Capitalisme et communisme, une réponse à Romaric Godin

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Le grand continent

Branko Milanović répond à la critique parue sur Médiapart de son dernier ouvrage. Une clarification de sa théorie sur le rôle du communisme.

Romaric Godin a récemment écrit une très stimulante recension de mon livre, Le Capitalisme, sans rival1, avec un titre quelque peu provocateur « La réflexion inachevée de Branko Milanovic sur le capitalisme »2. Il soulève certains points sur lesquels j’aimerais préciser ma réflexion, et peut-être même poursuivre la discussion.

Le résumé que Godin propose des principaux points du livre dans la première partie de sa recension est excellent et je n’ai rien à y redire, si ce n’est que j’aimerais clarifier un point concernant ma définition du communisme. Je vais ensuite me tourner vers les quatre critiques de Romaric Godin, et tenterai d’y répondre.

Le rôle historique mondial du communisme

Je voudrais clarifier ma théorie sur le rôle du communisme. Ma définition du communisme, écrite en italique dans le livre, est : « le communisme est un système social qui permet aux sociétés sous-développées et colonisées d’abolir le féodalisme, de regagner leur indépendance économique et politique et de construire un capitalisme indigène ». Notez que la définition se réfère aux sociétés « sous-développées et colonisées ». Comme je l’explique dans le livre, les partis anti-impérialistes centralisés composés de militants professionnels étaient en meilleure position pour réaliser cette double transition, c’est-à-dire, pour libérer politiquement ces pays des influences extérieures et pour introduire la transformation sociale (la réforme agraire, l’abolition des privilèges de type féodal, la généralisation de l’éducation, l’égalité entre les gens). Ce sont ces régimes qui, à leur tour, ont tracé la voie pour le développement d’un capitalisme autochtone (évidemment sans avoir cela en tête à l’époque où ils se lancèrent dans la révolution). C’est pourquoi j’en viens à affirmer que leur rôle était fonctionnellement le même que celui de la bourgeoisie dans les pays qui n’ont pas été colonisés.

C’est un point important, pour au moins deux raisons. Premièrement, car, par une « ruse de l’histoire », les acteurs de ces changements posèrent sans le savoir les bases pour le développement futur d’un système qu’ils croyaient combattre. C’est quelque chose que nous ne pouvons voir qu’à présent, avec suffisamment de recul. Il était entièrement impossible de le voir trente ans plus tôt, ni même à l’époque de la révolution. La chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit.

Deuxièmement, cette vision du rôle historique mondial du communisme change entièrement la perception des événements du vingtième siècle. Comme je l’affirme dans la première annexe du Capitalisme, sans rival, le plus important accomplissement de la Révolution russe n’a pas été l’introduction du système communiste en Russie (qui finit par s’effondrer), mais l’unité, au sein des partis de gauche et communistes du Tiers Monde, de la lutte anti-impérialiste et de la révolution sociale. Pour cette raison, le « tournant vers l’Est » annoncé au Congrès de Bakou en 1920 et au deuxième Congrès du Komintern (également en 1920) s’est révélé crucial. Pour citer Lénine, « le capitalisme s’est transformé en un système mondial d’oppression coloniale et d’asphyxie financière de l’immense majorité de la population mondiale par une poignée de “pays avancés” »3. Ou, « à ce congrès [le deuxième Congrès du Komintern], nous voyons s’opérer une union entre les prolétariens révolutionnaires des pays capitalistes avancés et les masses révolutionnaires de ces pays où il n’y a pas ou guère de prolétariat [je souligne, B.M.], c’est-à-dire les masses opprimées des pays colonisés occidentaux »4.

Sans la Révolution russe, et sans la redéfinition par Lénine de la lutte des classes mondiale pour embrasser aussi la lutte anticolonialiste (souvent en coalition avec les partis bourgeois dans les pays colonisés), les partis communistes dans le Tiers Monde auraient été consignés à un rôle périphérique. En outre, il est important de prendre conscience que la position de Lénine s’écartait du marxisme orthodoxe. Marx et plusieurs marxistes « classiques » étaient ambivalents, et n’étaient pas sans soutenir l’impérialisme occidental, dans la mesure où ils voyaient en celui-ci une façon d’introduire le capitalisme dans les pays en retard (les écrits de Marx sur l’Inde en sont un bon exemple) et de tracer la voie à une éventuelle transformation socialiste. Dans cette perspective, il n’y a pas de rôle anti-impérialiste naturel pour les partis communistes. Cela a entièrement changé après 1920.

