En Nouvelle-Calédonie, le conflit se durcit autour de la vente de l’usine de nickel

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SOURCE : Libération

Des «contre manifestants» occupent un barrage tenu la veille par des militants kanak à Paita, en Nouvelle-Calédonie, mercredi. Photo Théo Rouby. Hans Lucas

Libération, 9 décembre 2020

Le site de Goro fait l’objet de projets de reprise concurrents, autour desquels se cristallise l’opposition entre indépendantistes et loyalistes. Des émeutes ont éclaté, suscitant la crainte d’un regain de violences.

Entre voitures brûlées et gaz lacrymogènes, l’odeur âcre et violente des «Evénements» des années 80 flotte de nouveau depuis lundi en Nouvelle-Calédonie. Le conflit qui dure depuis des semaines et oppose indépendantistes et loyalistes autour du rachat de l’usine de ferronickel du Sud, mise en vente par le groupe Vale, s’était apaisé jeudi dernier après une rencontre sous la houlette du haut-commissaire de la République Laurent Prévost, débouchant sur un compromis signé. Il prévoyait un délai supplémentaire avant de poursuivre le processus de vente de l’usine au groupe de trading suisse Trafigura, le temps que l’offre concurrente de la Sofinor, le bras financier de la province Nord indépendantiste, adossée au métallurgiste Korea Zinc, puisse être affinée. Considéré jusque-là comme non signifiant par Vale, le projet de la Sofinor comprend un actionnariat calédonien majoritaire à 56%, tandis que l’offre de Trafigura limite l’investissement local à 50%.

Puis, ce week-end, l’affaire s’est soudain envenimée. L’Instance coutumière autochtone de négociation (Ican), qui représente les intérêts des indépendantistes et soutient le projet Sofinor-Korea Zinc, est d’abord revenue sur sa signature, accusant Sonia Backès, présidente loyaliste de la province Sud, de manœuvres visant à favoriser le deal avec Trafigura. Sonia Backès, en réponse, reproche à l’Ican de s’être dédit de l’accord sous la pression du Front national de libération kanak et socialiste (FLNKS), qui regroupe la plupart des partis indépendantistes.

Emeutes, banderoles et barrages

Dès l’aube lundi, le conflit a embrasé la rue. Des militants kanak ont sectionné les amarres du navire qui transporte chaque matin les salariés de Vale depuis le port de Nouméa jusqu’à l’usine du Sud, à une heure de mer. Caillassages, saccage de véhicules et de mobilier urbain, tirs de LBD et charges de police se sont enchaînés dans la matinée. Des dizaines d’hommes, foulards noués sur le visage, ont défié les forces de l’ordre, s’en prenant à des passants d’origine européenne, paralysant le centre-ville et faisant ressurgir le spectre des années noires de 83 à 88, quand l’archipel était en proie à une quasi-guerre civile. 47 personnes ont été interpellées et le haut-commissariat a fait part de 17 policiers et gendarmes blessés. Si le calme est revenu à Nouméa dans la journée, notamment à l’appel de l’Ican qui a enjoint ses sympathisants à la responsabilité, le conflit s’est propagé et s’enkyste le long des routes principales. Des barrages aux banderoles bombées «Usine du Sud = Usine Pays» bloquent le trafic du nord au sud.

Au Mont-Dore, commune limitrophe de Nouméa, une station-service a été pillée et incendiée mercredi soir, entraînant la fermeture en protestation de toutes les stations du territoire à compter de jeudi matin. Dans le même temps à Païta, à l’autre bout de l’agglomération, l’ancien maire loyaliste Harold Martin, signataire de l’accord de Nouméa en 98, haranguait des habitants réunis dans une salle de spectacle, avec le mot d’ordre «halte à la chienlit». Au petit matin, des dizaines de partisans de la métropole, certains armés de fusils, sont allés s’expliquer avec les Kanak qui bloquaient la sortie du village. Le barrage a été levé sans violences, mais d’autres se multiplient sur la route territoriale 1, limitant l’accès à l’aéroport international et aux communes plus au Nord.

«On est prêts à la guerre civile»

«On était en vacances sur la côte Est, vu la situation on a écourté pour rentrer à Nouméa. On roule depuis des heures de barrage en barrage. Ils sont tenus par des hommes au visage caché, des piles de cailloux sous la main. Il y des feux partout, ça devient de plus en plus tendu avec le soir qui tombe», témoigne Laura, une jeune «métro» jointe par téléphone sur la route. Elle s’inquiète de ne voir en chemin aucun gendarme. Au Mont-Dore, une opération de police est en cours, sous les jets de pierres, pour tenter de déloger les manifestants et de déblayer la route bloquée par des monticules de gravats, des arbres et des pneus en feu. «Ces mecs sont des voyous, pas des militants, il faut les arrêter avant que le pays parte à feu et à sang. L’Etat doit agir vite», réclame Francis, un habitant retranché chez lui.

L’intervention rapide de l’Etat est probablement l’unique demande qui fasse l’unanimité, du côté kanak et de l’autre. «On est prêts à la guerre civile s’il faut, déclare Raphaël Mapou, chef de clan, docteur en droit public et porte-parole de l’Ican. Chez nous, la maîtrise du sol ne se négocie pas. Seul l’Etat peut arrêter tout ça en trouvant un autre repreneur pour l’usine. Trafigura ne s’installera pas ici.» Deux heures avant ces propos, Vale NC avait annoncé la signature d’un accord ferme en vue de la reprise, avec Trafigura comme actionnaire minoritaire.

Antoine Pecquet, correspondant à Nouméa


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