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SOURCE : Révolution permanente
Crédit photo : Francois Mori / POOL / AFP
« En France, professeurs, les Lumières ne s’éteignent jamais ». Ainsi s’est clôt le discours d’hommage du président de la République à Samuel Paty, cinq jours après son assassinat. Dans un discours qui pourrait apparaître comme une déclaration d’amour au corps enseignant particulièrement choqué après l’attentat de vendredi, Emmanuel Macron a tenté, bien maladroitement, de tenir son rang, d’apparaître, entre les statues de Victor Hugo et Louis Pasteur de la cour d’honneur de la Sorbonne, comme un de ces « grands esprits » dont les discours restent gravés dans le marbre. Mais contrairement à Jean Jaurès, Albert Camus et Ferdinand Buisson (un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme), cités lors de la cérémonie, le projet réactionnaire du président et son hypocrisie morgue n’étaient jamais loin. Chassez le naturel, il revient au galop.
Que penseront les professeurs de cette lettre d’amour que le chef de l’État leur a adressée ? Difficile pour Emmanuel Macron de ne pas faire du « plus beau métier du monde » un symbole républicain par excellence, et d’élever le corps professoral en héros de la Nation. Et pourtant, depuis trois ans, les professeurs et instituteurs étaient loin d’être les héros du gouvernement Macron. Cette année, ils se sont même retrouvés en première ligne face au Covid, les établissements scolaires étant parmi les principaux clusters, sans que le gouvernement n’apporte de solution à la hauteur pour les personnels de l’éducation et se contente de distribuer quelques masques par-ci par-là, quelques fois inefficaces voir dangereux pour la santé de ceux qui les portent.
Tantôt fainéants, ou « décrocheurs », en sous-effectifs et en manque de moyen, dont les conditions de travail ont mené certains d’entre eux au suicide, ces professeurs qu’Emmanuel Macron chérit soudain tant n’ont cessé pourtant d’être, ces dernières années, la cible des gouvernements successifs, et particulièrement du président et de Jean-Michel Blanquer, lui aussi présent à la cérémonie. « Nous continuerons, professeurs. […] Nous donnerons toutes les choses que nous devons à la jeunesse » a même osé dire le président, alors que les lycées sont détruits à petit feu après la réforme des E3C, et que des directrices d’école comme Christine Renon peuvent se suicider dans l’indifférence politique générale. Le gouvernement ne s’était pas arrêté au mépris et à la casse de l’école, mais a par ailleurs continuellement réprimé les professeurs osant lever le petit doigt, à l’instar des quatre enseignants de Melle.
Mais l’hypocrisie du locataire de l’Elysée ne s’est pas arrêtée à son amour des professeurs. Alors que ceux-ci font face tous les jours à des situations sociales de plus en plus difficile, à la pauvreté et la misère qui sont un des meilleurs terreaux de la violence qu’a subi Samuel Paty, le président a cherché à donner à toute la population une leçon de respect et de tolérance dans son discours. « Eux cultivent la haine de l’autre, lui ne voulait sans cesse en voir le visage » expliquait-il, ciblant les « islamistes qui veulent notre futur », avant de promettre : « nous rappellerons que nos libertés ne tiennent que par la fin de la haine et de la violence, que par le respect de l’autre ». Alors que le gouvernement ne cesse, depuis plusieurs semaines, de harceler et de cibler les musulmans comme un ennemi intérieur, le président se permet de dénoncer ceux qui « cultivent la haine de l’autre ».
Mais qui cultive la haine de l’autre, quand les rayons hallal des supermarchés choquent Gérald Darmanin, quand des associations comme le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) ou Baraka City sont menacées de dissolution parce qu’elle dénoncent les actes islamophobes, quand des mosquées sont perquisitionnées et fermées sans aucune raison ? Aujourd’hui, les discours qui prêchent la haine de l’autre sont bien plus sur les plateaux de télévision et dans les discours officiels, dans la bouche du gouvernement et de l’extrême droite, que dans les mosquées. En continuant à pointer du doigt les musulmans, le gouvernement cherche un bouc émissaire et à masquer sa propre responsabilité vis-à-vis du drame de Conflans. Car c’est bien les pots cassés de sa politique islamophobe, qui instille un climat de tension sociale dans le pays, que les professeurs paient quotidiennement.
Cette hypocrisie crasse du Président cache à peine son projet réactionnaire, qu’il veut aujourd’hui décliner à l’école. Loin d’une école émancipatrice, le projet du gouvernement est simple : « redonner au professeur le pouvoir de faire des républicains ». Mais loin d’entendre le mot républicain comme l’entendait jadis Jaurès, le républicanisme du gouvernement est celui du couvre-feu, de l’islamophobie et de l’union nationale. Devant Jean-Luc Mélenchon, François Hollande, Anne Hidalgo, Gérard Larcher, Richard Ferrand, Manuel Valls ou encore Valérie Pécresse, Emmanuel Macron a exhorté à « l’indispensable unité » à laquelle la population devrait se plier, derrière le gouvernement et ses lois islamophobes, une union qui ne pourra se faire que contre tous les musulmans ou musulmans présumés du territoire. Face à ces attaques, face à ceux qui cultivent à visage découvert la haine de l’autre, l’heure n’est pas, contrairement à ce qu’est en train de faire la France Insoumise, à l’union nationale. Elle est à l’union du mouvement ouvrier, politique, syndical, anti-raciste et anti-impérialiste, dans la défense de celles et ceux qu’opprime le gouvernement en raison de leurs croyances et de leurs origines. Elle à l’hommage de Samuel Paty et de tous les professeurs qui sont victimes ces dernières années de politiques de plus en plus dures à leur encontre. L’heure devrait être celle de la Sorbonne estudiantine de 1968, anti-impérialiste et anticapitaliste, et non à celle de Richelieu, qui en son temps avait massacré les protestants à la Rochelle.