Tabassage de Michel Zecler : “Combien de gens ont vécu de pareilles situations sans pouvoir faire valoir leurs droits, faute d’images ?”

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SOURCE : Telerama

Images provenant d’un caméra de sécurité montrant l’agression dont a été victime le producteur Michel Zecler dans son studio de musique, de la part de quatre policiers, le 29 novembre 2020 à Paris. 

David Perrotin est le journaliste qui a révélé le tabassage du producteur de musique Michel Zecler par la police. La vidéo, mise en ligne par le média Loopsider le 26 novembre, dépassera bientôt les vingt millions de vues et a soulevé une vague d’indignation. Retour avec lui sur l’événement.

Sans son travail, il n’y aurait peut-être pas eu d’affaire Michel Zecler. David Perrotin, 31 ans, est le journaliste qui a révélé ce tabassage en règle d’un citoyen par la police républicaine. La vague d’indignation et de colère soulevée par cette vidéo d’une dizaine de minutes, qui dépassera bientôt les vingt millions de vues depuis sa mise en ligne le 26 novembre sur le média Loopsider, ne retombe pas. Et fragilise encore un peu plus l’exécutif empêtré dans un virage sécuritaire et sa loi sur la “sécurité globale”, dont l’article 24, qui limite voire abolit toute possibilité de filmer les forces de l’ordre en intervention, a eu le don de fâcher tout le monde ou presque – en témoignent les centaines de milliers de manifestants samedi dernier à travers la France –, et devrait être totalement réécrit. « ll y a bien un problème structurel dans la police », dit celui qui rejoindra Mediapart dans les prochains jours. Entretien.

Pour le journaliste David Perrotin, « il faut mettre fin à l’impunité de la police ». 
Pour le journaliste David Perrotin, « il faut mettre fin à l’impunité de la police ». 

Comment cette vidéo est-elle arrivée jusqu’à vous ?
C’est tout simple. Lundi 24 novembre, je reçois un coup de fil de l’avocate de Michel Zecler, Hafida el Ali, qui sait que je suis les violences policières depuis plusieurs années ; on s’est d’ailleurs croisé sur une autre affaire. Elle me dit que des faits très graves se sont déroulés le 23 novembre en début de soirée à Paris, dans le 17e arrondissement. Son client a été passé à tabac par plusieurs policiers, puis placé en garde à vue, où il se trouve encore à ce moment-là. Elle me confie aussi qu’une vidéo de l’agression existe. Je me rends donc au studio de musique pour la visionner. Sur place, je vois un peu les dégâts occasionnés, les traces de sang sur les murs… Mais pour être tout à fait honnête, je suis dans un premier temps sceptique, je n’attends pas grand-chose de cette vidéo.

Et puis ?
Au visionnage, je suis vraiment saisi d’effroi devant le déchaînement de violence. Les images sont très dures, la scène paraît interminable. La première question que je me pose : mais qu’est-ce qui a bien pu se passer avant ? Je décide d’interroger les neuf jeunes qui étaient présents sur place ce soir-là, ceux qui sont allés se réfugier dans la salle d’enregistrement. Leurs témoignages correspondent, je décide d’en filmer quatre. Je reviens le lendemain pour réaliser l’interview de Michel, je discute aussi avec quelques voisins. L’avocate a réuni de son côté quelques images tournées par les riverains. Et j’ai bien sûr questionné la préfecture et le parquet, cherché les déclarations des policiers… Mon souci est de disposer d’un maximum d’éléments avant la diffusion. On décide de mettre en ligne le 26 novembre, peu après 9 heures.

“Quand j’ai vu la viralité de la vidéo, j’ai compris que l’opinion publique était en train de s’emparer de l’affaire.”

 

Vous attendiez-vous à une telle déflagration ?
Très sincèrement, non. Je savais que le document était fort, mais je pensais qu’on ne ferait pas plus de 4 à 5 millions de vues, comme pour cette vidéo de juin dernier d’un gamin de 14 ans tabassé par un policier pour un vol de scooter à Bondy. Quand j’ai vu sa viralité, les milliers de vues qui s’accumulent en quelques minutes, j’ai compris qu’il se passait quelque chose, que l’opinion publique était en train de s’emparer de l’affaire. Mon téléphone n’a pas arrêté de sonner pendant quatre jours pour des demandes d’interviews, des questions de journalistes, des compliments… et des témoignages de personnes voulant m’informer d’autres faits de violences policières. Et là, je me dis : combien de gens ont vécu de pareilles situations mais n’ont pu faire valoir leurs droits faute d’images ?

Pourquoi avoir décidé de diffuser une seconde vidéo le lendemain ?
D’autres images m’étaient parvenues, il fallait prendre le temps de tout vérifier. Cette seconde vidéo, où l’on voit plus longuement ce qui se passe à l’extérieur, je la conçois comme un nouvel angle. On voit la passivité de tous les collègues des policiers sur le trottoir, on entend les hurlements de Michel, on voit qu’il est complètement entravé… Elle apporte des informations supplémentaires.

Vidéo d’un voisin, montrant l’agression de Michel Zecler, et diffusée sur le site Loopsider.

Vidéo d’un voisin, montrant l’agression de Michel Zecler, et diffusée sur le site Loopsider.

capture Loopsider

Sur les quatre policiers mis en examen, deux ont été placés en détention. Rarissime, non ?
C’est à ma connaissance une première. Les faits sont très graves : on parle de violences volontaires et de faux en écriture publique. De même, on a rarement vu autant de réactions des politiques, qui vont bien au-delà de la gauche et de l’extrême gauche. L’ancien patron du Raid et co-rapporteur de la loi « sécurité globale », le député LREM Jean-Michel Fauvergue, parle de « barbares revêtus d’uniformes ». L’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a même envoyé un tweet de soutien à Michel… Contrairement à son successeur, Gérald Darmanin, qui n’a pas eu un mot pour la victime.

Avec David Dufresne, vous êtes l’un des rares journalistes à documenter les affaires de violences policières depuis plusieurs années. Pensez-vous que les choses vont enfin changer ?
Je le souhaite sincèrement mais je reste méfiant. Plus d’une fois par le passé, on y a cru et rien n’a changé. Rappelons-nous la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005, les émeutes qui ont suivi… Il y a eu ensuite les violences pendant les manifestations contre la loi Travail et le mouvement Nuit debout en 2016, que je couvrais pour Buzzfeed France [site disparu il y a deux ans, ndlr]. Personne n’avait jamais vu une telle répression à l’encontre d’un mouvement social. Ç’a continué pendant les Gilets jaunes, ce qu’a parfaitement documenté David Dufresne sur Twitter, puis avec son livre Dernière Sommation (Grasset) et son film, Un pays qui se tient sage. Résultat : on nous propose la loi sur la « sécurité globale »… Il faut arrêter de parler de bavures ou de dérapages, mais admettre qu’il y a bien un problème structurel dans la police. Et mettre fin à l’impunité.

Dans quelques jours, vous rejoignez Mediapart. Ils vous ont embauché grâce à ce scoop ?
Pas du tout. Cela fait plusieurs semaines que c’est calé. Mon contrat avec Loopsider, pour qui je produisais une vidéo par semaine, s’achevait fin novembre. Je commence à Mediapart le 7 décembre, où je rejoins le service société pour couvrir les violences policières, mais pas seulement.


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