Sans la Révolution russe, pas d’essor de l’Asie, ni de décolonisation de l’Afrique.

BRANKO MILANOVIC

Lorsque nous considérons aujourd’hui la Révolution russe, ce fut son plus important accomplissement. Ce fut en effet un accomplissement indirect, mais néanmoins d’une portée mondiale fondamentale. Pour le dire crûment : l’essor de l’Asie et la décolonisation de l’Afrique ne se seraient pas produits, ou tout du moins ils se seraient opérés bien plus lentement sans la Révolution russe. Cela s’applique non seulement à la Chine et au Vietnam, qui constituent des cas paradigmatiques, mais aussi à l’Inde dont le mouvement d’indépendance a été mené par la bourgeoisie nationale, mais qui, sous la pression de la gauche, emprunta plusieurs des politiques plus progressistes de ses rivaux séculaires plus à gauche. À nouveau, sans cette pression de la gauche, venant non seulement de divers partis marxistes indiens, mais peut-être même aussi davantage d’une acceptation idéologique de la révolution sociale, de l’industrialisation, de la planification centrale, et ainsi de suite, l’indépendance et la réforme indiennes auraient pris plus de décennies. Nous pouvons même nous demander si l’Inde n’aurait pas fini avec un certain genre d’arrangement semi-colonial avec la Grande-Bretagne, avec la collaboration des deux bourgeoisies.

Je devais préciser ce point parce que Romaric Godin semble sauter l’élément « colonialiste », et penser que je nourris une vision plus traditionnelle selon laquelle le communisme était mieux adapté aux pays développés pour des raisons économiques. Je pense également que c’est le cas (comme je l’écris dans la section 3.2), mais c’est d’une importance secondaire en comparaison avec l’idée que j’ai développée dans les précédents paragraphes.

En outre, cela explique pourquoi je juxtapose la Chine et les États-Unis dans le livre. À la différence des politistes « vulgaires », je ne parle pas simplement de la Chine et des États-Unis pour discuter de leurs différences, comme c’est souvent le cas dans les discussions populaires qui les présentent comme les deux compétiteurs d’une nouvelle Guerre froide. Mon objectif était de fournir une genèse idéologique de l’essor de la Chine et de son adoption du capitalisme politique et non de faire un simple aperçu de la Chine aujourd’hui. Comme le communisme fut, selon cette interprétation, derrière l’essor de la Chine et comme ce dernier tend à transformer le monde, j’affirme que ce fut en effet l’une des principales contributions historiques mondiales du communisme. (La Chine constitue de loin l’exemple le plus important mais je dénombre dix autres pays, de l’Algérie à la Tanzanie, qui pourraient être considérés comme appartenant à la même catégorie et comme ayant répondu aux mêmes forces).

Cela explique aussi pourquoi je ne parle pas de la Russie d’aujourd’hui comme d’un exemple du capitalisme politique (ce qui me vaut une critique de la part de Robert Kuttler dans sa recension du Capitalisme, sans rival dans la New York Review of Books 5). Je pourrais également discuter de la Russie, dans la mesure où elle partage plusieurs caractéristiques du capitalisme politique avec la Chine, mais la Russie ne partageant pas la même genèse historique expliquée ci-dessus, il n’y avait donc pas d’intérêt à l’évoquer dans le livre.

Passons maintenant aux critiques de Godin.

Le capitalisme comme système historique

La première se réfère à mon hésitation entre les caractères naturel et historique du capitalisme. Le capitalisme est-il un système « naturel » ? Godin a raison de noter que je crois que nos désirs et comportements sont le produit d’une socialisation qui implique que le capitalisme est une catégorie historique. Mais « l’hypothèse de l’auteur… que le capitalisme a triomphé grâce à sa capacité à satisfaire les désirs de richesse de la population » semble impliquer que de tels désirs seraient intrinsèques aux êtres humains, ce qui expliquerait mon insistance sur le pouvoir du capitalisme, mais serait en contradiction avec l’idée selon laquelle le capitalisme constitue un système historique. Donc, soit je considère que le capitalisme est un système naturel, soit j’accepte l’idée que le capitalisme puisse être transcendé.

Je l’accepte en effet. Comme je l’ai brièvement décrit à la fin du livre, j’imagine que le capitalisme puisse être remplacé par un autre système : quand le capital devient abondant relativement au travail et que le salariat disparaît. Deux des trois caractéristiques fondamentales du capitalisme seraient alors abolies : pas de salariat, ni de capital comme relation sociale. Nous sommes alors dans un mode de production différent. Est-ce que cela mène à un changement dans notre système de valeurs ? Peut-être. Si l’organisation de la société change, nous pouvons nous attendre à ce que certaines valeurs que nous considérons comme immuables aujourd’hui, notamment l’enrichissement comme premier objectif dans la vie, puissent s’en trouver altérées.

Le capitalisme peut-il s’étendre indéfiniment ?

La deuxième critique est que je ne laisse pas assez de place aux éléments dynamiques du capitalisme, en particulier son besoin permanent d’expansion, impulsé par la recherche de nouvelles activités génératrices de profits. Cependant, comme Godin l’écrit, le capitalisme rencontre aujourd’hui des limites évidentes, apparemment insurmontables : le capitalisme est limité, d’un côté, par le rejet social du creusement des inégalités et, d’un autre côté, par sa faible croissance de la productivité (l’hypothèse de la stagnation séculaire) et l’épuisement des ressources environnementales. Donc, Godin affirme, le capitalisme peut subir de très significatives contraintes dans la poursuite de son expansion. Et sans profit, il n’y a pas de capitalisme. Cette question, comme l’écrit Godin, remonte à Rosa Luxemburg et Henryk Grossman.

Les domaines que le capitalisme est susceptible d’envahir ne peuvent être identifiés à l’avance.

BRANKO MILANOVIC

Mais ici, je pense que c’est la vision de Godin qui est statique, pas la mienne. La vision selon laquelle le capitalisme ne sera pas capable pour une raison ou une autre de trouver de nouveaux champs d’activité se base sur nos propres limites cognitives, à savoir notre incapacité à imaginer ce que seront les nouveaux gisements de profits dans trente à cinquante ans. Nous devons prendre conscience, en particulier aujourd’hui dans l’ère d’expansion du capitalisme dans notre sphère privée (des influenceurs de réseaux sociaux à Airbnb) -un développement que personne n’aurait prévu il y a vingt ans-, que les domaines que le capitalisme est susceptible d’« envahir » ne peuvent être identifiés par avance. Mais en raisonnant par analogie, nous pouvons supposer sereinement que de tels nouveaux domaines seront en effet créés.

Comme nous le savons aujourd’hui, Rosa Luxembourg avait tort, mais il lui semblait raisonnable d’affirmer que l’expansion du capitalisme est finie parce qu’il ne peut toujours trouver de nouveaux domaines sous-développés. C’était toutefois une façon erronée de poser le problème, puisque la domination du capitalisme n’a pas seulement besoin de nouveaux domaines physiques, mais il peut s’étendre à de nouvelles façons d’organiser la production (comme Schumpeter l’a noté), à de nouveaux produits et même à notre temps de loisir. De même, nous ne pouvons aujourd’hui prédire quelles activités peuvent devenir « capitalistiques ». A chaque génération, il semble que le capitalisme ait épuisé les sources possibles de profits, mais ce n’est pas le cas.

Le problème ici est très semblable à celui dont j’ai discuté à propos du changement technologique. Là aussi, nous sommes cognitivement limités. Nous ne pouvons identifier aujourd’hui les emplois qui seront créés par de nouvelles technologies, simplement parce que nous ne savons pas comment les nouvelles technologies peuvent affecter la production et nos besoins. Il semble donc souvent que les nouvelles technologies vont simplement détruire les emplois existants, rendre les travailleurs redondants, sans créer de nouveaux emplois. Mais cette idée a été régulièrement remise en cause au cours des deux derniers siècles. Pourtant nous, la retrouvons à chaque fois qu’une nouvelle technologie entre en scène.

