L’affaire Assange est-elle politique ?

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Lundi matin

Rapports d’expertise de Noam Chomsky et Paul Rogers au procès en extradition

La semaine dernière prenait fin la deuxième partie de l’audience d’extradition de Julian Assange à Londres. Assange retourne à l’isolement dans la prison de haute sécurité de Belmarsh… Les avocats disposent d’un temps pour rédiger leurs conclusions… Le verdict est attendu le 4 Janvier 2021.

Ce qui s’est joué, ce qui se joue là, est historique.

Si l’on en doutait encore, les rapports fournis par des experts appelés par la défense pour témoigner autour de questions centrales comme la contribution de WikiLeaks au journalisme et à la liberté d’informer, à la défense des droits de l’Homme, permettent de saisir la profondeur passée et la portée future du verdict qui sera prononcé.

Après avoir publié sur lundimatin le témoignage de l’historien du journalisme Mark Feldstein, répondant à la question de savoir si Assange est un journaliste (qui pourrait/devrait dès lors bénéficier de la protection du premier amendement américain), nous publions cette semaine les traductions françaises des rapports d’expertise des professeurs Paul Rogers et Noam Chomsky, appelés eux aussi par la défense en qualité de témoins à l’audience d’extradition.

Le Professeur Paul Rogers est expert en études sur la paix et sur la sécurité internationale. Il est intervenu dans les écoles supérieures de la défense au Royaume-Uni, auprès de différents ministères, des services de renseignement, et d’autres institutions. Le Professeur Noam Chomsky est un éminent linguiste et penseur de la gauche américaine, et un soutien d’Assange de longue date.

Dans leurs rapports, tous deux éclairent, au prisme de leurs connaissances, la question de savoir si les opinions et les actes de Julian Assange sont la manifestation de convictions politiques, et si, de façon symétrique, les accusations portées contre lui sont de nature politique ; si les États-Unis considèrent, et traitent, Julian Assange comme un ennemi politique, un dissident d’opinion qu’il s’agit de neutraliser.

L’affaire Assange est-elle politique ?

Cette question essentielle forme un axe important de la défense de Julian Assange. En effet, parmi les exceptions figurant au traité d’extradition signé entre les États-Unis et le Royaume-Uni L’exception politique interdit le transfert de la personne si les accusations portées contre elle dans le pays qui la demande sont de nature politique. C’est ainsi que les pays signataires du traité sont censés éviter que celui-ci ne se transforme en instrument pour que des dirigeants se débarrassent de leur opposition politique.

Bien sûr qu’Assange est politique ; que le projet WikiLeaks est portée par une vision et a pour vocation de faire advenir un autre ordre des choses, un monde moins guerrier, plus juste. Assange ne s’en est jamais caché, la soi disant neutralité ou objectivité des opinions n’étant d’ailleurs pour lui que le propre des scribes du pouvoir, non d’un journalisme digne de ce nom. Quiconque avec un semblant de sensibilité politique est capable de voir que ce qu’il y a de politique dans WikiLeaks et Assange. Il n’en reste pas moins intéressant et salutaire de voir ces arguments étudiés dans les témoignages ici présentés.

Ainsi dans son rapport, Paul Rogers fait même état de la cohérence de Julian Assange et de WikiLeaks, depuis les idées jusqu’à la mise en œuvre, leur concédant même quelque résultat : « Je suis conscient que les publications de WikiLeaks ont joué un rôle dans la fin officielle de l’engagement militaire américain en Irak, en mettant en lumière de manière irréfutable des actes criminels commis par l’armée américaine qui avaient été délibérément dissimulés ». L’expert sur la paix ne semble donc pas loin de valider la proposition d’Assange – conviction politique s’il en est – selon laquelle « la paix peut être obtenue par la vérité, là où les guerres sont déclenchées par les mensonges »…

Ce sont bien ces convictions, cette cohérence, cette constance, et ces capacités qui rendent bien entendu Assange et WikiLeaks dangereux pour le gouvernement américain, les publications de WikiLeaks démontant efficacement le storytelling victorieux de la Guerre contre la Terreur tricoté depuis le mandat de Bush – un récit de toute puissance avec lequel le Make America great again de Trump semble d’ailleurs renouer avec une vigueur renouvelée et débridée. WikiLeaks et la Guerre contre la Terreur naissent à peu près en même temps, leurs évolutions et les évolutions des attaques contre Assange sont à comprendre ensemble, ce que Chomsky observe aussi.

Pour Chomsky, les choses sont très claires, la mise en lumière de leurs agissements fait s’évaporer le pouvoir des puissants, ce qu’ils ne peuvent pas tolérer. Il conclut que « Julian Assange, en défendant courageusement des convictions politiques que la plupart d’entre nous déclare partager, a rendu un énorme service à tous les peuples du monde qui chérissent les valeurs de liberté et de démocratie et qui exigent donc le droit de savoir ce que font leurs représentants élus. Ses actions l’ont conduit à être poursuivi en retour de manière cruelle et intolérable. »

Bonne lecture.


EN LA VILLE DE WESTMINSTER,
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
entre
LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
contre
JULIAN PAUL ASSANGE
Rapport d’expertise du professeur Noam Chomsky

1. Je suis actuellement basé à l’université d’Arizona où je suis Professeur Lauréat de Linguistique et Président du programme Agnese Nelms Haury pour l’Environnement et la Justice sociale.

