Salles fermées : de l’absurdité d’un mépris gouvernemental

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Les Inrockuptibles

Thomas SAMSON / POOL / AFP

Jeudi 10 décembre, Jean Castex a annoncé la reconduction de la fermeture des lieux culturels, ainsi qu’un couvre-feu dès 20h à compter du mardi 15. Pourquoi la culture est-elle autant méprisée ? 

 

Oh mais quelle surprise de découvrir que les cinémas, musées, théâtres et salles de concert resteront fermés trois semaines supplémentaires (a minima) ! Comme pour toutes les autres conférences de presse, le gouvernement avait déjà fait courir les rumeurs : 1- de reconduction de la fermeture des lieux culturels qui devaient rouvrir le 15 décembre ; 2 – de l’instauration d’un couvre-feu. Une façon de s’assurer que les Français·es seront déjà au courant par voix de presse et, ainsi, de transformer la prise de parole de Jean Castex et Olivier Véran en simple confirmation de ce que tout un chacun savait déjà pertinemment. Petite malice gouvernementale supplémentaire : plusieurs médias avaient évoqué la possibilité d’un couvre-feu dès 17h sous les yeux stupéfaits d’une population en PLS depuis le mois de mars. Dès lors, l’annonce d’un couvre-feu à 20h pouvait presque paraître clémente voire anecdotique. “20H ? Olala, mais ça va, easy, j’aurais le temps de boucler ma journée de travail !”

Le plus cynique étant la désormais impossibilité de critiquer les mesures gouvernementales sous peine de passer pour un sombre complotiste anti-masques, un hors-sol baignant dans le caviar, un camé de la fête, une limace du dance-floor, quelqu’un qui aimerait jouir de sa vie (my god quelle idée) ! Une impossibilité renforcée par la monstration – lors de cette fameuse conférence de presse – des courbes des contaminations et décès avant la révélation des nouvelles mesures nécessaires pour endiguer la pandémie. Ainsi, le lien de cause à effet est tiré et strictement noué. Les lieux culturels participent hautement de la propagation du virus. Laissons-les fermés.

Questionner les mesures prises, même face à une pandémie mondiale qui nous dépasse toutes et tous, relève pourtant de la bonne santé mentale. Il faut toujours questionner le systématisme, preuve en sont les combats des minorités politiques, qu’il s’agisse de l’anti-racisme ou du féminisme. Il faut questionner le pointage du doigt systématique d’une jeunesse qui pourrait bien perdre le désir de vivre à force d’être prise pour le bouc-émissaire. Il faut questionner l’abandon systématique de l’Art et de la Culture par un gouvernement au climax du mépris. Il faut questionner les priorités, la hiérarchisation. Il faut questionner la lecture dichotomique d’un monde désormais partagé entre les essentiels et les non-essentiels. Bientôt jugés sur notre taux de production et de rentabilité ? Franchement, on en est à deux doigts. Il faut questionner la dangerosité d’une salle de cinéma où tout le monde est assis et masqué. Questionner la dangerosité d’une salle de théâtre où tout le monde est assis et masqué. Questionner la dangerosité d’une salle de concert où tout le monde est assis et masqué. Questionner la dangerosité d’un musée où tout le monde est debout certes mais masqué, à bonne distance (régulation de la jauge par un personnel compétent), et – sauf distribution de kéta par quelqu’un devenu fou (ou pas) – où personne ne se saute dessus pour se rouler de grosses pelles.

Quelle différence existe-t-il précisément avec le BHV situé dans le Marais, à proximité de l’Hôtel de Ville, hystériquement blindé le week-end dernier puisque le grand magasin (grand au sens commercial du terme, attention) avait carrément instauré non pas un mais trois jours de Black Friday ? Des scènes de folie capitalistique donnaient à voir des consommateur·trices se pressant collé·es-serré·es dans les rayonnages étroits et surchauffés afin de faire bouillir voire fondre leur carte bleue. Quelle différence existe-t-il précisément avec le métro bondé aux heures de pointe (les heures qu’utilisent celles et ceux qui n’ont pas le luxe du télétravail, soit pas mal de gens qui font tourner la France, ce pays transformé en vaste entreprise) ? Ce métro où l’on se colle les un·es aux autres, où l’on touche la même barre pour ne pas tomber ?

Il se dirait qu’on ne peut se passer des grands magasins et des transports en commun. Parce qu’il faut bien “faire ses achats de Noël” selon l’expression consacrée. Parce qu’il faut bien se rendre au boulot. L’essentiel réside donc dans la production/consommation placée sous le signe d’une fête chrétienne que le gouvernement estime indispensable à notre survie mentale. Réaffirmer l’importance de Noël, c’est embrasser une religion (et une seule), mais aussi les liens du sang. Les regroupements entre ami·es sont interdits mais il faut préserver les familiaux vous comprenez. Préserver Noël au détriment de tout, c’est oublier la violence de la famille pour celles et ceux qui en ont été rejetés pour leurs opinions politiques, pour leurs envies de liberté, pour leurs orientations sexuelles, pour leurs besoins de survivre loin des brimades et des coups.

Préservons donc le 24 au soir où le couvre-feu sera exceptionnellement levé afin que les familles se réunissent sous le sapin. Faisons en sorte que tout le monde craque et dîne avec leurs parents et grands-parents. Faisons circuler le virus sur tout le territoire, instillons le dans toutes les familles histoire que l’on se reconfine à la sortie de ces vacances exceptionnelles, en janvier. Et puis personne dans les rues après 20h hein ! On le sait désormais, le virus circule la nuit. Le jour, le travail doit le repousser. Et puis le jour, c’est la normalité, le contrôle, la sérénité, la production, la consommation. Le jour, c’est cadré. La nuit par contre, on pourrait bien aller se faire une petite promenade dans les rues, dans cet espace de plein air qui ne nous appartient plus depuis longtemps. Les femmes la connaissaient déjà, l’impossibilité d’être maîtressesdu territoire géographique, de sentir la nuit glisser sur son corps, de s’aventurer seule dans une exploration nocturne. Les autres la découvrent désormais. Ce manque de liberté de mouvement, l’enfermement, la dépossession de soi, mais aussi l’annihilation de la Pensée.

Alors il reste le numérique oui. Mais ce n’est pas que ça la vie, pas uniquement. Et que restera-t-il de la vie justement à la sortie ? Qui sera encore debout, vaillant ? Qui aura envie ? Qui croira en une utopie collective ? Qui créera ? Qui donnera, gratuitement ? Qui sera envahi du désir de l’Autre ?


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut