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SOURCE : La Sociale
De puissantes mobilisations comparables à celles qui avaient cours avant la crise du Covid, (retraites, Gilets jaunes) se sont développées dans tout le pays pour dénoncer les violences policières dont ont été victimes le producteur de musique Michel Zecler et la dizaine de jeunes présents dans son studio. Crise démocratique, crise policière, crise de la macronie sont révélées une fois encore à l’occasion de ces exactions. La confiance républicaine est fortement ébranlée. Son rétablissement semble incompatible avec le maintien au pouvoir d’Emmanuel Macron, de son gouvernement et de sa majorité minoritaire dans le pays.
Nous sommes en effet loin du simple fait divers, de la bavure policière. Les arguments mis en avant pour tenter de banaliser les quatre voyous sous l’uniforme — « brebis galeuses », « pétage de plombs », « ils auraient déconné »… — tombent à plat. Les témoignages s’additionnent et si les violences commises par ces quatre flics ne constituent fort heureusement pas la règle, elles ne sont pas pour autant des faits isolés.
Libertés menacées
Cette agression aurait pu passer totalement inaperçue, réduite à la riposte légitime de quatre membres de forces de l’ordre à qui, comme ils l’ont déclaré eux-mêmes dans un faux témoignage, la victime aurait voulu dérober leurs armes. Mais les images filmées par une caméra de surveillance à l’intérieur des locaux comme celles filmées par des voisins à l’extérieur ont permis d’établir la vérité.
En pleine controverse sur la loi « sécurité globale », le fil des évènements est dévastateur.
- 1/Pour répondre à la volonté d’Emmanuel Macron en personne, deux députés LREM déposent une proposition de loi censée sécuriser la police. Il y a évidemment là le désir de flatter une clientèle en répondant au mieux aux demandes des “syndicats policiers” qui n’ont d’ailleurs de syndicats que le nom. Depuis les Gilets jaunes, il apparait clairement qu’ils sont devenus un appendice du ministère de l’intérieur.
- 2/Pour répondre encore et toujours à la volonté présidentielle, c’est le ministre de l’intérieur lui-même qui impose l’article 24 en vue d’interdire que soient filmés les policiers. L’utilité de cet article se révèle au grand jour. Il n’y aurait eu ni établissement indiscutable des violences commises dans le studio de musique, ni à l’extérieur par exemple.
- 3/Les organisations syndicales de journalistes — le SNJ en tête — montent au créneau, dénoncent les atteintes aux libertés dont celle d’informer. Le premier ministre Castex est boycotté par la presse. C’est l’affolement d’autant que les réactions se multiplient. Organisations syndicales, LDH, Reporters sans frontières, etc… Matignon tente de reprendre l’initiative. Alors que l’article et la proposition de loi sont votés à reculons par les petits soldats macroniens à l’assemblée, le premier ministre décide d’annoncer une commission pour revoir la rédaction de l’article incriminé.
- 4/Les députés LREM prennent assez mal d’être « considérés comme des serpillères ». Cela peut paraitre étonnant de la part de ceux sur lesquels le pouvoir s’essuie les pieds depuis l’élection de Macron. En fait, c’est la situation d’ensemble qui est insupportable à ceux qui ne voyaient jusque là aucun inconvénient à être considérés comme des paillassons.
- 5/Les « syndicats » de police, comme le ministère de l’intérieur et le gouvernement, tentent de noyer le poisson. “L’article incriminé n’interdit pas de filmer, mais juste de diffuser les images si elles portent atteinte aux policiers”. Mais cela fait flop. Qui en effet décidera qu’atteinte est portée, ou encore à quoi sert de filmer si on ne peut diffuser ?
C’est ainsi qu’une intervention policière déclenche une crise politique avec en toile de fond la crise démocratique, la crise institutionnelle, la crise de la macronie.
Macronie coupable
Les quatre flics et accessoirement les dizaines accourus sur les lieux faisant marque de complaisance envers leurs collègues sont évidemment coupables des faits incriminés. Mais sont-ils les seuls responsables ? A lire la plupart des réactions de membres du gouvernement, oui, sans aucun doute. Et pourtant…
- Le préfet de police Didier Lallement a demandé à ses troupes « de ne pas dévier de la ligne républicaine ». De la part d’un préfet de police qui a cautionné les violences en manifestations, les nasses pour mieux cogner sur les manifestants, les tirs de grenades à profusion, l’utilisation des LBD ou grenades de désencerclement qui ont énucléé ou estropié, voilà qui est cocasse… et assez révoltant.
- Le ministre Gérald Darmanin, principal artisan de la loi restreignant le droit de la presse et couvrant les agissements de la police, a estimé que « lorsqu’il y a des gens qui déconnent ils doivent quitter l’uniforme de la République, ils doivent être sanctionnés, punis par la justice ». Ah bon, les policiers réduits à des « gens qui déconnent » lorsqu’ils entrent en toute illégalité dans un domicile privé, y matraquent, y jettent une grenade, organisent le lynchage ?
- Emmanuel Macron enfin, au sommet de la pyramide, qui dénonce « des images qui nous font honte » avant de déclarer que « La France ne doit jamais laisser prospérer la haine ou le racisme ». Le racisme, nous y voilà. Telle serait la cause des méfaits policiers. C’est simple, moral, consensuel, donc pourquoi se priver ? Certes, les propos des policiers à l’encontre du producteur pendant qu’ils le rouent de coups sont sans ambiguïté. Mais qu’est-ce qui déclenche une telle haine, sinon les ordres donnés à la police depuis des mois de matraquer sans retenue tout mouvement social de contestation de la politique gouvernementale, les ordres de faire état d’une violence toujours redoublée. La gestion de crise sanitaire dans laquelle le pouvoir a usé d’autoritarisme, d’incohérences, d’appel à l’obéissance, d’organisation de la soumission a donné carte blanche aux forces de répression. Ainsi, c’est pour défaut de masque en période de confinement que Michel Zecler a été pris pour cible. Mais il y a des précédents. (Voir“interpellation d’un salarié à Breil-sur-Roya sur son lieu de travail” ).
La Macronie – Macron lui-même – portent la responsabilité première de cette situation. Les Gilets jaunes ont fait hier l’expérience de cette politique ordonnée par le chef de l’état, lui qui aujourd’hui se dit choqué par des images dont il est en réalité le metteur en scène.
crise au sommet
L’établissement des responsabilités est nécessaire pour tenter de répondre à une succession de crises qui menacent directement l’édifice républicain.
La formation des policiers, la remise à plat des missions, l’indépendance de l’IGPN vis à vis du ministère de l’intérieur sont des conditions premières au rétablissement de relations de confiance entre citoyens et forces de l’ordre.
Mais l’essentiel est ailleurs.
Le durcissement du régime, ce bonapartisme qui concentre le pouvoir dans les mains d’un seul homme, prêt à tout pour le garder, est au point de départ de la situation actuelle. Il façonne une hiérarchie aux ordres, soucieuse de ne pas contrarier le pouvoir suprême. Il ordonne obéissance et aveuglement à des hommes de troupe utilisés parfois comme des milices privées au service du pouvoir et de sa politique contraire aux intérêts de l’immense majorité des citoyens. Il libère les forces qui jouissent du pouvoir de violence légalisée.
L’usage à des fins purement politiques des forces de l’ordre par le parti au pouvoir est source d’impunité qui permet toutes les exactions. La volonté de flatter une clientèle donne la parole à des officines d’extrême droite baptisées « syndicats ». Voilà d’ailleurs pourquoi entre macronie et lepénisme il n’y a en l’espèce pas la moindre différence. Les uns comme les autres ont voté et demandé le maintien de l’article 24 qui restreint la liberté de la presse et la liberté d’informer.
En réalité c’est la Macronie et Emmanuel Macron lui-même qui font obstacle au rétablissement de relations de confiance entre police et citoyens. Ce sont eux qui organisent la défiance.
Certaines « lois » de l’histoire se répètent.
En bas on ne veut plus ! C’est bien ce qui ressort à chaque occasion…
En haut on ne peut plus ! C’est ce qu’exprime la crise du pouvoir…
…
Jacques Cotta
Le 1er décembre 2020