2. J’ai rejoint le personnel du Massachusetts Institute of Technology en 1955 et, en 1961, j’ai été nommé professeur titulaire au Département de Langues Modernes et de Linguistique (actuellement Département de Linguistique et de Philosophie). De 1966 à 1976, j’ai tenu le poste de Professeur titulaire à la chaire Ferrari P. de Langues Modernes et de Linguistique. En 1976, j’ai été nommé Professeur de l’Institut. Je suis maintenant professeur émérite. En 1958 et 1959, j’ai été en résidence à l’Institute for Advanced Study de Princeton, New Jersey.

3. J’ai reçu des diplômes honorifiques de nombreuses universités, dont l’Université de Londres, Université de Chicago, Université Loyola de Chicago, Swarthmore College, Université de Delhi, Bard College, Université du Massachusetts, Université de Pennsylvanie, Université de Georgetown, Collège Amherst, Université de Cambridge, Université de Buenos Aires, Université McGill, Universitat Rovira I Virgili, Tarragona, Université de Columbia, Université du Connecticut, Scuola Normale Superiore, Pise, Université de Western Ontario, Université de Toronto, Université de Harvard, Université de Calcutta, et l’Universidad Nacional De Colombia.

4. Je suis membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences et de l’Académie Nationale des Sciences. En outre, je suis membre d’autres organisations professionnelles et savantes aux États-Unis et à l’étranger, j’ai reçu le prix de la contribution scientifique Distinguished Scientific Contribution Award de l’Association Américaine de Psychologie, le Kyoto Prize en sciences fondamentales, la médaille Helmholtz, le prix Dorothy Eldridge pour la paix, la médaille Benjamin Franklin en informatique et sciences cognitives, et bien d’autres prix.

5. J’ai écrit et donné de nombreuses conférences sur la linguistique, la philosophie, l’histoire intellectuelle, les questions contemporaines, les affaires internationales et la politique étrangère américaine. Mes travaux comprennent :

6. Aspects de la théorie syntaxique ; La linguistique cartésienne ; Principes de phonologie générative (avec Morris Halle) ; Le Langage et la pensée ; L’Amérique et ses nouveaux mandarins ; At War with Asia ; For Reasons of State ; Peace in the Middle East ?  ; Réflexions sur le langage ; The Political Economy of Human Rights, Vol. I and II (avec E.S. Herman) ; Rules and Representations ; Lectures on Government and Binding ; Towards a New Cold War ; Radical Priorities ; Fateful Triangle ; Knowledge of Language ; Turning the Tide ; Pirates et empereurs : le terrorisme international dans le monde actuel ; On Power and Ideology ; Language and Problems of Knowledge ; The Culture of Terrorism ; La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie (avec E.S. Herman) ; Necessary Illusions ; Deterring Democracy  ; L’an 501 – La conquête continue ; Rethinking Camelot : JFK, the Vietnam War and US Political Culture ; Letters from Lexington ; World Orders, Old and New ; The Minimalist Program ; Powers and Prospects ; The Common Good ; Le Profit avant l’homme ; Le Nouvel Humanisme militaire : Leçons du Kosovo ; Nouveaux horizons dans l’étude du langage et de l’esprit ; Rogue States ; A New Generation Draws the Line ; 11-9 : autopsie des terrorismes ; Understanding Power ; Hegemony or Survival ; Hopes and Prospects ; Quelle sorte de créatures sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté ; Qui mène le monde ?

7. On m’a demandé si le travail et les actions de Julian Assange peuvent être considérés comme ’politique’, une question dont on m’informe qu’elle est d’importance dans la demande d’extradition par les États-Unis où M. Assange est poursuivi pour espionnage, pour avoir joué un rôle dans la publication d’informations que le gouvernement des États-Unis ne souhaitaient pas voire publiées.

8. J’ai déjà parlé du sujet sur lequel on me demande maintenant de faire des commentaires en lien avec M. Assange. Les paragraphes suivants constituent mon point de vue. Je confirme mon évaluation selon laquelle les opinions et les actions de M. Assange doivent être comprises en relation avec les priorités du gouvernement.

9. Un professeur en Science du Gouvernement à l’université de Harvard, l’éminent politologue libéral et conseiller du gouvernement Samuel Huntington, a observé que “les architectes du pouvoir aux États-Unis doivent créer une force qui peut être ressentie mais pas vue. Le pouvoir reste fort quand il reste dans l’obscurité. Exposé à la lumière, il commence à s’évaporer”. Il a donné quelques exemples éloquents concernant la nature réelle de la guerre froide. Il a parlé de l’intervention militaire étatsunienne à l’étranger et il a fait remarquer que “vous devrez peut-être vendre l’intervention ou toute autre action militaire de manière à créer la fausse impression que c’est une Union Soviétique que vous combattez”. C’est ce que les États-Unis font depuis la ’doctrine Truman’ et il existe de nombreuses illustrations de ce principe directeur.

10. Les actions de Julian Assange, qui ont été classées comme criminelles, sont des actions qui exposent le pouvoir à la lumière – des actions qui peuvent faire s’évaporer le pouvoir si la population saisit l’opportunité de devenir les citoyens indépendants d’une société libre plutôt que les sujets d’un maître qui opère en secret. C’est un choix, et il est entendu depuis longtemps que le public peut faire s’évaporer le pouvoir.