Au même instant de son raisonnement, Godin regrette que le livre ne prête pas plus attention au versant productif du capitalisme. C’est une critique valide. Le livre se focalise, dans les analyses des deux capitalismes libéral et politique, sur le côté distributif et sur la reproduction des élites (qui en soi est corrélée avec les schémas de la répartition). Ce sont mes domaines de spécialité. Malheureusement, le côté productif, les monopoles, les droits de propriété intellectuelle, l’organisation hiérarchique interne de la production capitaliste avec la subsomption du travail au capital, les syndicats, sont des sujets très importants, mais je les ai laissés à d’autres qui en savent bien plus que moi. Ce sujet a été abordé par Anwar Shaikh dans Capitalism et par Marshall Steinbaum dans ses publications sur la nature monopoliste du capitalisme étasunien6.

La définition du communisme

La troisième critique se réfère aux définitions du capitalisme et du communisme. Concernant ce dernier, j’ai bien été conscient des problèmes terminologiques. C’est pourquoi je lui ai dédié toute une section dans le troisième chapitre du livre. Pour le dire brièvement, j’utilise le terme « communisme », quand je discute des économies socialistes (sic), de la même façon qu’il est communément utilisé, en particulier dans la littérature anglo-saxonne : pour désigner les économies où le capital est possédé par l’Etat ou socialement et les décisions relatives à la production centralisées. Je ne pense pas qu’il soit utile d’entrer dans une discussion étymologique et hautement idéologique aussi longtemps que nous sommes clairs dans nos propos. Ce système n’était certainement pas capitaliste : les différences sont nettes.

Je ne discute pas de la société sans classes, parce qu’elle n’a jamais existé.

BRANKO MILANOVIC

Maintenant, il est vrai que, du point de vue marxiste, le terme « communisme » utilisé dans ce contexte est inexact, parce que le communisme est l’étape supérieure (jamais atteinte) où, comme l’écrit Marx, la préhistoire, celle de toutes les sociétés de classes, prend fin et où la véritable histoire humaine commence. Je ne discute pas de ce système, parce qu’il n’a jamais existé. Comme Machiavel l’a écrit avec mépris, « beaucoup ont dépeint des républiques ou des principautés que personne n’a jamais vues en réalité » 7.

Godin soulève cependant un autre point important en ce qui concerne les économies socialistes. Elles n’étaient pas fondamentalement différentes des économies capitalistes, il écrit, parce que dans le « socialisme réellement existant » aussi la loi de la valeur opérait (la production était en effet en valeur d’échange, non en valeur d’usage), les relations dans les entreprises étaient hiérarchiques et le « socialisme réellement existant » était (ou aurait pu être ; je laisse cette question ouverte) une société de classes. C’est quelque chose sur lequel, quand j’étais bien plus jeune, j’ai passé de nombreuses heures à réfléchir et même à écrire (sans rien publier) et pourtant… c’est un sujet important, mais il ne fait pas partie de mon livre. Je traite dans le livre des systèmes de production très clairement définis : le capitalisme libéral ou social-démocrate, les économies socialistes et le capitalisme politique. Tous existent ou ont existé dans la vraie vie. Je suis d’accord avec Godin à l’idée que le « socialisme réellement existant » était un système de production de marchandises. Ce n’est de toute façon pas contesté, même par les marxistes, comme c’est pleinement cohérent avec ce que Marx envisageait pour la période de transition où le surtravail existe toujours, prélevé par la collectivité pour remplir plusieurs fonctions sociales (l’éducation, la santé, l’administration publique) et pour les investissements8.

Donc, je suis d’accord avec Godin, selon qui « si ces régimes bolcheviques ne relèvent pas du capitalisme, ils ne sauraient être non plus du « communisme » au sens marxien du terme, autrement dit un régime où les classes sociales et l’exploitation auraient disparu », mais je ne trouve pas cette critique pertinente. Non seulement pour le livre, mais même pour ces systèmes eux-mêmes, parce que, à strictement parler, ils ne se sont jamais déclarés être « communistes » dans le sens marxiste du terme. Ils se voyaient eux-mêmes comme des systèmes transitoires vers le communisme.

Je pense que la définition que propose Marx du communisme, même si elle représente un « terminus » intéressant à la « préhistoire » humaine, est la plupart du temps un obstacle à la discussion des sociétés qui existent réellement. Une énorme quantité d’encre a été déversée pour affirmer que les régimes socialistes étaient, à un certain point, capitaliste d’Etat, comme Pannekoek, que Godin cite, le pensait et Lénine aussi. Mais je trouve cette discussion presque théologique, plutôt stérile.

