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SOURCE : France culture
Les violences policières sont au cœur du débat public, et soulèvent des questions d’ordre moral, politique et sociologique majeures. Un sujet sensible dont la bande dessinée s’empare sous forme d’enquêtes et de reportages, pour tenter de traduire une réalité complexe et multiple.
Le Rayon BD s’intéresse aujourd’hui à l’une des fonctions que la bande dessinée peut remplir, celle de rendre compte des réalités de notre monde contemporain, celle de décrire, expliquer, analyser, dénoncer parfois, ce qui se passe ici et maintenant dans notre société. Et l’une des problématiques les plus prégnantes ces dernières années, notamment depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, ce sont les violences policières, leurs conséquences et les inégalités systémiques.
C’est ce sur quoi se sont penché.e.s nos invité.es, Amélie Mougey et Didier Fassin, à travers deux ouvrages, où le dessin traduit ce questionnement particulièrement sensible et toujours autant d’actualité, à l’instar du film choc de David Dufresne en salles depuis le 30 septembre : Un Pays qui se tient sage.
La comparaison des deux couvertures permet d’illustrer deux formes de violence policière aujourd’hui. La couverture de La Revue illustrée, qui montre cette violence physique qui s’exerce dans le cadre de l’ordre public ou le maintien de l’ordre et dont le film de David Dufresne donne des illustrations très fortes. Et puis il y a un deuxième type de violence, qui sont des violences beaucoup plus quotidiennes, qui relèvent de ce que l’on appelle dans le langage de la police, la “sécurité publique”, et qui est appliquée presque exclusivement dans les quartiers populaires. Et dans l’entretien d’Assa Traoré dans La Revue Dessinée, elle dit “Mourir dans les rues de Paris ou en banlieue n’a pas la même valeur”. Sur la couverture de “La force de l’ordre”, nous avons voulu montrer quelque chose de tout à fait ordinaire, où la violence ne s’exprime pas par les coups qui sont donnés, mais par l’imposition qui est faite sur un corps, un corps qui ne peut rien, qui est obligé de se laisser contrôler.
Didier Fassin
La bande dessinée comme outil de décryptage
En quoi la bande dessinée peut-elle traduire le réel ? Quelles possibilités offre-t-elle que d’autres formes d’expression ne permettent pas ? Comment s’écrit un reportage ou une enquête anthropologique en bande dessinée ? Ce sont toutes ces questions que le Rayon BD se pose aujourd’hui, avec Amélie Mougey,rédactrice en chef de La Revue Dessinée, un trimestriel d’informations, d’enquêtes et de reportages, qui est devenu depuis son lancement en 2013, un titre de référence parmi ce qu’on appelle les mook, au croisement du livre et du magazine. La Revue Dessinée s’est associée en octobre 2020 à Médiapart pour un numéro spécial intitulé “Ne parlez pas de violences policières”, tiré d’une citation d’Emmanuel Macron en avril 2019 en plein mouvement des Gilets jaunes.
C’est avec cette phrase qu’on s’est accroché pour développer notre propos. Au fil des mois, on voyait une contradiction flagrante entre le discours officiel qui disait “Il n’y a pas de violences policières” et les reportages, les enquêtes notamment celles de Médiapart montrant à la fois les blessures, à la fois l’absence de suites des enquêtes du côté de l’IGPN. On trouvait important de faire la démonstration à partir de cette phrase, que si, il y avait des violences policières, alors il était nécessaire d’en parler et de les visibiliser à travers plusieurs histoires qu’on raconte en bande dessinée. (…) La force de la bande dessinée, elle est là, dans la sensibilité qu’elle peut apporter. Mais ce n’est pas uniquement un étalage de vies brisées, c’est aussi une volonté de décrypter et donner des clés de compréhension.
Amélie Mougey
A ses côtés, Didier Fassin, médecin, anthropologue, sociologue, Professeur à Princeton et à l’EHESS, titulaire de la Chaire annuelle de santé publique au Collège de France. Il publie pour la première fois une bande dessinée, adaptée de son livre La force de l’ordre paru en 2011 aux éditions du Seuil, une enquête sociologique qu’il a “re-créée” avec l’aide de Frédéric Debomy au scénario et Jake Raynal au dessin publié aux éditions Delcourt.
Ce que le dessin permet de mieux restituer, c’est le décalage entre l’imaginaire policier d’un rythme effréné, d’une efficacité sans pareille des scènes d’actions dans les séries américaines, et puis il y a la réalité, avec le temps qui passe sans que rien ne se déroule. Et à la fin, vu que rien ne s’est passé, on va aller contrôler des identités, fouiller et brusquer un peu, insulter parfois des jeunes, systématiquement dans des cités. Ce qui veut dire qu’avec cette enquête ethno-graphique, on va s’intéresser à ces jeunes de milieux populaires et très souvent d’origines immigrées.
Didier Fassin
Archives et musiques
- Emmanuel Macron, le 31 janvier 2020, au Festival International de la bande dessinée d’Angoulême
- Juliette Greco, A la belle étoile, d’un texte de Jacques Prévert (1951)
- Chant de Camélia Jordana, le 2 juin 2020, à Paris lors d’une manifestation contre les violences policières