11. Le seul penseur de premier plan qui ait compris et expliqué ce fait critique est David Hume, écrivant à propos Des premiers principes de gouvernement, dans l’un des premiers ouvrages modernes de théorie politique, il y a plus de 250 ans. Sa formulation était si claire et pertinente que je me contenterai de la citer. Hume n’a trouvé “rien de plus surprenant que de voir la facilité avec laquelle le plus grand nombre est gouverné par un petit nombre et d’observer la soumission implicite avec laquelle les hommes ont résigné leurs propres sentiments et passions à ceux de leurs dirigeants. Lorsque nous nous demandons par quels moyens cette merveille advient, nous constatons que, la force étant toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n’ont rien d’autre pour les soutenir que l’opinion. C’est donc sur la base de l’opinion seulement que le gouvernement est fondé, et cette maxime vaut pour les gouvernements les plus despotiques et les plus militaires comme pour les plus libres et les plus populaires”.

12. En fait, Hume sous-estime l’efficacité de la violence, mais ses paroles sont particulièrement appropriées aux sociétés où la lutte populaire menée pendant de nombreuses années a permis de gagner un degré considérable de liberté. Dans de telles sociétés, comme la nôtre bien sûr, le pouvoir est vraiment du côté des gouvernés et les gouvernants n’ont rien d’autre pour les soutenir que l’opinion. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’industrie colossale des relations publiques est la plus grande agence de propagande de l’histoire de l’humanité, qui s’est développée et a atteint ses formes les plus sophistiquées dans les sociétés les plus libres, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette institution a vu le jour il y a environ un siècle, lorsque les élites ont compris que l’on avait gagné trop de liberté pour que le public puisse être contrôlé par la force, de sorte qu’il était devenu nécessaire de contrôler les attitudes et les opinions. Les élites intellectuelles libérales l’ont également compris et c’est pourquoi elles ont insisté, pour citer quelques exemples, sur la nécessité d’abandonner “les dogmes démocratiques selon lesquels les gens sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts”. Ils ne le sont pas. Ils sont ’des ignorants et des outsiders indiscrets’ et doivent donc être ’remis à leur place’ afin de ne pas déranger les ’hommes responsables’ qui gouvernent de droit.

13. Un des moyens de contrôler la population consiste à agir en secret pour que les ignorants et les outsiders indiscrets restent à leur place, loin des leviers de pouvoir qui ne sont pas leurs affaires. C’est le principal objectif de la classification des documents. Quiconque a parcouru les archives des documents publiés a sûrement pu se rendre compte assez rapidement que ce qui est gardé secret n’a que très rarement à voir avec la sécurité, avec exception de la sécurité des dirigeants eux-mêmes contre l’ennemi domestique, à savoir leur propre population. La pratique est tellement routinière qu’il est inutile de l’illustrer. Je ne mentionnerai qu’un seul cas contemporain. Prenons les traités commerciaux internationaux, Pacifique et Atlantique, en réalité des accords investisseurs se faisant passer pour du libre-échange. Ils sont négociés en secret. Il y a une forme de ratification de style stalinien par le Parlement – oui ou non – ce qui signifie bien sûr oui, sans discussion ni de débat, ce qu’on appelle aux États-Unis “fast-track“, voie rapide. Pour être précis ils ne sont pas entièrement négociés en secret. Les faits sont connus des juristes d’entreprise et des lobbyistes qui en rédigent les détails de manière à protéger les intérêts des groupes qu’ils représentent, et bien sûr ce n’est pas le public. Le public, au contraire, est un ennemi qu’il faut maintenir dans l’ignorance.

14. Le crime présumé de Julian Assange en s’efforçant de dévoiler les secrets du gouvernement est de violer les principes fondamentaux du gouvernement, de lever le voile du secret qui protège le pouvoir de l’examen et l’empêche de s’évaporer – et encore une fois, le puissant a bien conscience que le fait de soulever le voile peut provoquer l’évaporation de la puissance. Cela peut même conduire à une liberté et une démocratie authentiques si un public stimulé en vient à comprendre que la force est du côté des gouvernés et qu’elle peut être leur force dès lors qu’ils choisissent de contrôler leur propre destin.

15. Selon moi, Julian Assange, en défendant courageusement des convictions politiques que la plupart d’entre nous déclare partager, a rendu un énorme service à tous les peuples du monde qui chérissent les valeurs de liberté et de démocratie et qui exigent donc le droit de savoir ce que font leurs représentants élus. Ses actions l’ont à conduit à être poursuivi en retour de manière cruelle et intolérable.

Noam Chomsky
12 février 2020

Source : https://challengepower.info/_media/witness_statements/noam_chomsky.pdf

Traduction : Challengepower.info


EN LA VILLE DE WESTMINSTER,
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
entre
LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
contre
JULIAN PAUL ASSANGE
Julian Assange – Opinion du Professeur Paul Rogers

11 février 2020

1. Je suis professeur émérite au Département des Études sur la Paix à l’Université de Bradford et des avocats représentant Julian Assange, qui fait l’objet d’une demande d’extradition vers les États-Unis pour des motifs liés à la loi américaine sur l’espionnage de 1917 et à la loi sur les fraudes et les abus informatiques, m’ont demandé de donner mon opinion.

2. Je suis titulaire d’un BSc (Hons) et d’un doctorat de l’Université de Londres et récipiendaire des prix ARCS et DIC de l’Imperial College de Londres. J’ai donné des cours à l’Imperial College et j’ai également occupé le poste de responsable scientifique en chef au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est. J’ai été président de l’Association Britannique des Études Internationales, j’ai occupé pendant deux périodes le poste de président du Département des Études sur la Paix à l’Université de Bradford et j’ai publié 30 livres et plus de 150 articles de journaux et communications.