Avons-nous besoin d’une alternative au capitalisme ?

La quatrième critique, même si elle n’est pas explicitement présentée comme telle, se réfère au problème suivant : pour que le capitalisme change, supplanté par un autre système, il est faux de croire qu’il doive y avoir une alternative claire : « la lecture de Branko Milanovic qui consiste à prétendre que les systèmes économiques ont toujours été en concurrence est problématique ». Et aussi « la vision d’un capitalisme ayant besoin d’un rival pour succomber semble issue d’une téléologie de la guerre froide ».

Le changement proviendra du système lui-même.

BRANKO MILANOVIC

Si Godin en vient à une telle conclusion, c’est que je n’ai peut-être pas été assez clair dans mon exposé. Je ne pense pas du tout qu’un changement d’une mode dominant de la production doive venir seulement du fait qu’un mode de production différent existe à ses côtés. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée que le changement, comme dans les exemples cités par Godin (les villes du nord de l’Italie et les Pays-Bas), provient du système lui-même. Parce qu’une façon différente d’organiser la production se révèle plus productive, elle empiète peu à peu sur le mode de production alors dominant jusqu’à ce qu’elle le remplace et acquière la suprématie.

Si je distingue entre capitalismes libéral et politique, ce n’est pas pour affirmer que l’un d’entre eux devait nécessairement prévaloir. En effet, ce fut mon désaccord avec la vision fukuyamiste si populaire dans les années 1990 qui m’a en partie amené à écrire ce livre et à évoquer, en particulier à la fin, la possibilité d’une convergence des deux capitalismes. Pour citer Godin, « l’hypothèse d’une fusion des deux formes dans une forme hybride, rapidement évoquée en fin d’ouvrage, semble assez séduisante au regard des évolutions récentes : tendance autoritaire et à la corruption à l’Ouest, développement d’une élite économique ailleurs ».

Enfin, je n’écarte pas la possibilité d’une nouvelle forme qui transcenderait le capitalisme. Mais, comme je l’ai déjà mentionné, cela ne peut être le cas que si la réalité économique « objective » change ; en d’autres mots, si le travail devient un facteur de production relativement rare. Je pense que notre expérience historique nous a souvent prédisposés à croire que la rareté du capital était inévitable et que la propriété du capital devait toujours être concentrée. J’admets que ce fut effectivement le cas durant l’essentiel de l’histoire, mais je ne pense pas que ce doit être nécessairement le cas. La concentration du capital peut être transcendée par des politiques élargissant sa propriété, via l’imposition, l’épargne salariale et même la propriété publique (quand elle est possible). C’est ma définition du « capitalisme populaire ». La rareté du capital peut être transcendée par l’accumulation et le changement technologique dans un contexte de croissance démographique lente, voire nulle. Ces deux développements mettraient un terme au capitalisme tel que nous le connaissons. Mais ces développements ne dépendent pas de la volonté individuelle.

SOURCES
  1. B. Milanovic, Capitalisme, sans rival, La Découverte, 2020. Le Grand Continent en a publié l’introduction.[ndlr]
  2. https://www.mediapart.fr/journal/economie/250920/la-reflexion-inachevee-de-branko-milanovic-sur-le-capitalisme-contemporain
  3. Vladimir I. Lénine, Collected Works, vol. 19, p. 87. Cité dans Paul Sweezy, The Present as History, Monthly Review Press, New York, 1953, p. 24.
  4. Discours de Lénine au deuxième congrès de l’Internationale communiste, à Moscou, le 19 juillet 1920.
  5. https://www.nybooks.com/articles/2020/09/24/can-we-fix-capitalism-branko-milanovic
  6. A. Shaikh, Capitalism. Competition, Conflict, Crises, Oxford University Press, 2016. Pour une présentation des travaux de M. Steinbaum, on peut lire par exemple un article de 2016, « What Role for Antitrust in the Era of Rising Inequality ? The Importance of Power in Supply Chains » – https://promarket.org/2016/08/15/role-antitrust-era-rising-inequality-importance-power-supply-chains/ [NdLR]
  7. Machiavel, Le Prince, chap. 15.
  8. K. Marx, Critique du Programme de Gotha, première partie.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut