Macron chasse les réfugiés, chassons Macron.

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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Des réfugiés vidés de leurs tentes, secouées comme on vide un sac, puis pourchassés d’abord dans les rues avoisinantes de la place de la République puis dans tout Paris, ce sont les images des exactions policières du 23 novembre qui, en plein débat sur la loi « Sécurité globale », ont été largement diffusées et ont contribué à l’immense succès des manifestations pour son retrait.

Mais Darmanin avait ouvert la chasse aux réfugiés de la région parisienne la semaine précédente. En fait c’est le 17 novembre que les exactions policières se sont déployées à une échelle de masse contre 3000 réfugiés chassés du camp de Saint-Denis où certains vivaient depuis des mois. De nombreuses associations ont réuni plus de 70 vidéos qu’elles ont notamment adressé au Défenseur des droits, à l’IGPN et, plus efficacement, à la presse. D’autres témoignages étaient diffusés sur les listes des associations de solidarité avec les migrants.

Parmi ces témoignages APLutSoc relaye celui d’Irena Havlicek dont toute l’expérience du soutien aux migrants ne réussit pas à surmonter, ces jours-ci, son désarroi devant la barbarie. Au-delà de la dénonciation du « pas qui a été franchi » le 17 novembre, elle pose les questions pratiques de la solidarité matérielle mais aussi celles de la manière dont « il faut désormais avancerlà on parle de politique » dit-elle. A la lumière de son témoignage on mesure pourquoi la revendication du droit à un logement décent pour les migrants prend toute sa place au côté des exigences de régularisation de tous les sans-papiers et de fermeture des Centres de Rétention Administrative (CRA). Toutes choses pour lesquelles la Marche des solidarités appelle à manifester le 18 décembre prochain à 18h. place de l’Opéra.

Le témoignage d’ I.Havlicek :

« L’inhumanité en marche, qui est déjà là…«

A tous les amis, copains, camarades…


Je n’ai pas trop l’habitude d’utiliser cette liste de diffusion. Mais je me permets de le faire car je pense que l’heure est particulièrement grave. Un pas a été franchi mardi par l’Etat français, qui discrédite définitivement la capacité (et/ou la volonté) de ce pays à respecter les droits humains. Au cours de l’évacuation du campement des « migrants » (majoritairement des réfugiés ou des demandeurs d’asile) de Saint-Denis qui s’est déroulée d’une façon particulièrement désorganisée et violente, plusieurs centaines de personnes n’ont pas été prises en charge (probablement par manque de places).
Dès le dernier bus parti, en début d’après-midi, elles ont été chassées des lieux par les forces de l’ordre qui ont par la suite organisé, pendant tout l’après-midi (puis toute la nuit), une véritable chasse aux « migrants », priés de… « partir ».

Les personnes à la rue n’ont pas pu se rendre à Rosa Parks où une association essayait au moins de leur distribuer de la nourriture et des couvertures. Une autre association avait réussi à payer quelques nuitées d’hôtel pour les personnes les plus vulnérables, mais certaines n’ont même pas réussi à s’y rendre à cause du harcèlement policier. Les CRS sont allés jusqu’à arrêter un bus de la RATP à un feu rouge pour en faire descendre les « migrants » !
Il s’agit de pratiques que font hélas penser à d’autres pages sombres de l’histoire de France. Beaucoup de soutiens sur place sont repartis en état de choc et s’organisent depuis pour compiler les informations et les images pour s’adresser au Défenseur des droits et à l’IGPN.
Pour la première fois, des copains pourtant aguerris (je crois que c’est la 60e « évacuation » en région parisienne) m’ont téléphoné en larmes. De fatigue, de honte et de rage. Parce qu’on ne peut rien faire contre l’absurdité des ordres (d’un côté, la police nationale qui vous renvoie vers Saint-Denis, de l’autre, les CRS qui vous renvoient vers Paris, lacrymos, flashballs… puis plus personne quand un homme se retrouve à terre, incapable de respirer, et qu’il faut trouver des secours…

Il ne s’agit pas d’une manif. Aucune des personnes présentes sur place ne s’attendait à cela. Il s’agit de demandeurs d’asile, des gens qui viennent chercher refuge chez nous, qui attendaient, tranquillement, d’être dirigés vers des hébergements, comme cela est prévu par la loi.
Les demandeurs de refuge sont en état de sidération. Cela fait des semaines qu’ils espéraient cette évacuation pour être enfin à l’abri, et là, ils sont à nouveau dehors, mais cette fois sans rien : les tentes, les couvertures et les sacs de couchage ont été mises à la benne. Et surtout, ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi ils sont traités de cette façon. C’est la question qui revient le plus souvent : pourquoi ?

