⚡ ALERTE – la loi sur la recherche prévoit jusqu’à 3 ans de prisons pour les étudiants qui occupent leur fac !

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SOURCE : Hypothèses

La loi de programmation de la recherche prévoit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement pour quiconque “pénètre ou se maintient dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé” 

Le choix du pire contenu possible, et pire encore : compte-rendu de la CMP

Vingt-huit parlementaires se sont réuni·es cet après-midi, pour sceller le sort de la loi de programmation de la recherche. Parmi eux, quatorze avaient pouvoir de voter : neuf hommes et cinq femmes – formant ensemble une « commission mixte paritaire » (CMP) – qui avaient donc la lourde responsabilité de trancher les points de désaccord persistants entre l’Assemblée et le Sénat.

Rappelons d’abord, une fois encore, que seule une portion réduite de la loi se trouvait encore dans le panier des discussions, dans la mesure où les chaires de professeur junior, les CDI de mission ou encore les contrats doctoraux de droit privé avaient d’ores et déjà été acceptés, au moins dans leur principe, par les deux chambres.

Ce qui restait en discussion devant la CMP n’était pas, pour autant, d’intérêt mineur. Nous renvoyons, pour le détail de ces points de discussion, à un précédent papier publié sur Academia. Citons en particulier :

  • Les trois amendements du Sénat qui ont fait tant de bruit ces derniers jours, d’abord, l’un subordonnant les libertés académiques à des valeurs politiques, l’autre créant un nouveau délit propre à l’enseignement supérieur, et le troisième court-circuitant littéralement le Conseil national des universités de la majeure part des recrutements.
  • La reprogrammation budgétaire sur sept années, plutôt que dix.
  • Les nombreux autres points introduits par le Sénat, qui n’ont malheureusement pas suscité l’opposition qu’ils méritaient, telle l’extension, introduite par le Sénat, du « contrat post-doctoral » de droit privé « aux entreprises ayant une activité de recherche et bénéficiant d’un agrément au titre du crédit impôt recherche » ou l’assouplissement des conditions du recours aux CDI de chantier (qui ne sont pas la même chose que les CDI de mission).

Bref, après plusieurs jours de négociations durant lesquels la ministre aura pesé de tout son poids, ces quatorze parlementaires sont parvenu·es à un accord sur le texte du projet de loi (CMP dite « conclusive »). Cet accord a été acté il y a quelques minutes.

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Antacid explosion (c) La vaca vegetariana, 2010

Le contenu de la LPR ne changera plus…

La première conséquence de cet accord est que désormais, le processus parlementaire d’élaboration de la LPR est clos, ou quasiment clos, et on a peine à le croire après des mois et des mois de mobilisation. En effet, il ne reste plus à présent, pour le gouvernement, qu’à soumettre le texte issu de la commission mixte paritaire aux deux chambres pour approbation finale, tout en précisant qu’après une CMP « conclusive », aucun amendement n’est plus recevable sauf accord du Gouvernement (article 45 alinéa 3 de la Constitution). Autrement dit, le contenu de la LPR ne changera plus.

Il était presque sûr, en réalité, qu’il sortirait un accord de cette « commission mixte paritaire », en dépit des étonnantes rumeurs contraires qui circulaient ces derniers jours. Nous avons tiré·es des leçons de l’expérience du désastreux débat au Sénat d’il y a dix jours, en effet : les Marcheurs, les Républicains et les Centristes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont bien trop de convergence idéologique entre eux concernant l’enseignement supérieur et la recherche pour ne pas finir par tomber d’accord sur le projet de loi. Au fond, la LPR ne fait que parachever le mouvement enclenché par la LRU, et la droite sénatoriale, qui avait les clés de l’éventuelle opposition à ce projet de loi, le savait mieux que quiconque.

Le choix du pire contenu possible

Venons-en au contenu du texte issu de la commission mixte paritaire – qui sera donc, désormais, le texte de la loi de programmation de la recherche. L’Assemblée et le Sénat ne l’ont pas encore rendu disponible, mais Academia est en mesure de vous en faire une première synthèse.

Il n’est pas caricatural de dire que ce texte est, sur à peu près tous les points, le pire qui pouvait ressortir de cette CMP.

Il n’y a qu’un seul point de satisfaction, en vérité, mais il concerne un article qui avait de toutes façons peu de chances de passer le filtre du Conseil constitutionnel : le si polémique amendement n° 234, qui subordonnait les libertés académiques au respect des valeurs de la République, est intégralement reformulé, pour être neutralisé. La nouvelle formule qui a été retenue a vocation à ne produire aucun effet juridique, et c’est tant mieux tant on craignait les apprentis-sorciers de la CMP : « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs ».

Pour les autres points cruciaux de la loi qui restaient en débat, en revanche, le pire choix a, à chaque fois, été retenu. Une analyse approfondie reste à faire, mais signalons d’ores et déjà les points suivants :

Le premier point concerne la programmation budgétaire, qui est à nouveau étalée sur dix ans, plutôt que sur sept, alors même que le Sénat avait montré l’inanité d’un tel étalement dans le temps.

