Après l’assassinat de Samuel Paty

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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Le vendredi 16 octobre 2020 était la veille de la mise en place du « couvre-feu » sur Paris et d’autres grandes villes par un gouvernement qui a laissé galoper l’épidémie de Covid, mais aussi de la manifestation centrale vers l’Élysée concluant la marche des sans-papiers et migrants de toute la France. C’était, en outre, la veille de l’anniversaire, toujours discret, du massacre des Algériens de Paris sur ordre du préfet de De Gaulle, Maurice Papon, le 17 octobre 1961.

Dans la soirée de ce vendredi 16 octobre la population, le monde enseignant, le mouvement ouvrier et démocratique, apprenaient, effarés, qu’un professeur d’Histoire et de Géographie en collège, Samuel Paty, avait été à la sortie des cours décapité pour avoir, parait-il, montré des « caricatures de Mahomet » – avoir « rabaissé le prophète » d’après le tweet de l’assassin, tué peu après par la police. Qu’on puisse assassiner, et de cette façon, conformément au rituel atroce instauré par l’organisation Daesh, un professeur, un « prof », en tant que prof et parce que prof, ne laissait aucun doute sur la nature totalement infâme, réactionnaire, fasciste, d’une telle opération de terreur.

Dès ce moment la réaction populaire, en partie spontanée, en partie venue des sections syndicales de base (sections départementales de la FSU, syndicats de l’enseignement), s’est amorcée. Réaction d’autodéfense sociale, démocratique et laïque, avec drapeaux syndicaux (on apprenait d’ailleurs que la victime, menacée, venait de s’adresser au SNES-FSU). Dans beaucoup de départements et de localités s’est ainsi affirmée une réaction populaire, de la même façon qu’après le massacre du 7 janvier 2015, cela avant l’affirmation de l’ « union nationale » et, de fait, indépendamment d’elle.

Ce même samedi 17 octobre, la manifestation des sans-papiers, des migrants et de leurs soutiens, a été un succès considérable, de plusieurs dizaines de milliers de participants, qui a maintenu, malgré les manœuvres, menaces et provocations préfectorales, le principe de se diriger vers l’Élysée. Mais les médias n’en parlèrent pas, le crime de la veille leur facilitant considérablement un tel silence.

Très rapidement, mais plutôt à partir du dimanche, ainsi qu’il était prévisible, la réaction populaire contre le meurtre d’un Prof, était intégrée à une orchestration d’union nationale dans laquelle présidence, gouvernement, ministère, ont semblé prendre la direction des opérations – dans un contexte de vacances scolaires, de pandémie galopante et de couvre-feux. Le fait que les directions des organisations syndicales, dont la FSU, aient, tout en manifestant des réserves dans la pratique envers un ministre sans crédibilité, parlé de la nécessité de l’ « unité nationale », a bien entendu permis et facilité cette opération, laquelle cependant peine à masquer la réalité, qui ne peut que rapidement reprendre le dessus.

Les plus grands doutes pèsent sur ce qu’avait été l’attitude de la hiérarchie de l’Éducation nationale envers Samuel Paty avant son assassinat. La campagne de presse pilotée par le ministère sur le fait que ce serait « l’extrême-droite » seule qui cultiverait ces doutes ne peut rien changer au fait que les propres communiqués du rectorat de Versailles sont bien en peine de présenter des actes réels de défense d’un professeur qui était depuis début octobre la cible d’une campagne organisée, prenant de plus en plus d’ampleur, visant à le faire passer pour « islamophobe », « voyou » et « blasphémateur ». Ni protection fonctionnelle du fonctionnaire, ni plainte de l’institution – laquelle recevait non seulement le parent, mais aussi le prédicateur islamiste l’accompagnant, lié à l’extrême-droite dieudonniste, arrêté le lendemain du crime -, n’ont pu être mis en avant, et pour cause puisqu’il n’en a rien été. Le rectorat de Versailles affirme avoir soutenu en paroles le professeur, ce qui est à présent invérifiable, tout en signalant qu’il lui avait été demandé de « revenir » sur sa « séance » …

Macron et le gouvernement ne pouvaient que sauter sur l’occasion ainsi fournie pour tenter de légitimer leur projet de loi sur le « séparatisme » tout en le complétant de diverses mesures et déclarations. Ce projet vise à encadrer, d’une manière concordataire et autoritaire, un « islam de France », comptant pour cela sur la collaboration de secteurs religieux. Impliquant l’État dans la religion et la religion dans l’État, il est contradictoire au principe de séparation de la loi laïque de 1905, démocratique et républicaine, structurante malgré les nombreuses atteintes que lui a porté la V° République (surtout en faveur de l’Église catholique).

Les menaces de dissolution d’organisations (nommément le CCIF, qui a déclaré avoir mené des investigations sur l’enseignant assassiné peu avant le crime, à la demande d’un « parent d’élève », et l’ONG islamiste Baraka-City, mais curieusement pas le CIF, Congrès des Imams de France, représenté par le prédicateur d’extrême-droite Sefrioui, qui s’était rendu au collège peu avant le meurtre) ne sont en rien des projets de mesures de défense des libertés publiques contre des organisations qui les menaceraient, mais des manifestations d’autorité d’un exécutif voulant profiter rapidement du choc créé, sans discernement dans ses cibles, comme on le voit quand M. Darmanin ajoute à tout cela des propos équivoques présentant comme « choquant » la présence de rayons halal et casher dans les supermarchés, et que donc le gouvernement lui-même, de fait, joue les agents provocateurs incitant aux affrontements « communautaires » …

En quelques jours, nous avons eu une démonstration politique importante. Contre la réaction islamiste, comme contre la réaction en général, l’exécutif Macron n’est pas un barrage, ni une défense, bien au contraire. La voie de l’affrontement avec la réaction, dont fait partie l’islamisme, et la voie de l’affrontement social avec ce pouvoir, se rejoignent. Le samedi 17 octobre se déroulaient une manifestation de masse des sans-papiers et des migrants, pour la régularisation de tous les sans-papiers, la fermeture des CRA (centres de rétention administrative), un logement décent pour tous, et les manifestations spontanées et syndicales dans tout le pays, pour la laïcité et la liberté d’expression. La voie indiquée ce jour-là par ces deux séries de manifestations est la voie à suivre. Elle exige l’indépendance et l’absence de tout alignement derrière les mesures gouvernementales sur le « séparatisme », la dissolution de telle ou telle organisation, et les discours provocateurs de tel ou tel ministre, et elle combat l’islamisme et le racisme en construisant l’affrontement social, bien avant souhaitons-le, la lointaine année 2022 !

21-10-2020.


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