Mes pauvres bredouillages, désolée, sorry, j’ai honte, I’m ashamed n’ont forcément que peu d’effet.

Mardi soir, nous avons pris la décision de faire dormir une douzaine de personnes par terre, à Zinzolin (une autre était chez moi, deux autres chez une copine…). Dès mercredi matin, nous avons alerté la mairie qui a fait des démarches auprès de la préfecture. Il s’agit de demandeurs d’asile parfaitement en règle, qui TOUS devraient bénéficier d’un hébergement et d’une prise en charge prévus par la loi et les accords internationaux que la France a signé. Puis le verdict est tombé. Il y a zéro solution. Le préfet estime avoir fait tout ce qu’il faut en ouvrant 400 places d’hébergement d’urgence. Il n’y en aura pas une de plus. La mairie, de son côté, ne propose rien.

Les « migrants » qui ont eu le mauvais goût de ne pas se noyer en Méditerranée n’ont qu’à disparaître. On envisage quoi ? Les jeter à la Seine ?

Nous sommes jeudi. On a réussi à trouver deux hébergements solidaires et deux places « officielles » en centre d’hébergement d’urgence (à partir de demain). On lance des SOS car il est impossible de continuer à les laisser dormir dans les locaux de l’association : il s’agit de bureaux et il est strictement interdit de s’en servir comme
d’un logement, c’est notre bail (donc toutes nos activités) qui est en jeu.
Nous ne savons plus quoi faire et nous ne sommes pas les seuls (nous sommes en lien permanent avec les autres collectifs militants de la région parisienne). Acheter de nouvelles tentes ? Pour les planter où ? Réquisitionner un lieu public ? Trouver une maison, un appartement à louer (à Zinzolin*, les personnes concernées sont prêtes à financer collectivement un loyer) par trop loin de Paris (1 heure maxi, à cause de leurs démarches administratives).

Si vous avez une piste, on est preneurs. Si vous avez une idée sur la manière dont il faut désormais avancer (là, on parle de politique), on est preneurs aussi. Et si vous avez une chambre ou un canapé solidaire, on pleure de joie.
Je n’ai pas l’habitude de faire des amalgames, mais il semble désormais acquis qu’il existe à nouveau en France des humains (grosso-modo nous, qui avons encore des droits) et des untermensch (ceux qui n’en ont aucun, malgré toutes les conventions internationales que la France a signées). Et on n’a pas besoin d’un doctorat en Histoire pour comprendre que cela ne présage rien de bon.
En temps normal, mes messages se terminent par « Gardarem lou moral ». Là, j’ai un peu de mal. Mais promis juré, craché, je retrouverai demain ma rage d’incorrigible optimiste. L’Histoire, tout comme ma très modeste expérience, prouve qu’il y a toujours eu des « justes ». Des personnes qui décident, un jour, de sauver l’humanité. L’humanité qui est en nous. Celle qui nous autorise à nous comporter en êtres humains. Et grâce aux demandeurs de refuge, j’en ai déjà rencontré plein. En France et ailleurs. La vita è bella.

Ce qui n’empêche qu’on a terriblement besoin de vous, ne serait-ce que pour relayer l’info.
Tous les faits dont je fais mention sont vérifiés et documentés. Si vous avez un compte face de bouc et l’estomac bien accroché, allez faire un tour sur la page de Frédérique Lebrun, une journaliste qui habite Malakoff, qui a suivi les personnes sur le campement depuis plusieurs semaines et qui était sur place le jour de l’évacuation et aussi après… Si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à nous contacter, on a malheureusement plein de documents et de témoignages atterrants.

Du coup, je ne sais pas comment conclure. Peut-être réaffirmer que nous sommes bien plus nombreux et bien plus puissants que ce qu’on s’autorise à le penser… Ou qu’on a besoin de duvets et de vêtements chauds, et aussi de bénévoles… et de thé et de cuillers (si, si !) et de tas d’autre trucs et que si vous voulez être tenus ou courant, vous pouvez envoyer un mail à zinzolin@possible.news si vous souhaitez qu’on ajoute votre adresse mail à notre liste de diffusion.
Ou alors… (le temps de me relire, j’ai sifflé deux verres de bordeaux) : Gardarem lou moral, putain de bordel de merde. Je sais, les gros mots, c’est pas bien. Mais après tout, je ne suis jamais qu’une vieille réfugiée, le français, je le parle comme vous me l’avez appris 😉

Irena Havlicek

(Malakoff Nuit Debout)

*Association d’accueil de migrants implantée à Malakoff, du nom zinzolin qui désigne une variété de rouge.


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