AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Le Venissian
Dans un article récent sur General Electric dénoncant le « monopoly capitaliste » qui détruit l’industrie, j’évoquais une condition pour que l’état assure une planification industrielle permettant la maitrise de filières technologiques au service de l’industrie et de l’emploi, des nationalisations donnant des pouvoirs nouveaux aux salariés comme à toutes les parties prenantes.
Cette question a été discutée parmi les militants de General Electric et chez les communistes qui ont souvent abordé cette question dans leur congrès. l’idée de nationalisation est-elle toujours pertinente, alors que celles de 1981 notamment se sont transformées en moyens de restructurations violentes avant des reprivatisations ?
Ce sujet a aussi été abordé par les élus de gauche de Villeurbanne, à l’initiative des élus communistes, pour un voeu au conseil municipal de soutien aux salariés de General Electric, Alstom étant un site industriel majeur historiquement dans cette ville. Le voeu proposé par les communistes, et qui pourrait être soutenu par les insoumis, les socialistes et les écologistes, affirme la nécessité de la nationalisation.
Il est utile d’éclairer la discussion sur ce sujet crucial pour être à la hauteur du défi historique que le capital nous impose pour gagner une réelle reconquête industrielle de la France.
Il faut avoir ce débat à deux niveaux
- un premier très immédiat et tourné vers l’action des salariés pour la défense de General Electric. De ce point de vue, ce qui compte, c’est ce qui rassemble le plus largement possible au service d’un rapport de forces à construire dans le pays
- un deuxième plus théorique et de long terme. Comment organiser un changement de société qui remette réellement en cause ce « monopoly capitaliste » dont on voit les dégâts ? Quelles formes peut prendre l’intervention publique sur des entreprises dont le capital reste privé ? Quels pouvoirs pour les salariés de ces entreprises ? Faut-il redéfinir ce que pourraient être des nationalisations qui ne se transformeraient pas en « capitalisme d’état » préparant des reprivatisations ?
Comment construire un rassemblement populaire pour faire reculer les décideurs de General Electric et relancer cette filière technologique en France ?
C’est évidemment l’urgence pour les communistes, et il serait irresponsable de vouloir régler des débats de congrès internes aux communistes en se servant de cette urgence sociale. La seule question à discuter, difficile d’ailleurs, c’est ce qui permet d’élargir le rassemblement de soutien pour imposer un rapport de forces autour des sites, dans les collectivités locales concernées, et au niveau national pour que la puissance nationale s’impose face aux intérêts privés des actionnaires de General Electric.
Toutes les restructurations d’entreprises conduisent chez les salariés à un débat. Faut-il contester le principe de la restructuration ou négocier les conditions de sa mise en œuvre ? Le plus difficile est bien sûr de contester la finalité et la pertinence de la restructuration ! Car qui mieux que le patron sait ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ? Quand il affirme que la concurrence lui impose de réduire ses coûts, de réduire la production, d’arrêter une activité, qui peut lui dire le contraire ? Il y a bien sûr des militants expérimentés qui peuvent argumenter, il y a des économistes en soutien aux syndicats et aux comités d’entreprise qui font un énorme travail pour contester la légitimité des plans patronaux. Mais nous savons bien que cela ne suffit pas à créer une contestation majoritaire ! D’abord parce-qu’il y a toujours des syndicats, ceux qu’on appelle réformistes, pour justifier la restructuration et tenter de s’imposer comme négociateur des conditions sociales. Dans la pratique, à General Electric comme partout, les salariés se disent vite qu’une forte prime tout de suite vaut mieux qu’une longue lutte qui se terminera au mieux par un repreneur fragile qui n’aura plus les moyens de donner une prime… C’est ce qui s’est passé avec le plan de départ volontaire à Belfort. Des salariés dégoûtés acceptent de fait la toute puissance des actionnaires et cherchent une issue individuelle. Beaucoup ont de vraies compétences et se disent qu’ils retrouveront du boulot, moins bien sans doute, mais débarrassés de cette lourde pression de l’affrontement avec un grand groupe.