Le deuxième point, peut-être le plus attendu de tous, concerne la mise à l’écart du Conseil national des universités (CNU) de l’ensemble des recrutements des professeur·es des universités et d’une part des recrutements des maîtres et des maîtresses de conférences. À ce propos, il existait encore, ces derniers jours, un mince espoir d’obtenir le retrait de cette adjonction introduite par le Sénat par une basse manœuvre de la ministre et d’une partie de la Conférence des présidents d’université(CPU). Sur le CNU, en effet, la mobilisation avait été intense ce weekend, en particulier du côté de la CP-CNU qui a demandé la démission de la ministre, et du côté des facultés de droit qui ont activé leurs réseaux. En vain : la ministre — car c’est bien elle qui, avec quelques présidents de grandes universités veut la peau du CNU — n’en a eu cure.

Tout au plus a-t-elle accepté que soient introduites en CMP deux modifications à l’article 3 bis :

  • La première de ces modifications est de la simple poudre aux yeux. Elle consiste à prévoir que le décret d’application de la loi sera précédé d’une « concertation avec l’ensemble des parties prenantes, notamment des organisations représentatives des personnels, les conférences d’établissements et l’instance nationale ». Il y a une forme d’ironie dans cette précision introduite dans la LPR, après que la ministre ait court-circuité toute discussion parlementaire et syndicale à propos du CNU, et alors même qu’une telle « concertation » préalable au décret d’application n’engage à rien. A rien du tout. Il aurait été difficile, pour la ministre, d’exprimer de manière plus nette son immense mépris pour cette institution collégiale et élue créée à la Libération, la seule instance qui, au niveau national, assure une représentation propre et authentique des enseignant·es-chercheur·ses, et la plus spectaculaire des organisations institutionnelles d’expression des libertés académiques.
  • La seconde des modifications qui a été introduite en CMP concernant le CNU se veut une réponse à la critique consistant à dire qu’évincer le CNU, c’est favoriser le localisme et le mandarinat. C’est une réponse très incomplète, qui, là aussi, confine à la poudre aux yeux : l’autorisation de recruter comme maîtres et maîtresses de conférences des personnes qui ne sont pas qualifiées, qui est une autorisation qui sera donnée par décret, sera donnée « compte-tenu des objectifs en matière de recrutement des maîtres de conférences [n’ayant pas fait leur thèse dans l’établissement de recrutement] ». Vu l’imprécision des termes, c’est faire semblant de construire un barrage, qui n’en est pas un.

Mais la CMP a fait plus fort encore, et c’est le troisième point sur lequel nous insisterons. Car c’est peut-être le point qui, en réalité, nous inquiète le plus — et depuis longtemps. La CMP ne s’est pas contentée de reprendre le désastreux amendement n°147, qui introduisait dans le code pénal une disposition nouvelle, propre aux établissements d’enseignement supérieur, sanctionnant d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 7 500€ d’amende, l’entrave aux débats tenus dans les locaux universitaires. Elle a fait bien pire : elle pénalise désormais :

« le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé […], dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement».

Le nouveau texte de la CMP prévoit même, par un simple jeu de renvoi entre dispositions du code pénal, que lorsque ce délit « est commis en réunion, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende ».

Academia écrivait il y a quelques jours que « La LPR n’est que la première étape d’un mouvement légistique qui en comprendra deux, dont les blocages seront les prochaines cibles ». Et bien, la LPR aura finalement réussi ce tour de force de réunir ces deux étapes en même temps, et c’est très grave : une telle disposition est une arme de destruction massive entre les mains des chefs d’établissement, car punir d’un an à trois ans d’emprisonnement le trouble à la tranquillité ou au bon ordre de l’établissement, c’est, disons-le clairement, la fin pure et simple des contestations sur les campus et la porte ouverte à toutes les dérives autoritaires. Les effets sont simples à deviner, en effet. D’abord, une répression très lourde, que l’on observera très rapidement à l’oeuvre, contre les blocages ou les perturbations de conseils d’administrations et autres instances universitaires. Ensuite, des effets plus insidieux : comme à chaque fois que l’on pénalise un champ qui ne l’était pas, qui plus est en prenant appui sur des critères aussi généraux, on le contraint à s’auto-discipliner de manière préventive ; et, sous prétexte de réagir à quelques entraves ponctuelles, on introduit une atteinte nouvelle à la liberté d’expression, dont les effets insidieux débordent largement les hypothèses initiales. Enfin, n’oublions pas un point essentiel : sur le fondement de cet article, le procureur pourra engager des poursuites, indépendamment de toute plainte du ou de la président·e d’université. Autrement dit, cet article est une autoroute pour la reprise en main des universités, et une attaque très directe – une de plus – contre les vieilles franchises universitaires.

Cet article, en un mot, est scélérat.

Nous concluions notre commentaire des adjonctions introduites par le Sénat dans la LPR par la phrase suivante : « ce qui s’est passé cette nuit au Sénat est ce qu’a connu de pire l’enseignement supérieur et la recherche depuis très longtemps » ; et bien, hormis sur la subordination des libertés académiques à des valeurs politiques, la CMP aura réussi à aller plus loin encore. La loi de programmation de la recherche aura en définitive été une longue chute, étape par étape, dans le pire.

La ministre peut sourire ce soir, en portant, rue Descartes, au milieu de son cabinet auquel se seront joints, nous n’en doutons pas, quelques chefs d’établissements trop heureux d’en être, un toast à un ESR en ruines.


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