Deepwater Horizon : 10 ans après la catastrophe, aucune leçon n’a été tirée

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SOURCE : Mr mondialisation

Cela fait maintenant 10 ans qu’une des plus grandes marées noires de l’Histoire dévastait le Golfe du Mexique, suite à la catastrophe de Deepwater Horizon. Le 20 avril 2010, la plateforme pétrolière du géant britannique BP prenait feu, emportant onze techniciens décédés dans l’incendie, déversant des centaines de millions de litres de pétrole dans la mer et causant des dégâts permanents sur les écosystèmes marins. Aujourd’hui, alors que les conséquences humaines et environnementales continuent d’étonner les scientifiques, il apparaît que l’ampleur de la catastrophe a été sous-estimée, et les pratiques de l’industrie pétrolière demeurent largement inchangées…

Il s’agissait du puits de pétrole le plus profond jamais foré en offshore. La plateforme Deepwater Horizon, appartenant à la société suisse Transocean et louée par l’entreprise britannique BP, était considérée comme l’une des plus évoluées au monde. Elle forait plusieurs puits dans le golfe du Mexique, au sein de la zone économique exclusive des Etats-Unis, dont le Macondo, où la catastrophe a eu lieu. Suite à des défaillances, la plateforme pétrolière explose soudainement le 20 avril 2010, générant l’une des plus importantes marées noires de l’histoire.

Le géant du pétrole BP principal responsable

Ce désastre écologique, qui a causé la mort de 11 employés et d’un nombre incalculable de créatures marines, est sans précédent aux Etats-Unis. Un an et demi après le drame, les autorités fédérales américaines ont présenté leurs conclusions sur l’origine de l’explosion. Leur rapport pointait un défaut du coffrage en ciment du puits, qui aurait dû empêcher le pétrole de remonter, comme « la cause principale de l’accident ». Si la responsabilité de diverses entreprises sont engagées, comme Halliburton et Transocean, les enquêteurs concluent que BP, en tant que propriétaire du puits, est l’ultime responsable de l’accident.

L’explosion de la plateforme Deepwater Horizon, à l’origine de la plus grande marée noire de l’histoire des USA. – Pixabay

Le géant britannique aurait en effet tenté de gagner du temps et de réduire les coûts sans considérer les conséquences dramatiques de ses choix. L’entreprise a donc été condamnée à verser 65 milliards de dollars en frais judiciaires, de dédommagements et de nettoyage. Certaines mesures ont en outre été mises en place par le gouvernement américain et les compagnies pétrolières pour améliorer la sécurité des forages en mer. Mais ces dispositions se révèlent bien trop légères face à l’ampleur de la catastrophe de Deepwater Horizon, qui a été largement sous-estimée par les premières estimations.

L’étendue du désastre sous-évaluée à 30% de la réalité

Deux jours après l’explosion, les autorités réalisaient que du pétrole fuyait toujours de la plateforme à un rythme considérable. Au total, il aura fallu 87 jours pour colmater la fuite, déversant des quantités énormes de pétrole dans la mer. Réalisée en 2015, l’étude de référence de l’Université de Floride présentait des chiffres impressionnants : 795 millions de litres de pétrole seraient remontés du sous-sol océanique après l’explosion et une superficie totale de 149.000 km² aurait été polluée. Il semble pourtant que l’étendue des dégâts ait été sous-estimée d’un tiers.

Il aura fallu 87 jours pour colmater la fuite. – Par DVIDSHUB — Flickr: Skimming Oil in Gulf of Mexico

Un rapport des universités américaines de Miami et de Géorgie paru dans Science Advances en février 2020 estime en effet que les conséquences du désastre sont bien plus graves, les données initiales étant incomplètes. L’étude de référence n’aurait en effet pas pris en compte la totalité du pétrole déversé. « Les satellites ne détectent pas le pétrole en deçà de certaines concentrations pourtant toxiques », déclare ainsi l’océanologue Igal Berenshtein à Sciences et Avenir. Prenant également en comptes les courants marins, ce nouveau rapport avance donc le chiffre de 193 000 km² qui auraient été souillés – au minimum – par la marée noire.

Les écosystèmes marins, premières victimes du drame

Le nettoyage auquel ont procédé les autorités américaines se révèle également insuffisant. Si elles indiquaient à l’époque avoir enlevé entre 70 à 80% du pétrole brut par brûlage, évaporation ou dispersion (ce qui signifiait qu’environ 200 millions de litre demeuraient dans la nature !), des études postérieures ont révélé que l’eau aurait été nettoyée en surface, mais pas en profondeur. En explorant les profondeurs du Golfe du Mexique, la chercheuse Samantha Joye découvrait en effet en 2011 « un tapis huileux de 7.000 km², jonché d’organismes morts et de coraux enduits d’une vase noirâtre », qui recouvrait les fonds marins proches de la plateforme, à 1600 mètres de profondeur.