Et c’est aussi l’état d’esprit majoritaire de notre peuple, qui conteste fortement le capitalisme, l’accuse des inégalités et des violences sociales de notre société, mais est persuadé que les actionnaires possédant le capital, ce sont les mieux placés pour décider, en tout cas ceux qui peuvent, même si ce n’est alors que dans leur propre intérêt. Il y a une part de vérité dans cette conscience d’un rapport de forces qui est effectivement en faveur du capital, mais il y a une part de défaitisme, de renoncement. Et c’est cette part que nous devons ébranler, que nous devons contester jusqu’à la mettre en doute. Cela suppose de dire clairement ce que nous proposons pour que ce ne soit plus les actionnaires qui décident, seuls, des investissements et donc de l’emploi !
Dans le cas concret de General Electric, il y a plusieurs arguments en ce sens
- pourquoi des intérêts privés des USA décideraient de l’emploi en France ?
- pourquoi accepter la mondialisation capitaliste qui affaiblit nos filières technologiques alors que nous avons besoin d’une filière de l’énergie essentielle à la réindustrialisation de la France comme à la « transition énergétique ».
- comment réinventer une transition énergétique qui ne soit pas celle du marché capitaliste et qui soit à la fois tournée vers l’emploi et la cohérence des filières technologiques et vers la réponses aux besoins individuels et collectifs ?
Tout cela conduit nécessairement à poser la question du rôle de l’état, d’autant que l’état est souvent intervenu dans ce secteur industriel, avec les nationalisations de 1981, puis les privatisations, mais aussi avec la nationalisation temporaire décidée par Sarkozy lui-même, avant de revendre à son ami Bouygues. L’état actionnaire est donc bien capable de s’opposer aux actionnaires privés, même mondialisés, même venant des USA !
Quels objectifs rassembleurs à une nationalisation des entreprises de l’énergie électrique ?
Il s’agit bien sûr d’interdire aux actionnaires privés de General Electric de décider de l’avenir de nos sites industriels, de nos compétences, de nos emplois. Mais il faut en même temps ouvrir une perspective :
- reconstruire la cohérence de la filière technologique complète
- redonner les outils technologiques et industriels du service public de l’électricité
- remettre en cause la transition énergétique capitaliste pour inventer une transition énergétique au service de l’emploi et des besoins sociaux
Le rassemblement pour la défense des sites General Electric (et d’autres entreprises du même secteur d’ailleurs) a un besoin vital d’affirmer l’ampleur des investissements nécessaires de reconquête technologique et industrielle, et d’affirmer l’enjeu de la reconstruction de la cohérence de la filière, de l’amont avec la recherche et développement, la maîtrise des matériaux (cuivres, carbone, terres rares…) jusqu’à l’aval avec la production et la distribution électrique, ce qui suppose de réaffirmer le besoin d’un grand service public de l’énergie, permettant d’ailleurs aussi de gérer la complémentarité des énergies et non pas leur concurrence.
Cela nécessite évidemment une intervention de grande ampleur de l’état, qui ne peut pas se limiter à jouer au grand monopoly en venant compenser les insuffisances du capital privé. C’est ce que peut porter la revendication d’une nationalisation large et porteuse d’un projet global de la filière électricité.
Comment la société que nous voulons doit-elle fonctionner pour éradiquer le chômage ?
Le cas General Electric est bien sûr dans l’actualité et tout à fait illustratif. Mais il nous interpelle sur une question décisive qui concerne toute la société, dans cette fracture politique qui marque notre pays ; une autre société est-elle possible ? et si oui, que peut-on en dire ? comment la nommer ?
Il y a 50 ans, la réponse était simple, claire et connue de tous. Il y avait des sociétés capitalistes et des sociétés socialistes, en confrontation d’ailleurs au niveau mondial. La chute du mur et la dissolution de l’URSS ont tout bousculé à tel point que certains ont affirmé que c’était « la fin de l’histoire ». A l’évidence, ils se trompaient ou plus certainement nous mentaient pour tenter de pousser leur avantage en affirmant qu’il n’y avait « pas d’alternative », le slogan préféré de Margaret Thatcher !
