Journalistes et observateurs pourront être interpellés en couvrant des manifs

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SOURCE : Libération

Lors d'une manifestation des gilets jaunes à Paris le 12 septembre.

Le nouveau «schéma national du maintien de l’ordre» souligne que les ordres de dispersions de manifestations ne connaissent nulle exception, au risque d’empêcher la presse et les ONG de témoigner d’éventuelles violences.

«L’exercice de la liberté d’expression et de communication, dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, est une condition première de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. L’Etat a la responsabilité de garantir cet exercice.» Voici ce que l’on peut lire dès les premières lignes du très attendu schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) paru jeudi. Ce document, qui fige une doctrine dure et valide l’usage des armes de force intermédiaire (lanceur de balle de défense, grenades), a été rendu public par le ministère de l’Intérieur après des mois de réflexion.

Passées ces quelques lignes, une phrase à l’accent bien moins libertaire accroche l’œil du lecteur : «Concomitamment, il sera proposé aux journalistes des sensibilisations au cadre juridique des manifestations, aux cas d’emploi de la force et notamment aux conduites à tenir lorsque les sommations sont prononcées, ainsi qu’aux dispositions du SNMO. Il importe à cet égard de rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser.» En clair, les journalistes et les observateurs des différentes ONG pourraient ainsi être interpellés et poursuivis, faisant fi de leurs impératifs professionnels.

117 journalistes empêchés de travailler

C’est peu dire que ce point suscite l’indignation des ONG et des représentants de la presse. Et ce d’autant plus que le SNMO fige déjà dans le marbre une doctrine dure, à l’œuvre durant le mouvement des gilets jaunes, avec le nombre de blessés historique que l’on connaît. Dans les rangs du Syndicat national des journalistes (SNJ), le point incriminé fait bondir. «La philosophie de ce texte, c’est “hors de nos rangs, point de salut”. Mais pourquoi ne pas donner d’uniformes aux journalistes aussi tant qu’on y est ? fulmine Dominique Pradalié, secrétaire générale de l’organisation la plus représentative de la profession des journalistes. Je pense que le ministre [Gérald Darmanin, ndlr] méconnaît la liberté de la presse, il est dans le déni. Notre confrère David Dufresne a effectué un travail très sérieux en documentant 117 cas de journalistes empêchés de travailler par les forces de l’ordre depuis un an et demi. Pour le SNJ, c’est 200 journalistes qui sont concernés. Ce texte n’essaie pas de comprendre notre métier, il est fait pour restreindre la liberté d’informer. On veut transformer les journalistes en propagandistes, comme les Etats-Unis l’ont éprouvé pendant la guerre du Golfe. Nous allons donc réaffirmer la liberté des journalistes, qui est de pouvoir être témoin de tout, partout et en tout moment.»

Plus loin, le texte aborde la question de l’équipement et de la sécurité des journalistes présents en manif, de nombreux photographes ayant pointé que leurs casques ou leurs gants avaient pu être confisqués par les forces de l’ordre. «La nécessité de préserver l’intégrité physique des journalistes sur le terrain est réaffirmée. Eu égard à l’environnement dans lequel ils évoluent, les journalistes peuvent porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation», stipule le SNMO. Une terminologie extrêmement trouble pour Anne-Sophie Simpere, qui suit ces questions à Amnesty International : «Le terme “provocation” laisse une marge immense. Tous les journalistes doivent pouvoir se protéger. Il y avait pourtant des sociologues et experts intéressants dans le panel des personnes auditionnées lors des travaux d’élaboration du nouveau schéma. Je ne comprends pas, mais on va continuer à travailler sur le maintien de l’ordre», assure-t-elle.

Statut d’observateur

En outre, les ONG avaient réclamé la nécessaire reconnaissance par les autorités d’un statut d’observateur lors des manifestations, garanti selon elles par les engagements internationaux de la France. Une fois de plus, leurs recommandations n’ont pas été prises en compte, comme le déplore Anne-Sophie Simpere : «Ce texte est le produit de dix-huit mois de travail. Or, le résultat est précisément tout l’inverse de ce que nous avions demandé ! s’étonne-t-elle. Le rôle des observateurs est justement d’observer l’usage de la force. Ça n’a aucun sens de demander qu’ils soient dispersés au moment des sommations !»

Contacté, vendredi, le ministère de l’Intérieur n’en démord pas : «Le SNMO prévoit un meilleur contact des forces de l’ordre avec les journalistes, ce qui concourt à un meilleur positionnement de leur part, permettant un déroulement optimal de l’opération de maintien de l’ordre. Le SNMO prévoit par ailleurs que les journalistes puissent conserver des équipements de protection, assure-t-on place Beauvau. En revanche, la loi ne prévoit aucune exception. L’opération d’évacuation(tir de grenades, vague de refoulement, charge) ne peut discriminer, notamment lorsque journalistes et manifestants sont imbriqués. La présence de journalistes ne doit pas venir gêner la manœuvre de maintien de l’ordre. Il n’y a donc pas de garanties permettant aux journalistes de se maintenir en place.»


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