A Paris, l’errance des sans-abri dans les rues vidées par le couvre-feu: “C’est la merde, y a plus personne là”

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SOURCE : L'Obs

Avec le couvre-feu, passé 21 heures, les sans-abri sont à nouveau « confinés dehors », seuls.

« Vous avez quelque chose à manger ? C’est la merde, y a plus personne là » : les yeux cernés, les mains tremblantes, Cyril a surgi de la nuit froide et déserte, affamé. Avec le couvre-feu, passé 21 heures, les sans-abri sont à nouveau « confinés dehors », seuls.

Faute d’hébergement d’urgence, le jeune homme est condamné à errer sur les trottoirs parisiens tandis que les derniers retardataires du couvre-feu se hâtent de rentrer chez eux. Comme souvent, ce samedi soir, le numéro 115 du Samu social est saturé.

« Je n’ai rien avalé depuis hier », dit-il nerveusement aux trois bénévoles du Secours catholique qui ont stationné leur camionnette avenue de la République et distribuent de quoi réconforter les plus démunis : de la soupe, du café et du chocolat chaud, quelques biscuits.

« Ce n’est pas grand-chose, on est surtout là pour les soutenir dans leur isolement, parler avec eux et maintenir un lien », explique Philippe Landre, retraité bénévole depuis dix ans.

« Vous avez une paire de chaussettes ? »

Au fil des minutes, les silhouettes recroquevillées par le froid et l’épuisement se font plus nombreuses autour de la petite équipe. « Je peux vous demander si vous avez une paire de chaussettes ? », demande un jeune homme courtois avec un sourire timide, enroulé dans une couverture.

Boukary, sans-papiers mauritanien de 29 ans, répète en boucle qu’il cherche « seulement du travail, n’importe quoi, mais du travail », en avalant quatre madeleines d’un coup, s’étouffant à moitié.

Jusqu’au confinement, il pouvait encore se payer une chambre dans un appartement surpeuplé en cumulant les petits boulots. Mais avec la crise, plus personne ne veut l’embaucher, même au noir, et Boukari n’a nulle part où aller.

Face à la baisse des températures et aux restrictions du couvre-feu, le gouvernement a avancé le plan hivernal au 18 octobre, au lieu du traditionnel 1er novembre, et annoncé l’ouverture de places d’hébergement supplémentaires. Les 28 000 « lits Covid », ouverts durant le confinement, seront également maintenus – portant le nombre total de places à 180 000.

La pression redouble

« Des efforts ont été faits, on ne peut pas le nier. Mais la réalité est là : énormément de gens dorment dehors car ils ne trouvent pas de solution d’hébergement. La situation en Ile-de-France est catastrophique », explique à l’AFP Jean-Philippe Rouxel, délégué du Secours catholique-Caritas.

« Déjà en mal de bénévoles, les associations peinent à maintenir leurs actions » la nuit, tandis que « la pression redouble » au 115, prévenait mi-octobre le Samu social de Paris, chargé d’orienter les personnes vers les places disponibles.

Vers 23 heures, seuls les livreurs en deux-roues et les patrouilles de police sillonnent encore la capitale, abandonnant les sans-abri à leur sort.

Devant la gare de l’Est, un attroupement se forme : les agents de sécurité ont mis dehors Rudy et ses compagnons qui, d’ordinaire, occupent les bancs du hall principal jusqu’à la fermeture, vers 1 heure du matin, avant de se retrouver dans le froid.

« On nous a demandé une attestation de déplacement ! Ils se foutent de nous ou quoi ? », s’insurge le trentenaire moustachu qui vient de se faire braquer sa valise, son portable et sa couverture.

« Il n’y a rien à bouffer, tout est fermé »

Grelottant dans sa doudoune, il fume cigarette sur cigarette, inquiet à l’idée que le couvre-feu puisse être avancé alors que la situation sanitaire continue de se dégrader.

« Ils veulent nous faire crever, Macron n’en a rien à foutre des SDF, lance Rudy. Il n’y a rien à bouffer, tout est fermé. »

Ils sont une petite dizaine autour de lui qui s’invectivent et débattent. Il y a Max, le « patron », à la rue depuis vingt-deux ans, qui tousse beaucoup. Jean-Pierre, sur son fauteuil roulant, accroché à sa bouteille de vin rouge. Ou encore Madame Rose, pas loin de 70 ans, qui avance pliée en deux en tirant son caddie de courses.

« Une petite famille qui se serre les coudes au quotidien, on mange ensemble, on discute », raconte Robert, ancien chef de chantier qui a tout perdu après son divorce, en 2007, et n’a plus aucun lien avec ses trois enfants.

Il explique :

« Moi encore, j’ai une solution grâce à mon Pass Navigo. Je prends le train jusqu’à Meaux, trois allers-retours, et quand il s’arrête, je continue en Noctilien [bus de nuit, NDLR] jusqu’au matin : au moins, il fait chaud, et on est en sécurité. Mais les autres, c’est dur, ils doivent cavaler toute la nuit. »


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