’est pas une crise financière ?

Un troisième argument est que la crise actuelle n’est pas une crise financière, souvent suivie d’une reprise lente. On pourrait donc espérer une reprise plus rapide.

Si certaines causes de ces reprises lentes pourraient être également à l’œuvre lors de cette reprise – par exemple, la crise de la Covid-19 a vu une forte augmentation de l’endettement des entreprises et des États, qui pourrait peser sur la demande agrégée -, d’autres aspects permettent en effet d’être optimiste. Le secteur bancaire, dans une position plus solide qu’en 2008, a cette fois constitué un amortisseur plutôt qu’un amplificateur de la crise. Sa capacité à assurer ce rôle a aussi été liée à l’ampleur des mesures prises par les gouvernements et les banques centrales (en zone euro, via un assouplissement des conditions de refinancement des banques et 1350 milliards d’euros d’achats d’actifs).

La leçon est plus générale : le temps nécessaire au rétablissement de l’économie dépend plus des politiques économiques mises en place pour éviter les destructions d’emplois et d’entreprises au-delà de celles nécessaires à une réallocation de l’activité, que de la possibilité de les recréer plus rapidement qu’à l’ordinaire.


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