Si les conséquences de la marée noire sur la santé humaine sont désastreuses, avec une surreprésentation des cas de maladies hématologiques, pulmonaires et cardiaques parmi les quelques 100 000 personnes chargées de nettoyer les plages, les écosystèmes marins demeurent donc les premières victimes de cette catastrophe. En plus des centaines de milliers d’animaux retrouvés morts mazoutés, beaucoup d’espèces souffrent encore, dix ans plus tard, des dégâts causés par l’explosion. « Ce qui rend cette marée noire unique – outre sa taille et sa portée, qui étaient sans précédent – est probablement le nombre de types d’écosystèmes qui ont été touchés. Et à notre connaissance, l’impact réel du déversement n’est pas encore terminé » s’inquiète Tracey Sutton, chercheur en écologie océanique, dans les colonnes du Monde.

Des centaines de milliers d’oiseaux sont morts des suites de la marée noire. – Photo AP

Troubles pulmonaires, cardiaques et de la fertilité

Un autre rapport, publié par l’association Oceana en avril 2020 à l’occasion de ce dixième anniversaire, détaille les conséquences dévastatrices de la catastrophe pour les animaux marins. Beaucoup d’entre eux souffrent de pathologies, comme les grands dauphins qui connaissent des taux élevés de maladies pulmonaires, des problèmes cardiaques et des troubles de la fertilité. Pendant cinq ans, 75 % des grossesses chez les dauphins ont ainsi échoué, faisant fortement baisser leur population.  Des centaines de milliers d’oiseaux et des millions d’invertébrés, comme les huîtres, ont également perdu la vie, et certaines populations de poissons, de crevettes ou de calamars ont baissé de 50 % à 85 %.

Les tortues de mer, préservée par des décennies d’efforts de conservation, ont elles aussi payé un lourd tribut à la catastrophe. Mais c’est également la biodiversité des fonds marins qui a été considérablement affectée. L’état de santé des coraux, florissants dans le Golfe du Mexique avant la marée noire, inquiète tout particulièrement les scientifiques, qui estiment qu’il faudra des décennies voire des centaines d’années pour leur rétablissement. La pollution s’est aussi étendue jusqu’aux côtes, et une partie des biotopes côtiers ont subi des dégâts permanents.

Des leçons qui n’ont jamais été tirées

Si le rapport d’Oceana conclut que l’ampleur exacte de ces dégradations ne sera sans doute jamais connue, elle démontre en tout cas l’absence totale de préparation à ce genre d’accident. Pour Sam Sankar, qui a dirigé les investigations techniques de la Commission Nationale Deepwater Horizon, l’industrie du pétrole, à grand renfort de lobbying intense, a su persuader les politiciens et les Américains de l’importance du pétrole pour leur garantir une prospérité économique, malgré les risques et quitte à renoncer à leur avenir. A la suite de l’enquête, la commission avait formulé une série de recommandations pour améliorer la sécurité et la gestion des forages offshores, à commencer par des réglementations plus strictes les encadrant et une préparation plus poussée aux prochains accidents, qui ne manqueront pas de survenir.

Malgré les dégâts considérables du drame de Deepwater Horizon, les forages continuent de se développer dans la Golfe du Mexique. – Image d’illustration Pixabay

Mais si des efforts timides ont été entrepris sous l’administration Obama, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir a favorisé les intérêts des industries pétrolières, annulant les avancées législatives, et proposant d’ouvrir la quasi-totalité des eaux côtières à l’exploitation pétrolière et gazière. Le dirigeant du Bureau de la Sécurité et du Respect de l’Environnement, Scott Angelle, est d’ailleurs un ancien lobbyiste de l’industrie pétrolière. Malgré l’opposition croissante des communautés et des villes aux nouveaux projets de forage, les géants du pétrole, loin d’avoir été découragés par cette marée noire sans précédent, continuent donc d’exploiter les réserves offshores.

Pour la seule année 2019, la région du Golfe du Mexique avait ainsi produit pas moins de 2 millions de barils de pétrole par jour. Les forages ultraprofonds sont également de plus en plus fréquents, et fournissent aujourd’hui plus de 25% de la production pétrolière mondiale. Et nous ne parlerons même pas ici des conséquences sur le climat. Aucune leçon n’a donc été tirée de ce drame, dont les conséquences dramatiques prouvent une fois encore la dangerosité extrême des exploitations pétrolières, déjà néfastes pour l’environnement même lorsqu’il n’y a pas d’accidents. La mondialisation et nos modes de vie « modernes » reposent pourtant entièrement sur ces structures dévastatrices qui inondent les marchés d’un carburant abondant et bon marché, pour l’instant…

Raphaël D.


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