LE WORKERS’ REPUBLIC ET LE SOCIALISME RÉPUBLICAIN IRLANDAIS

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SOURCE : Hypothèses

LWorkers’ Republic est un journal irlandais publié une première fois, entre 1898 et 1903 en tant qu’organe de propagande d’un parti, l’Irish Socialist Republican Party (Parti socialiste républicain irlandais, ISRP). Il est à nouveau publié entre mai 1915 et avril 1916 année durant laquelle il est publié par la fraction la plus radicale du mouvement ouvrier à Dublin. Durant les deux périodes, il est édité par un même auteur, James Connolly, au nom d’un même courant de pensée, le socialisme républicain. L’Irish Socialist Republican Party, derrière la publication du journal entre 1898 et 1903 est un parti qui se revendique du socialisme républicain, mouvement qu’il a créé en 1896. Cette nouvelle forme de socialisme survient à la fin d’un demi-siècle d’agitation nationaliste en Irlande. Cette agitation indépendantiste et républicaine du mouvement fénian et de l’Irish Republican Brotherhood entre les années 1850 et 1870 prend une forme parlementaire à partir des années 1870 avec le mouvement pour l’Home Rule qui demande l’autonomie de l’Irlande au sein du Royaume-Uni. Simultanément à l’apparition du mouvement parlementaire, le socialisme commence à prendre forme en Irlande mais il peine à s’organiser de manière effective : les partis et clubs socialistes ont une durée de vie très courte, notamment en raison de leur difficulté à prendre position sur la question nationale. L’ISRP apparaît en 1896 et provoque une révolution dans le socialisme et le nationalisme irlandais. En effet, dans sa constitution, le parti pose les bases du mouvement socialiste républicain qui met en lien le socialisme scientifique de Marx, l’indépendantisme irlandais et l’internationalisme socialisme. Ce courant de pensée devient majoritaire dans le socialisme irlandais jusqu’au Soulèvement de Pâques 1916. Il s’incarne initialement dans l’ISRP jusque 1903 puis dans le mouvement syndicaliste révolutionnaire entre 1908 et 1914 et enfin dans l’Irish Citizen Army entre 1913 et 1916.

L’Irish Socialist republican Party, qui publiait le journal entre 1898 et 1903. Photographie prise à Phoenix Park en mai 1901

 

Le Workers’ Republic et le socialisme républicain irlandais

Ce travail de recherche autour du Workers’ Republic offre une analyse de la pensée socialiste républicaine. Le journal constitue une porte d’entrée dans le monde socialiste républicain du début du XXème siècle. Son étude permet de souligner la manière dont le socialisme républicain parvient à conjuguer des principes socialistes, des principes nationalistes alors que l’Irlande est sous occupation britannique, et des principes internationalistes. Ce mémoire cherche à mettre en évidence les évolutions du socialisme républicain entre 1898 et 1916 mais aussi la constance de ses principes et la justification de ses positions politiques. Ainsi, ce travail, soulève les questions suivantes :

  • comment la pensée socialiste républicaine s’exprime-t-elle dans le Workers’ Republic ?
  • comment le journal met-il en scène le lien entre nationalisme et socialisme ?
  • quelle place occupe l’internationalisme dans la pensée socialiste républicaine et dans le Workers’ Republic?
  • quelles sont les évolutions du socialisme républicain de son apparition à la participation de ses acteurs au Soulèvement de 1916 ?

Dans un soucis de clarté, ce mémoire repose sur deux types de chronologie dans l’étude : la première s’attache à mettre en contexte la pensée socialiste républicaine, son apparition et ses évolutions, elle se déploie de 1848 à 1916 ; la seconde, plus restreinte, se concentre autour de la publication du journal de 1896 à 1903 et de 1915 à 1916.

L’étude effectuée dans ce mémoire de master s’intéresse donc principalement à la mise en forme du socialisme républicain dans le Workers’ Republic, et la manière dont ses acteurs théorisent les liens entre trois courants qui marquent l’Irlande au début du XXèmesiècle : le socialisme, le nationalisme et l’internationalisme. Ce travail souligne la co-dépendance des idéologies socialistes et nationalistes dans le mouvement socialiste républicain irlandais, selon la déclaration de James Connolly : « La cause des travailleurs est la cause de l’Irlande, la cause de l’Irlande est la cause des travailleurs[1]. » Le socialisme républicain affirme donc que la libération politique de l’Irlande ne peut s’effectuer sans l’émancipation des ouvriers et que l’émancipation des ouvriers irlandais n’est possible qu’à condition que l’Irlande ait rompu ses liens avec l’Empire britannique. Pour autant, la grande présence du nationalisme dans le mouvement socialiste républicain ne le prive pas d’un caractère internationaliste.

L’internationalisme occupe en effet une place centrale dans les pages du journal durant la première période de publication entre 1898 et 1903. Cette caractéristique du socialisme républicain est perceptible dans la dimension théorique du journal puisque l’internationalisme est exprimé comme un objectif à atteindre dans ses articles[2]. On la retrouve dans sa dimension pratique puisque les financements étrangers et les réseaux de distribution du Workers’ Republic qui garantissent sa parution l’inscrivent dans une dynamique internationale. Les socialistes républicains participent également à la Conférence Internationale de 1900 à Paris. Cette participation leur permet de s’affirmer comme identité nationale au sein de l’Internationale et de se positionner dans le débat entre réforme et révolution lorsqu’ils condamnent la participation de Millerand au gouvernement français[3].

Pour autant, durant la seconde période de publication de 1915 à 1916, on remarque un tournant dans la pensée socialiste républicaine qui se traduit par un recul des principes internationalistes au profit de la lutte nationaliste. Ce recul s’explique par le contexte international de Seconde Guerre mondiale, bien que les Irlandais s’opposent à la décision de la majorité des partis socialistes européens de soutenir la guerre. Ce travail de mémoire observe les évolutions du socialisme républicain entre 1898 et 1916, on y remarque particulièrement l’effacement du mouvement internationaliste et l’apparition d’un discours insurrectionnaliste, absent des débuts du socialisme républicain puisque ses acteurs tablent avant tout sur une stratégie électoraliste avant la Première Guerre mondiale. On remarque à travers le journal que les évolutions politiques du socialisme républicain sont souvent conditionnées par le contexte socialiste international.

Le discours insurrectionnaliste qui apparaît en 1915 était absent des pages du journal durant sa première période de publication mais il n’entre pas en contradiction avec les écrits du journal en 1898. En effet, il existe une critique de l’usage de la force physique dans les premiers numéros du Workers’ Republic, mais cette critique concerne la manière dont les soulèvements irlandais passés ont fait usage de la force en la présentant comme l’unique solution à la libération nationale[4]. Dès 1898, les socialistes républicains prônent un usage stratégique de la force et des élections, selon la situation politique, ils créent donc une pensée politique capable de s’adapter aux évolutions du monde politique national et international. On relève en ce sens un tournant nationaliste entre 1915 et 1916, au détriment de l’internationalisme. Cette évolution majeure s’explique par une modification de la stratégie des socialiste après l’échec du syndicalisme révolutionnaire dont les limites ont été éprouvées à l’issue d’un grand Lock-out en 1913[5]. À la suite de ces événements, les socialistes perdent foi en l’émancipation des travailleurs par la grève mais croient en l’émancipation nationale par la force dans un contexte d’affaiblissement de l’Empire britannique par la guerre mondiale. Ce tournant idéologique se retrouve dans la milice socialiste républicaine créée en 1913, l’Irish Citizen Army[6](ICA) qui devient l’organe principal de la lutte socialiste à partir de 1914. Le socialisme républicain parvient à trouver sa place dans différents mouvements qui traversent l’Irlande au début du XXèmesiècle et théorise sa participation à ces mouvements à travers la presse.

 

 

L’Irish Citizen Army devant le Liberty Hall, (maison des syndicats), Dublin, 1914.

 

L’étude du Workers’ Republic permet donc d’aborder les fondements du socialisme républicain et ses liens avec d’autres courants de pensée en Irlande et dans le monde. Elle est également un moyen pour saisir la manière dont les socialistes républicains justifient leur implication dans différentes luttes politiques. Cette étude donne à voir comment cette justification s’inscrit dans le cadre du mouvement socialiste républicain qui fait preuve d’une certaine adaptabilité qui garantit au socialisme républicain de conserver une ligne politique constante même lors de changements stratégiques et politiques. Enfin, ce travail de recherche met avant tout en évidence les connexions entre les théories socialistes, nationalistes et internationalistes dans un cadre politique de quête d’indépendance nationale dans une Irlande sous domination britannique au début du XXème siècle.

 

Lise Augot

Master histoire

Université de Rouen

 


[1] « The cause of Labour is the cause of Ireland, the cause of Ireland is the cause of Labour » James Connolly, Workers’ Republic, Vol.1, N°46, 08 avril 1916.

[2] William O’Brien, « International Solidarity », Workers’ Republic,Vol.5, N°9, avril 1903.

[3] Daniel O’Brien, « International Socialist Congress », Workers’ Republic, Vol.4, N°17, 6 octobre 1900.

[4] James Connolly, « Physical Force in Modern Ireland », Workers’ Republic, Vol.2, N°9, 22 juin 1899

[5] Le Lock-out de 1913 désigne l’un des conflits ouvriers les plus importants de l’histoire de l’Irlande, durant près de sept mois. Il a opposé des patrons irlandais à des ouvriers irlandais, rendant visible la lutte des classe sur le sol irlandais, la lutte nationaliste ayant invisibilisé les conflits de classe en Irlande jusqu’alors. Foster déclare au sujet de ce conflit : « il apparaissait que la confrontation critique au début du XXème siècle aurait lieu non pas entre le gouvernement britannique et les nationalistes irlandais mais entre le capital irlandais et les travailleurs irlandais. » [« it apppeared that the critical confrontation in early twentieth century Ireland would take place not between the British government and Irish nationalists, but between Irish capital and Irish labour. »] Robert F. Foster, Modern Ireland: 1600-1972, Nachdr., London, Penguin Books, 2011. p. 443.

[6] L’Irish Citizen Army est une armée socialiste fondée durant le Lock-out de 1913 afin de protéger les travailleurs irlandais des violences de la police. À l’issue du conflit, elle est remaniée afin de poursuivre des objectifs nationalistes et socialistes. Elle tient un rôle imptorant dans le Soulèvement de Pâques 1916 et dans sa planification.


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