Alors aujourd’hui ? Les communistes cherchaient depuis la « mutation » à construire une « visée » communiste, rompant avec l’histoire des pays socialistes, considérant que le communisme était « déja là » dans les conquis sociaux et qu’il faudrait seulement le faire grandir par des conquêtes successives. Cette vision a été mise en échec par l’histoire, par la violence du capitalisme au plan national comme au plan mondial. Chacun sent bien face à Trump qu’il ne suffit pas d’organiser la société autrement au plan local ou dans un service public pour affaiblir un tel pouvoir d’une oligarchie prête à tout, y compris la guerre, pour défendre ses intérêts. Et concrètement, chacun sent bien que désormais, aucune victoire partielle n’est possible dans ce capitalisme décomplexé, capable de tout pour sa propre survie.
C’est l’un des enjeux principaux de toutes les grandes restructurations d’entreprises, qui sont à la fois le moment ou le capital se montre dans toute sa violence, mais aussi ou le monde du travail est confronté à sa propre capacité à porter une alternative. Comme le dit le manifeste du parti communiste « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Leur capacité à le faire est rudement mise à l’épreuve dans une restructuration détruisant massivement des emplois. Chacun sent bien que toute lutte seulement défensive ne peut au mieux que « négocier des pansements » et alors conforter la légitimité du capital.
Mais comment affirmer la légitimité de ceux qui travaillent à décider à la place du capital de l’avenir de leur entreprise ? La question de la nationalisation est redevenue actuelle, et de manière surprenante, c’est le capital lui-même qui s’en est servie dans les crises successives ces dernières années pour « sauver » un secteur économique. C’est ce qu’avait fait par exemple Nicolas Sarkozy avec Alstom, avant de le revendre à son ami Bouygues… Cette forme de nationalisation, qu’on peut appeler capitaliste, ne change rien au monopoly capitaliste. Elle ne fait qu’ajouter l’état comme acteur de ce monopoly.
Cela pousse certains communistes à rejeter l’idée de nationalisation en insistant sur l’appropriation sociale de l’entreprise par les travailleurs eux-mêmes, sur le rôle du crédit public pour intervenir dans l’économie en « favorisant » les investissements créateur d’emplois.
C’est ce qu’a fait le 38e congrès du PCF considérant que la « visée communiste » supposait un « chemin de lutte » pour l’appropriation sociale des entreprises, une « sécurité emploi-formation » et une démocratisation globale de la société incluant l’entreprise. Le texte du 38e congrès n’utilise pas le terme de « nationalisation ».
Il y a deux raisons de réouvrir ce débat pour les communistes
- la première est de répondre à l’urgence du rassemblement nécessaire face aux restructurations violentes du capital. On ne peut pas seulement affirmer que nous avons une réponse pour demain, une proposition d’un autre fonctionnement de l’économie, il faut pouvoir dire tout de suite comment interdire à un capital précis de décider de l’avenir d’une entreprise. Chacun comprend bien qu’on ne va pas le convaincre, il faut donc un rapport de forces, il faut donc une alternative, autrement dit affirmer qu’on peut se passer de lui ! Oui, l’état peut reprendre en main une entreprise, toute la question étant alors de dire « pourquoi faire ». Mais si on refuse l’hypothèse d’une nationalisation, alors on dit aux travailleurs qu’ils doivent chercher éventuellement un nouvel actionnaire privé, autrement dit, on les renvoie dans la négociation des « conditions » de la restructuration. Du point de vue même du mouvement social, ne pas utiliser la possibilité de nationalisation est un frein.
- la deuxième est que la proposition de sécurité emploi-formation ne s’oppose pas, au contraire, aux nationalisations des grands groupes capitalistes des secteurs stratégiques pour la réindustrialisation de la France. Au contraire, la meilleure manière de construire un nouveau système économique apportant de nouveaux droits aux travailleurs est de le mettre en place dans des entreprises nationalisées ! C’est le point central pour penser une autre société
La sécurité-emploi-formation et les nationalisations
La sécurité-emploi-formation (SEF) proposée par le 38e congrès est d’abord l’invention de nouveaux droits pour les travailleurs
- d’abord l’éradication du chômage avec le droit à un statut permettant de développer massivement la formation comme un moment essentiel du travail, garantissant le salaire lié à la qualification en alternant des périodes de travail et de formation. En résumé, le changement d’un emploi à un autre ne passe pas par le chômage, mais par la formation avec salaire.
- ensuite de nouveaux droits sur la gestion des entreprises, tourné vers l’appropriation sociale de l’entreprise, pour mettre en cause sa finalité réduite aux actionnaires, prendre en compte l’ensemble des parties prenantes, et faire des investissements un enjeu de débat public.
- Elle repose aussi sur la démocratisation de l’économie en organisant le débat et la décision publique sur les investissements, la recherche et développement et le financement.
Mais les promoteurs de la SEF parlent de « pôles publics », de « conférences régionales de mobilisation pour l’emploi » sans le plus souvent poser la question de la propriété du capital et donc des nationalisations. Or, des nationalisations dans le secteur bancaire et financier seraient un atout pour construire un grand pole public du financement. des nationalisations dans de grands secteurs stratégiques, énergie, transport, électronique, chimie,… seraient un atout pour développer concrètement ces nouveaux droits. Ce serait aussi indispensable dans le secteur de la formation massivement investie par des intérêts privés.
On peut esquisser une nouvelle approche globale du projet de société intégrant la nécessité de poser la question de la propriété du capital face à sa violence, et la nécessité de penser autrement l’intervention de l’état et le rôle des travailleurs en tenant compte de l’expérience des nationalisations passées.
Le capital et les droits des travailleurs, entre plan et marché…
La SEF cherche à expliquer comment on peut sortir de la guerre du travail en imposant de nouveaux droits aux travailleurs, en éradiquant le chômage, pas seulement comme une perspective supposant une autre société, mais dans le cadre même du capitalisme. Elle est pensée comme une réponse à la crise qu’a connu le socialisme soviétique, qui était centrée sur le plan, avec un pilotage étatique de toute l’économie qui n’a en rien empêché une terrible défaite et peut-être même en constitue une des raisons.
Mais il faut alors prendre en compte l’expérience chinoise, dont les communistes ont eux aussi tiré des leçons de l’échec de l’URSS et ont donné une large place au marché et aux capitalistes dans leur développement. C’est un sujet qui mériterait un travail de recherche approfondi, d’abord pour sortir de la guerre idéologique qui fait croire que l’URSS se résume à un immense échec économique, alors même qu’elle a permis un développement économique, technologique, social et culturel extraordinaire pendant des décennies avant de connaitre une longue crise qu’avait identifiée le démographe Emmanuel Todd. Mais cette étude comparative serait indispensable pour tirer des leçons des limites d’une planification étatique globale, comme des difficultés d’une planification d’un marché socialiste qui ne construirait pas cette appropriation sociale par les travailleurs eux-mêmes. Le cas Huawei étant alors très intéressant puisque c’est une entreprise détenue par ses travailleurs devenue le symbole de l’affrontement avec les USA… Dans ce cadre, le travail de l’économiste communiste Jean-Claude Delaunay, vivant en chine, est indispensable. Il étudie la différence entre le marché capitaliste que nous connaissons et ce qu’il appelle le « marché socialiste », la différence principale portant justement sur le pouvoir d’état, qui doit pouvoir s’exercer en faveur du peuple, et donc contraindre et encadrer l’intervention capitaliste dans l’économie. Il vient de publier un nouveau livre « Rompre avec le capitalisme, construire le socialisme’ »
Il est sans doute temps de dépasser ce que certains ont vu comme une contradiction entre des nationalisations vues comme une simple étatisation, à la mode soviétique, et le projet de SEF qui serait une alternative pour prendre en compte les droits des travailleurs dans le marché capitaliste.
Au contraire, une approche dialectique conduira à considérer que des nationalisations sont indispensables pour que l’état puisse jouer un rôle dans l’intérêt des travailleurs, pour imposer que les investissements, les choix technologiques deviennent des enjeux de débat public démocratique, pour imposer de nouveaux droits aux travailleurs, c’est à dire justement pour construire une sécurité-emploi-formation qui libère l’intervention des travailleurs dans les entreprises et dans la démocratie globale que nous voulons, dépassant la coupure entre politique publique et marché capitaliste privé.
Il s’agit ainsi de retisser le lien nécessaire des communistes avec leur histoire, assumant nos échecs en réaffirmant notre légitimité à penser une autre société à partir des luttes actuelles, en l’inscrivant dans la perspective d’un socialisme à la française du XXIe siècle ?