3. J’ai fait de la recherche et enseigné dans le domaine de la sécurité internationale pendant quarante ans et j’ai également enseigné dans les écoles supérieures de la défense du Royaume-Uni pendant 38 ans. Je suis membre honoraire de l’école supérieure interarmée du commandement Joint Services Command and Staff College (JSCSC). J’ai été examinateur externe pour les diplômes de troisième cycle dans cette école et également à l’école des hautes études de la défense Royal College of Defence Studies. J’ai donné des conférences sur la sécurité internationale au Ministère de l’Intérieur, au Ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, au Ministère de la Défense, au Conseil des ministres, au MI5 et aux services de renseignement de la défense, ainsi qu’à des officiers supérieurs des forces spéciales britanniques.

4. Je n’ai pas, et n’ai jamais demandé, d’habilitation de sécurité gouvernementale pour mes recherches.

5. J’ai reçu des documents pertinents, notamment l’acte d’accusation et les preuves à l’appui, les rapports d’un certain nombre de témoins experts mandatés par la défense (dont le professeur Noam Chomsky, le professeur Mark Feldstein, Jameel Jaffer du Knight Institute, le professeur émérite Michael Tigar, Carey Shenkman, Andy Worthington et deux experts juridiques américains, Eric Lewis et Tom Durkin). On m’a fourni une chronologie présentant les principaux événements de la dizaine d’années d’histoire menant à l’arrestation de M. Assange en 2019, après l’arrestation et l’inculpation de sa co-accusée présumée, Sdt Manning, en 2010. On m’a également remis des documents qui donnent des exemples du travail de M. Assange lui-même et de l’organisation WikiLeaks

6. On m’a demandé mon avis sur les opinions exprimées publiquement par M. Assange en parallèle avec le compte rendu d’exemples d’un certain nombre de ses activités, qui m’ont été fournis. Ce dossier comprend des publications, des livres et une série d’articles sur un large éventail de questions, ainsi que des commentaires d’autres personnes sur les travaux et les opinions de M. Assange. Il m’a été demandé si, à la lumière de tout ce qui précède, ses opinions peuvent effectivement être qualifiées de ’politiques’ ce qui, si l’avis des experts de la défense susmentionnés est correct, pourrait lui faire courir le risque d’être poursuivi dans le cadre d’un procès à motivation politique, ces opinions étant à leur tour interprétées et/ou désapprouvées par les États-Unis, tandis que sans ce fondement (ses propres motivations et celles de l’État américain qui le poursuit), il ne serait pas poursuivi de la sorte.

7. J’ai été informé des termes de la section 81(a) et 81(b) de la loi sur l’extradition de 2003.

8. J’ai lu la partie 19 des règles de procédure pénale relative aux rapports d’expertise et je pense que mes observations sont conformes à ces règles.

Exemples d’opinions et d’actes documentés de M. Assange

Le matériel publié qui m’a été montré comprend les propositions suivantes :

A) Dans une série d’essais “La Conspiration comme mode de gouvernance”, M. Assange parle du secret collaboratif induit par des régimes autoritaires au détriment d’une population, citant Le Prince de Machiavel à propos des “affaires d’État”. 
“En voyant venir…. les maux qui couvent sont facilement guéris. Mais lorsque, faute de cette connaissance, on les laisse se développer jusqu’à ce que tout le monde puisse les reconnaître, il n’y a plus de remède à trouver”. Il exprime la conviction que la mauvaise gouvernance doit être dénoncée ; que “ceux qui restent passifs face à l’injustice voient rapidement leur caractère corrompu dans la civile obéissanceLa plupart des actes d’injustice dont nous sommes témoins sont associés à une mauvaise gouvernance, car lorsque la gouvernance est bonne, il est rare que l’injustice reste sans réponse“.

B) En commentant les actions de WikiLeaks et d’Assange, le professeur Yochai Benkler résume les activités de WikiLeaks avant 2010, “Une organisation qui semble avoir fonctionné comme elle se décrit elle-même ; un lieu où les documents qui font la lumière sur les puissants gouvernements ou entreprises du monde entier, ou dans le cas des courriels des climatologues, sur une question d’une énorme importance pour la population mondiale, pourraient être diffusés publiquement”
Benkler décrit WikiLeaks comme 
“devant être compris dans le contexte des grandes tendances de la construction du quatrième pouvoir en réseau ; comme (d’autres) organisations axées sur la transparence, WikiLeaks est une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de mettre en lumière des preuves documentaires directes sur le comportement du gouvernement afin que de nombreuses autres personnes, professionnelles ou non, puissent analyser les preuves et rechercher des exemples qui justifient la critique publique. Comme les presses des partis émergents, elle agit par conviction politique. Contrairement à tant d’autres projets sur le net, elle utilise une combinaison de volontaires, de présence mondiale et d’action décentralisée pour atteindre ses objectifs. WikiLeaks fait donc partie intégrante du quatrième pouvoir en réseau, au même titre que les manifestants qui tournent des vidéos dans les rues de Téhéran, de Tunis ou du Caire et les mettent en ligne, ou les blogueurs qui ont exposé l’histoire de Rather/CBS… L’organisation et les efforts déployés par WikiLeaks pour mettre au jour de véritables documents gouvernementaux internes portant sur des questions de grande importance pour le public sont essentiellement une version en réseau des Pentagon Papers … . Une attaque contre WikiLeaks – légale ou extra-légale, technique ou commerciale, doit être évaluée de ce point de vue…”

C) Outre l’objectif de faire la lumière sur les secrets gouvernementaux, on peut considérer que le point de vue politique d’Assange s’est particulièrement concentré sur la guerre, ce qui a été démontré pendant de nombreuses années par les publications de WikiLeaks et ses commentaires publics.

i. WikiLeaks a été fondé sous l’administration Bush et nombre de ses publications ont porté sur la guerre contre le terrorisme. Par exemple, des publications en 2007 et 2008 relatives à la publication d’informations sur le fonctionnement de Guantanamo Bay,

ii. La publication en août 2008 par WikiLeaks d’un rapport militaire britannique de 2006 sur la guerre en Irak et l’opération Telic, qui déclarait que la guerre en Irak “allait à l’encontre des obligations potentielles de Genève” et que “les dirigeants ne devraient pas lancer une opération sans réfléchir… il ne suffit pas de déterminer l’état final souhaité”. Au moment de la publication, M. Assange a écrit : “La combinaison du secret et de l’idéologie a été un désastre de planification qui a directement conduit à l’effondrement de la société irakienne”.

iii. La publication des journaux de guerre d’Afghanistan et d’Irak en 2010. Assange, invité à s’exprimer à l’ONU à Genève lors de l’Examen Périodique Universel des États-Unis, a demandé aux États-Unis d’enquêter sur les abus présumés des troupes américaines en Afghanistan et en Irak, comme attestés par les documents publiés par WikiLeaks.

iv. Et/ou en 2016, commentant Hillary Clinton, “Elle manque de jugement et poussera les Etats-Unis dans des guerres stupides et sans fin qui répandent le terrorisme. Sa personnalité, combinée à ses mauvaises décisions politiques, a directement contribué à l’essor de l’État Islamique (ISIS)“.

v. En proposant la candidature de Julian Assange au prix Nobel de la paix de 2019, la lauréate Mairead Maguire écrit  : “Julian Assange et ses collègues de WikiLeaks ont montré à de nombreuses reprises qu’ils sont l’un des derniers débouchés pour la véritable démocratie et le travail pour la liberté et la parole. Leur travail en faveur d’une paix véritable en rendant publiques les actions des gouvernements, chez eux et à l’étranger, nous a éclairés sur les atrocités commises au nom de la soi-disant démocratie dans le monde entier. Il s’agit notamment des images des actes inhumains commis par l’OTAN et l’armée, de la diffusion de courriers électroniques révélant le complot pour un changement de régime dans les pays du Moyen-Orient, et du rôle joué par nos élus pour tromper le public. Il s’agit d’une avancée considérable dans notre travail en faveur du désarmement et de la non-violence dans le monde”.

vi. Et en remettant la médaille de la paix de Sydney en janvier 2012, le directeur de la Sydney Peace Foundation déclare  : “Le travail d’Assange s’inscrit dans la tradition des Tom Paine Rights of Man et des Daniel Ellsberg Pentagon Papers – qui remettent en question l’ancien ordre du pouvoir en politique et en journalisme. Assange s’est fait le champion du droit des peuples à savoir et a remis en question la tradition séculaire selon laquelle les gouvernements ont le droit de maintenir le public dans l’ignorance”.

vii. Le 8 août 2011, lors du rassemblement de la coalition ’Stop the War’ à Trafalgar Square Assange a déclaré : “Nous devons former nos propres réseaux de force et de valeur commune, qui peuvent remettre en question les forces et les valeurs des va-t-en-guerre dans ce pays et dans d’autres, qui sont main dans la main pour prendre l’argent des États-Unis – de tous les pays de l’OTAN, de l’Australie -, le blanchir en Afghanistan, le blanchir en Irak, le blanchir en Somalie, le blanchir au Yémen, le blanchir au Pakistan, et laver cet argent dans le sang des gens”. Il fait référence aux “informations que nous avons révélées, qui montrent la misère et la barbarie quotidiennes de la guerre, des informations telles que la mort de plus de 130 000 personnes en Irak, des morts qui ont été gardées secrètes par l’armée américaine qui a nié avoir compté les décès de civils… Je veux plutôt vous dire ce que je pense être la façon dont les guerres se déclenchent et comment elles peuvent être défaites. …Cela devrait nous amener de la compréhension car si les guerres peuvent être déclenchées par des mensonges, la paix peut être déclenchée par la vérité“.

(Les documents présentés dans le cadre des preuves de la défense dans la procédure d’extradition constituent un dossier beaucoup plus complet). Il m’a été demandé d’examiner si les brefs extraits ci-dessus sont représentatifs des opinions documentées de M. Assange, s’ils peuvent effectivement être considérés comme des points de vue (et des actes reflétant ces points de vue), qui constituent des opinions politiques.

9. Je prends note de l’avis exprimé par les experts juridiques de la défense sur la trajectoire des poursuites engagées contre M. Assange et des nombreux autres facteurs qu’ils considèrent comme suggérant fortement que ces poursuites soient engagées pour des motifs politiques. Je prends également note de l’avis des spécialistes du journalisme et du premier amendement parmi la défense, qui voient dans les attaques personnelles contre M. Assange par des membres haut placés de l’actuelle administration américaine la preuve d’une motivation politique contre M. Assange, ainsi que des cibles plus larges que sont la presse et des lanceurs d’alerte en général.

10. Mes commentaires ci-dessous s’attachent à la question distincte mais liée des manières dont le corpus des opinions et des travaux de M. Assange (dont les citations précédentes sont des exemples) représente des opinions politiques qui, si les évaluations des experts de la défense ci-dessus sont correctes, ont fait de lui le sujet d’attaques en vertu de ces mêmes opinions.

