Denis Robert: “On m’a fait un vrai procès stalinien”

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SOURCE : Telerama

Le journaliste et écrivain Denis Robert : « Ma manière de travailler a visiblement dérangé quelques habitudes, je voulais embaucher des journalistes aguerris pour faire des enquêtes. »

Le journaliste explique comment il a été débarqué du Média, la webtélé proche de la France insoumise. Et annonce le lancement d’un site d’info généraliste sur Internet, Blast.

Il reprend la parole. Licencié sans ménagement début octobre du Média, cette webtélé réputée proche de la France insoumise dont il était le directeur de la rédaction depuis avril 2019, Denis Robert, l’homme qui a révélé l’affaire Clearstream au grand public, revient sur ce qui lui est arrivé. Et repart de l’avant : il vient de sortir un livre sur le fonds d’investissement BlackRock et lancera début 2021 un nouveau média sur Internet, Blast, qui mêlera investigation, débats et émissions culturelles.

Après Sophia Chikirou et Aude Lancelin, vous êtes le troisième directeur en trois ans à être débarqué du Média… 
Très honnêtement, je n’ai rien vu venir. Et ce d’autant plus qu’on était venu me supplier de rejoindre l’équipe à la suite d’une énième crise, qui avait entraîné le départ d’Aude Lancelin. Je vivais très bien avec mes livres et mes documentaires ! Mais ce qui se passait avec les Gilets jaunes, la perspective de la présidentielle 2022 et l’envie de retravailler dans une rédaction, vingt-cinq ans après mon départ de Libération, m’ont convaincu d’y aller. J’avais pour mission de « ramener du journalisme » au Média, c’est-à-dire de lancer des enquêtes et de l’investigation, ce que je sais faire quoi ! Et je crois l’avoir bien fait, on a sorti quelques histoires sur Aéroports de Parisles ehpadla mort de Zineb Redouane… Financièrement, Le Média était en grande difficulté quand je suis arrivé, ils m’ont dit être à la limite du dépôt de bilan, et c’est que pour ça qu’ils venaient me chercher. Dix-huit mois plus tard, en septembre dernier, il y avait 450 000 euros dans les caisses, trois mois de trésorerie. Et on est passés de 150 000 à près de 750 000 followers sur Facebook et YouTube. Je crois que les socios [adhérents de l’association Le Média, ndlr (1)] ont apprécié notre travail !

Quand les choses ont-elles commencé à se gâter ?
Au bout de six mois, quand j’ai voulu nommer un nouveau rédacteur en chef et réorganiser la rédaction, j’ai senti des réticences internes. Ma manière de travailler a visiblement dérangé quelques habitudes, je voulais embaucher des journalistes aguerris pour faire des enquêtes. Certains déjà installés ont pris peur. D’autres, parfois les mêmes, se sont révélés de vrais idéologues, des sortes de crypto-communistes, qui ne voulaient simplement pas de chef. Sauf qu’on m’avait embauché pour diriger la rédaction !

Et puis il y a eu le confinement… 
Je suis arrivé au bout de mon contrat forfait-jour (175 jours, le même qu’Aude Lancelin, paraît-il) en juillet. Je l’ai signifié à la direction de l’entreprise de presse, qui aurait dû le faire passer à 218 jours pour que je puisse continuer à travailler. Ils ont pris ça pour une demande d’augmentation, alors que c’était la seule option possible pour respecter le contrat-jour. J’ai l’impression que c’est ce qui a tout déclenché, ou en tout cas servi de prétexte. J’ai reçu le 11 septembre une lettre assez dingue, où on me rétrogradait car la direction voulait une « plus grande horizontalité », c’est-à-dire une rédaction sans chef, et que l’échelle des salaires ne dépasse pas un pour trois, le tout lié à une transformation des statuts (passage d’association à coopérative). J’avais l’impression qu’ils voulaient me garder pour le décor, comme Philippe Val l’a fait avec Cavanna quand il a repris Charlie Hebdo. Inacceptable pour moi. Comme on ne me laissait pas m’exprimer, j’ai décidé de faire une vidéo sur YouTube le 18 septembre pour expliquer ce qui était en train de se passer et demander aux socios de trancher entre deux projets, le mien et celui de la direction.

Et c’est ce qui a précipité votre licenciement… 
Pour eux, c’est une faute grave. J’ai appris aussi qu’on a monté tout un dossier dans mon dos, où l’on m’accuse de management brutal et de sexisme ! Cela m’a beaucoup marqué et blessé. On m’a fait un vrai procès stalinien. Sur le respect des procédures et de la convention collective, Le Média s’est comporté comme le pire des patrons voyous, que l’on dénonce régulièrement à l’antenne. Vu toutes les irrégularités, j’ai porté l’affaire aux prud’hommes, une audience a eu lieu en fin de semaine dernière. J’ai aussi porté plainte pour diffamation puisque certains se sont déchaînés sur moi sur les réseaux sociaux. Au-delà de ma personne, je trouve que c’est aussi une façon pour Le Média de se saborder. Plusieurs milliers de socios sont d’ailleurs partis depuis septembre, lassés et déçus de ces crises à répétition.

Vous venez d’annoncer la création d’une nouvelle webtélé, Blast, début 2021. Vous faites comme Aude Lancelin qui, après son départ, a lancé un média, Quartier général ?
Je respecte totalement ce que fait Aude Lancelin, j’espère juste qu’on aura un peu plus de moyens. Blast, qui prendra la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) à but non lucratif, proposera de l’investigation, des chroniques, des débats, des émissions culturelles, des reportages sur le monde du travail… Je m’inscris dans la continuité de ce que j’ai fait au Média. Une opération de crowdfunding va être lancée dans les prochains jours, des mécènes vont aussi contribuer. On table sur un budget de 2 millions d’euros en année un. Une vingtaine de personnes travaillent sur le projet, j’en parlerai le moment venu.

Vous avez aussi sorti fin octobre un nouveau livre, consacré au fonds d’investissement BlackRock et son patron, Larry Fink (2)…
BlackRock pèse 7 800 milliards de dollars, brasse 31 000 milliards de dollars de fonds par an. En France, avec toutes ses participations, elle détient environ 4 % du CAC 40 ! Personne ne mesure l’influence que ce géant du capital-investissement quasi inconnu a sur nos vies. Son patron, Larry Fink, est à mes yeux l’homme le plus puissant du monde, plus que Poutine ou Trump. Il a rencontré Emmanuel Macron à plusieurs reprises depuis son arrivée à l’Élysée, il a pesé sur la réforme des retraites. BlackRock a construit un maillage sur tous les marchés mondiaux, donne des conseils et investit, tout en niant les conflits d’intérêts. C’est aussi BlackRock qui a sauvé l’économie américaine après la crise du Covid-19. Son algorithme Aladdin récolte des millions d’informations partout et sur tout le monde. Bref, la finance continue de dévorer nos vies, et on continue de laisser faire.


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