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SOURCE : Libération
«Masqué·e mais pas muselé·e.» Quitte à défiler en temps de Covid-19, autant en profiter pour arborer un bon slogan sur son visage. C’est ce qu’ont fait des manifestants cégétistes ce jeudi à Paris, à l’occasion de la première journée de mobilisation interprofessionnelle depuis sept mois. Ce qui a changé depuis la dernière, le 20 février ? Certes, la réforme des retraites est remise à plus tard, privant les syndicats (CGT, FSU, Solidaires) qui ont appelé les salariés à se mobiliser en ce jour ensoleillé d’un mot d’ordre capable de mobiliser autant qu’avaient pu le faire les grandes manifestations de cet hiver. D’où la taille modeste du cortège (10 000 personnes selon les organisateurs) qui a défilé dans le calme de la place de la République à celle de la Nation – mais avec, du coup, un certain respect de la distanciation physique.
Pour autant, les raisons de sortir les camions à sono et les banderoles ne manquent pas. Au sein du cortège, essentiellement constitué de militants syndicaux, on croise par exemple des salariés de Carrefour Market, ces «premiers de corvée» qui attendent toujours une rémunération à la hauteur de l’effort qu’ils ont fourni (et continuent de fournir) pour faire tourner le bouzin. «Hier dans la lumière, aujourd’hui dans l’oubli»,déplorent-ils sur leur banderole. Mais aussi des soignants pour qui le Ségur de la santé est loin d’avoir réglé les problèmes de l’hôpital public, et des étudiants inquiets d’une rentrée universitaire en démerdentiel (les organisations de jeunesse FIDL, MNL, Unef et UNL se sont jointes à l’appel). Ou encore des salariés de TUI France, qui dénoncent l’«effet d’aubaine» du plan social massif annoncé en juin par le tour-opérateur, certes touché par la crise mais pourtant un mastodonte de son secteur.
«Il faut un plan de rupture»
«Il y a une forte colère», affirme en tête du cortège syndical Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, qui a lancé l’appel à cette journée interprofessionnelle en juillet – et n’a pas été suivi par tout le monde, notamment FO et la CFDT. Loin d’être affaibli, le message de son appel est à ses yeux «renforcé par l’actualité» avec l’annonce, mercredi, de la fermeture de l’usine Bridgestone à Béthune, qui emploie 863 personnes : «C’est un message pour le gouvernement : il faut changer de politique, avec un plan de rupture et pas un plan de relance. On donne des aides aux entreprises et après on pleure, ou on fait semblant de pleurer, parce que l’argent n’a pas été utilisé comme on nous avait promis qu’il le serait.» Une référence aux réactions scandalisées du gouvernement à l’annonce de la fermeture de l’usine, qui «nous encouragent à manifester, puisque c’est Mme Pannier-Runacher [la ministre déléguée à l’Industrie, ndlr] qui a dit : “Il faut faire du bruit”.»
Dans les bouches des manifestants, revient un sentiment : derrière les grands discours sur le mode du «rien ne sera plus comme avant», tout est en fait resté comme avant. «On espérait qu’avec le confinement, le pouvoir politique réfléchirait à une direction différente. Or, ils continuent à vouloir faire leur réforme des retraites, à vouloir privatiser au maximum», déplore Adélaïde, assistante sociale en école primaire à Clichy (Hauts-de-Seine). Selon elle, alors que le gouvernement généralisait le télétravail, «ce n’était pas la priorité de l’administration de le mettre en place» pour les fonctionnaires.
«On est toujours exploité»
Défilant aux côtés des salariés du site Renault de Lardy (Essonne), Christine formule ainsi son analyse : «Qu’on soit à l’usine, dans un bureau ou en télétravail, en fin de compte on est toujours exploité.» Retraitée de la caisse de retraite complémentaire de Renault, elle s’emporte contre «les milliards versés à nos patrons, nos exploiteurs, sans contrôle». Pour elle, puisque «l’argent vient des travailleurs au boulot, il doit servir à toute la société». Soit une version alternative du «ruissellement» qui constitue toujours, selon le porte-parole de Solidaires Eric Beynel, le fond idéologique du plan de relance présenté par le gouvernement. «Il faut inverser radicalement les choses», selon lui.
Dans le reste de la France, on a manifesté à Toulouse (3 000 personnes selon la CGT, 1 400 selon la police), à Marseille (un millier selon les autorités), à Bordeaux (850) à Montpellier (600) ou encore à Strasbourg (500).