11. L’objectif politique de chercher à faire advenir plus de transparence dans le fonctionnement des gouvernements est clairement à la fois la motivation et le modus operandi du travail de M. Assange et de l’organisation WikiLeaks. Sa matérialisation, comme l’expose l’étude du professeur Benkler, a constitué une altération totale de l’accès et de la mise à disposition du public des secrets que les gouvernements souhaitent laisser inconnus de leurs populations. L’objet des accusations dont M. Assange fait actuellement l’objet comporte des exemples forts de la confrontation de ces positions, tant dans leur contenu et leur portée que dans la réaction du gouvernement. D’après les opinions exprimées par les experts de la défense, le professeur Feldstein, Jameel Jaffer et Michael Tigar, bien que la réaction de l’administration Obama au moment des publications (en partenariat avec les médias traditionnels du monde entier) ait été totalement négative et que l’on ait sérieusement envisagé de trouver un moyen de poursuivre M. Assange, elle a néanmoins été limitée par l’observation que cela impliquerait en parallèle la poursuite des médias traditionnels partenaires de WikiLeaks. La philosophie et la pratique de la divulgation des secrets du gouvernement (notamment des câbles sensibles du Département d’État ainsi que des preuves de crimes de guerre jusqu’alors inconnus) avaient provoqué la réaction du gouvernement. La nouvelle administration Trump en 2017 a cependant exprimé une hostilité ouverte envers M. Assange et une détermination à réexaminer la possibilité de le poursuivre, le décrivant comme “essayant de voler des secrets américains dans le seul but de saper les États-Unis et la démocratie”. La chronologie de la progression ultérieure des poursuites engagées à l’encontre de M. Assange suggère qu’elle est parallèle à l’expression ouverte de l’hostilité du président Trump à l’égard de la presse en général en tant qu’ennemie, et au fait que les informations exactes sont considérées comme des “fausses nouvelles” et les lanceurs d’alerte comme des “traîtres”, ce qui élargit le fossé entre la couverture par la presse des actions de l’État et le désir du gouvernement de préserver les secrets.

12. Ainsi, les opinions et les points de vue de M. Assange, démontrés par ses paroles et ses actions avec l’organisation WikiLeaks pendant de nombreuses années, peuvent être considérés comme le plaçant très clairement en conflit avec la philosophie de l’administration Trump.

13. Je commente les preuves de l’évolution particulière des attitudes au sein de la politique américaine au cours des deux dernières décennies, qui peuvent être considérées comme étroitement liées à la vision actuelle de Julian Assange par l’administration Trump comme ennemi politique et à l’hostilité générale face à la découverte et à la publication de secrets gouvernementaux, en particulier ceux qui impliquent les crimes et malversations du gouvernement.

14. Compte tenu de l’objet des accusations dont il fait maintenant l’objet, je prends note de différents aspects, dont la détention de prisonniers à Guantanamo, la publication d’une vidéo constituant un crime de guerre, décrite lors de sa publication comme “Collateral Murder“, et la publication de câbles diplomatiques du Département d’État américain. La publication de ces informations, censées être secrètes, présenterait et a clairement présenté un conflit entre la philosophie et les actions de ceux qui ont révélé ces secrets et la philosophie et les actions de ceux qui ont tenté de les préserver et dont la réaction comprenait la possibilité de poursuivre ceux qui avaient fait ces révélations.

15. Afin de mettre l’accent sur la nature de ces deux positions opposées, je propose ici une analyse des implications de deux des catégories de publications – celles en rapport avec les actions militaires américaines en Afghanistan et en Irak.

16. Depuis les attentats du 11 septembre, l’opposition aux politiques de sécurité américaines a été une question politique majeure pour les États-Unis eux-mêmes, et les circonstances avant et depuis les attentats font que des individus comme Assange qui se sont opposés à ces guerres ont été considérés avec beaucoup plus de force comme des ennemis politiques. La demande d’extradition doit être considérée en partie sous cet angle, en prenant en compte la motivation politique d’Assange pour la transparence en générale, mais avec les questions militaires liées à ces conflits comme aspects essentiels. En outre, l’attitude de l’administration Trump est particulièrement antagoniste, comme elle l’était également pendant les deux mandats du président George W Bush.

17. L’attitude des États-Unis est née de deux éléments, l’environnement politique dans les mois précédant le 11 septembre et la gravité et le choc des massacres eux-mêmes. Avant les attentats, l’élection du président George W. Bush en novembre 2000 a donné lieu à une combinaison inhabituellement forte de néoconservatisme et de réalisme sûr-de-soi qui a dominé la sécurité et la politique étrangère. Le Projet pour le Nouveau Siècle Américain, en particulier, a joué un rôle important dans la mise en scène du récit politique. Comme l’indique sa déclaration de principes (3 juin 1997) :

Alors que le XXe siècle touche à sa fin, les États-Unis sont la puissance prééminente du monde. Après avoir mené l’Occident à la victoire pendant la guerre froide, l’Amérique est confrontée à une opportunité et à un défi : Les États-Unis ont-ils la vision nécessaire pour s’appuyer sur les réalisations des décennies passées ? Les États-Unis ont-ils la volonté de façonner un nouveau siècle favorable aux principes et aux intérêts américains ?

18. Les attaques du 11 septembre elles-mêmes ont eu un impact viscéral fort sur l’environnement politique américain, étant donné cette perspective de domination, étant bien pire que Pearl Harbour en décembre 1941 et assurant une réponse militaire très forte avec la confiance des dirigeants politiques de rencontrer peu d’opposition intérieure.

19. Ainsi, la fin du régime des Talibans à Kaboul semblait être entièrement réalisée en moins de trois mois au début du mois de décembre 2001, et le régime de Saddam Hussein en Irak a été terminé en trois semaines en mars-avril 2003. Tout au long de la décennie suivante, mais surtout sous l’administration Bush, la position du gouvernement a été celle d’un succès militaire, et c’est ce qui a caractérisé l’attitude des médias américains.

20. En réalité, la situation en matière de sécurité était beaucoup plus complexe, avec des problèmes majeurs évoluant dès le départ mais constamment dissimulés. Deux exemples de position officielle et de réalité sont intéressants à examiner ici dans le contexte de cette plus grande transparence née en grande partie du projet Wikileaks à la fin de la décennie.

Afghanistan

21. Après la fin rapide du régime à Kaboul, le président Bush a pu prononcer un Discours sur l’état de l’Union très positif devant les Chambres du Congrès en janvier 2002. Dans ce discours, il a largement étendu la guerre contre le terrorisme pour y inclure un “axe du mal” :

“Des États comme ceux-ci, et leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde. En recherchant des armes de destruction massive, ces régimes représentent une menace grave et un danger croissant. Ils pourraient fournir ces armes aux terroristes leur donnant les moyens d’égaler leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou menacer de faire chanter les États-Unis. Dans tous ces cas, le prix de l’indifférence serait catastrophique.”

et :

“Nous serons délibérés, mais le temps n’est pas de notre côté. Je ne vais pas attendre après les événements, alors que les dangers s’accumulent. Je ne resterai pas les bras croisés, alors que les dangers se rapprochent de plus en plus. Les États-Unis d’Amérique ne permettront pas aux régimes les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes les plus dangereuses du monde”. www.whitehouse.gov/stateoftheunion2002/

22. Il a développé cette position dans son Discours de Remise des diplômes à l’Académie militaire de West Point, quatre mois plus tard, notable pour son explication plus détaillée du problème et de la réponse requise.

“Dans le passé, les ennemis avaient besoin de grandes armées et de grandes capacités industrielles pour mettre en danger le peuple américain et notre nation. Les attentats du 11 septembre n’ont nécessité que quelques centaines de milliers de dollars entre les mains de quelques dizaines d’hommes malfaisants et illusionnés. Tout le chaos et les souffrances qu’ils ont causés ont coûté moins que le prix d’un seul char. Les dangers ne sont pas passés. Ce gouvernement et le peuple américain sont aux aguets, nous sommes prêts, parce que nous savons que les terroristes ont plus d’argent, plus d’hommes et plus de plans”.

Et :
“…la guerre contre le terrorisme ne sera pas gagnée sur la défensive. Nous devons mener la bataille contre l’ennemi, perturber ses plans et affronter les pires menaces avant qu’elles n’apparaissent. Dans le monde dans lequel nous sommes entrés, la seule voie vers la sécurité est celle de l’action. Et cette nation agira” www.whitehouse/gov/news/releases/2002/06/20020601-3.html

23. En réalité, la victoire présumée en Afghanistan se transformait déjà en une amère rébellion qui a duré jusqu’à présent plus de 18 ans. En effet, même entre le moment du Discours sur l’État de l’Union et celui de la remise des diplômes à West Point, l’armée américaine connaissait de sérieux revers, même si ceux-ci n’étaient guère couverts par la presse écrite et audiovisuelle américaine. Une rare exception a été la couverture de l’opération Anaconda contre les Talibans et Al-Qaida près de Gardez dans l’est de l’Afghanistan, à propos de laquelle le Washington Post (6 mars 2002) relatait un résultat inattendu :

Samedi, une première avancée des forces spéciales afghanes et américaines, destinée à débusquer les combattants présumés d’Al-Qaïda dans la ville de Sirkanel, a été contrecarrée par les tirs ennemis qui ont immobilisé les troupes de la coalition pendant des heures. Les éléments de la 10e Division de Montagne auraient également été arrêtés dans leur élan samedi lors d’une bataille de 12 heures à l’extérieur de la ville de Marzak. Des obus de mortier et des grenades propulsées par fusée ont atterri à moins de 15 mètres de leur position, et 13 soldats américains ont été blessés.”

24. Au fur et à mesure de l’évolution du conflit, les capacités américaines ont dû être renforcées par cinq hélicoptères d’attaque Cobra et deux hélicoptères de transport UH-53 venus d’un navire de soutien amphibie, le Bon Homme Richard, dans la mer d’Arabie.

25. Jusqu’à l’époque des révélations de Wikileaks, le gouvernement américain a entretenu une fiction de succès en Afghanistan, le manque flagrant de transparence militant constamment contre un discours politique éclairé et la reconnaissance des coûts humains graves à long terme du conflit.

Irak

26. Cela vaut encore plus pour l’Irak, où la fin présumée du régime en trois semaines en mars/avril 2003 a été suivie dans les trois semaines suivantes par le discours du président Bush du 1er mai intitulé ’Mission accomplie’, prononcé depuis le pont d’envol du porte-avions USS Abraham Lincoln, commençant par une affirmation confiante et non contestée :

“L’amiral Kelly, le capitaine Card, les officiers et les marins du USS Abraham Lincoln, et mes compatriotes américains. Les grandes opérations de combat en Irak sont terminées. Dans la bataille d’Irak, les États-Unis et nos alliés ont gagné. Et maintenant, notre coalition est engagée dans la sécurisation et la reconstruction de ce pays”. https://www.cbsnews.com/news/text-of-bush-speech-01-05-2003/)

27. Une fois de plus, ce fut un excès d’optimisme, avec en réalité une opposition violente qui se développait et une augmentation rapide du nombre de victimes civiles, alors même que les troupes américaines se déplaçaient pour occuper Bagdad. Le 6 avril, avant même le discours de Bush, l’International Herald Tribune a rapporté un incident impliquant une patrouille de marines américains :

“Pris entre deux feux, selon un récit effrayant d’un journaliste de l’Associated Press, un certain nombre de piétons, dont un vieil homme avec une canne, avaient l’air désorienté. Lorsqu’il n’a pas tenu compte de trois coups de semonce des Marines, ceux-ci l’ont tué. Une camionnette rouge et un taxi orange et blanc ont également été criblés de balles après qu’ils n’aient pas tenu compte des tirs d’avertissement”. (International Herald Tribune 7 avril 2003)

28. Plus révélateur encore, un an plus tard, fut le reportage de l’une des journalistes de guerre américaines les plus expérimentées, Pamela Constable, intégrée à une unité du Marine Corp à l’extérieur de la ville de Fallujah. Suite à une embuscade d’une patrouille de Marines qui a compté des blessés mais pas de morts, Constable a rapporté que :

“Juste avant l’aube, mercredi… les avions d’attaque AC-130 ont lancé un raid punitif dévastateur sur une zone de six blocs autour de l’endroit où le convoi a été attaqué, tirant des dizaines d’obus d’artillerie qui ont secoué la ville et illuminé le ciel. Les responsables de la marine ont déclaré que la zone avait été virtuellement détruite et qu’aucune autre insurrection n’y avait été observée”.(Washington Post, 15 avril 2004.)

29. Notez qu’il s’agissait d’un “raid punitif” soudain qui a détruit un quartier de la ville, bien loin d’une victoire convaincante dans un conflit qui dure maintenant depuis dix-sept ans et qui a tué, selon le dernier décompte, 288 000 personnes dont au moins 185 000 civils. (https://www.iraqbodycount.org/, 11 février 2020).

30. Il est de notoriété publique que la grande quantité de données relatives à l’Irak révélées par les publications de WikiLeaks qui font l’objet de cet acte d’accusation a permis, pour la première fois, d’évaluer correctement le nombre de civils tués dans le conflit irakien. Toute véritable évaluation des affirmations du gouvernement avait été impossible avant que ces données ne soient révélées. Je suis conscient que les publications de WikiLeaks ont joué un rôle dans la fin officielle de l’engagement militaire américain en Irak, en mettant en lumière de manière irréfutable des actes criminels commis par l’armée américaine qui avaient été délibérément dissimulés.

31. Les trois rapports historiques des grands médias que je cite ci-dessus concernant l’Afghanistan et l’Irak étaient les rares à donner un compte rendu radicalement différent de la vision du gouvernement américain sur les guerres supposées réussies, une présentation trompeuse qui persiste depuis près de deux décennies. C’est au cours de la première décennie qu’elle a été la plus soutenue et a beaucoup contribué à limiter le débat et la responsabilité, la grande majorité de la couverture médiatique aux États-Unis ayant toujours été plus positive à l’égard de la conduite des guerres. Le changement dans la connaissance du public n’a été possible essentiellement que grâce aux révélations non autorisées, pour lesquelles les lanceurs d’alerte et les publications, comme les “révélations de Manning”, ont joué un rôle exceptionnellement important.

32. Étant donné les positions totalement contradictoires au sujet de la transparence des actions des gouvernements, en particulier en ce qui concerne la conduite de la guerre dans laquelle le gouvernement revendique le secret pour des raisons de sécurité nationale, le danger d’une poursuite pour des motifs politiques contre ceux qui révèlent ces secrets est très clairement présent. Dans le cas de M. Assange, les déclarations très publiques de hauts fonctionnaires de l’actuelle administration américaine, contenues dans les preuves de la défense produites devant la Cour dans cette procédure, démontrent l’état d’esprit de l’administration actuelle envers M. Assange, qui a abouti à une décision, différente de celle de l’administration précédente, de le poursuivre.

33. Pendant la présidence Obama, les problèmes étaient mieux reconnus et la pression exercée sur ceux qui présentaient des preuves contradictoires était moindre, mais depuis l’élection du président Trump, il y a eu un vigoureux dénigrement de l’ère Obama, un retour à la vision de l’administration Bush et une opposition encore plus âpre à ceux qui sont perçus comme des dissidents, notamment ceux impliqué dans la communication d’informations malvenues comme M. Assange.

Opinion

34. À mon avis, les opinions exprimées, les avis et les activités de M. Assange démontrent très clairement des ’opinions politiques’. La confrontation de ces opinions avec celles des administrations américaines successives, mais en particulier avec l’administration actuelle qui a décidé de le poursuivre pour des publications faites il y a près de dix ans, suggère qu’il est considéré avant tout comme un opposant politique qui doit subir toute la colère du gouvernement, avec même des suggestions de châtiment par la mort formulées par de hauts fonctionnaires, dont le président actuel.

Paul Rogers
12 février 2020

Source : https://defend.wikileaks.org/wp-content/uploads/2020/09/Statement-of-Professor-Paul-Rogers.pdf
Traduction : Challengepower.info


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut