Sur la prise en charge de la violence des dernières manifs parisiennes et la prochaine

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SOURCE : Lundi matin

Tout le monde commente les récentes manifestations contre la loi Sécurité Globale. D’un côté la police, de l’autre les « casseurs », comme si on pouvait les mettre sur un même plan, comme s’ils combattaient à armes égales et qu’à chaque week-end un nouveau match les opposait. On se demande plus rarement pourquoi des gens viennent en manifestation pour « tout casser ». Quelques sociologues et journalistes s’y essayent maladroitement et révèlent à chaque fois la distance abyssale qui les sépare de la réalité. D’où l’intérêt de ce court texte, plein de fougue et de colère écrit par des lilloises en route pour rejoindre les émeutes parisiennes. On connaît la suite : les émeutes espérées n’ont pas eu lieu, la police a encore une fois nassé le cortège et chargé les manifestants sans raison apparente. Cette séquence invite clairement à des réflexions stratégiques plus poussées. Elle n’enlève rien à la détermination qui s’exprime ici.

On constate que rien n’est dit. Personne ne comprend ce qui se passe parce qu’il ne se passe rien. Il ne se passe rien car la transcendance n’advient que depuis l’agrégat réel (et donc effectif) des corps. Or, nos corps sont éclatés, encapsulés et encapsulant.

Ceux qui parlent hurlent et blablatent, revendiquent, dans des mots hors d’âge, des moyens ringards, des postures has been. Tout le monde geint vaguement, alors qu’on s’en fout, on en a marre, on veut tout détruire, on verra – ou on verra rien – ensuite, de toute façon c’est déjà la fin du monde, celle choisie par l’Empire, et faire ce qu’on fait jusqu’à présent c’est se refuser à garder la main sur nos vies, faire le choix d’un confort écœurant. C’est un aveuglement coupable et à ce titre vous aurez les yeux crevés comme tous les autres.

Que dire de plus, quel commentaire empiler sur tous ceux déjà PRODUITS, on veut tout casser, tout casser, pousser la contradiction du Spectacle jusqu’à l’hébétement, ce qui pointe pour ennemi premier les organisations syndicales et tout autre prolongement déguisé de la police et du pouvoir institutionnel – ces-grosses-merdes (sus à l’abstraction : tous les syndicats sont des bâtards et leur histoire est celle de leur devenir contre-révolutionnaire explicite).

Inutile de chercher à synthétiser les slogans creux dans une revendication unifiée, ni même une contestation unifiée, l’heure est au ras-le-bol des corps, aux haut-le-cœur psychiques. Ce ras-le-bol intime est la seule cohérence qui peut jaillir des contiguïtés, de l’écrasement moléculaire dans lequel nous sommes maintenues et maintenus. Ce ras-le-bol est la seule concrétude, la seule praticité possible ; toute revendication est vague, abstraite : ’nous désirons le monde du précédent état d’urgence’ ; ’nous désirons le monde de quand les crimes raciaux restaient inconnus à la petite conscience des blancs’ ; ’nous désirons le monde d’avant le non-retour écologique, le monde où on pouvait s’en foutre et se concentrer sur la retraite des syndiqué.e.s’

L’atterrement qui est le notre est une évidence. L’évidence se passe d’argumentation. Qui veut prétendre avoir raison au cœur de l’absurde et du dégueulasse ? Nous ne brandissons pas la raison. Nulle révolutionnaire ne l’est devenue par l’exercice de sa faculté de raisonner. Nul révolutionnaire non plus. Ceux qui s’engagent pour avoir raison cherchent à vaincre, conquérir, marquer l’Histoire, remplacer sans abolir la raison d’État ; ceux qui défilent pour asséner la vérité historique, d’où découle un certain programme, reproduisent le geste unificateur de l’État ; en un mot, sont réformistes, enfin, contre-révolutionnaires. La raison est le mode étatique de transcendance de la force par l’autorité et le charisme, décuplement du pouvoir dans l’imaginaire. Nous n’avons jamais autant raison que dans l’analyse a posteriori de nos défaites. Car la raison vient après, la raison est en retard, la raison vaut pour l’Histoire, pour les vainqueurs. Les corps élancés, l’enthousiasme en avant, le seum qui pèse lourd dans nos mains sont les réflexes de réponse à l’injustice indésirée, à la laideur infligée, qui meurtrissent notre impuissance. Notre terrain n’est pas celui du débat. Nous agissons dans l’urgence, car notre survie est urgente, car la spontanéité de notre vie est intelligente et la raison, faussement calme et tranquille, un biais impérial. Le réel immédiat est clair. Il y a une polarité immédiate. Il y a nous, qui désirons détruire, et eux, qui trouvent quelque jouissance à maintenir. Nous ne voulons pas de leur jouissance humiliante. Soyons leur incompréhension, poussons leur Histoire jusqu’à l’absurde, leur délectation à la nausée.

Le Paradis terrestre ne se pratique pas sur des chemins balisés de beaux discours et de numérologie statistique. Nous sommes né-es détraqué-es et nous vivrons le détraquement. Le Paradis est bonheur, le Paradis est bitume qui craque. Évidemment, nous ne revendiquons rien. Évidemment, nous sommes fatigué-es de pinailler. Nous ne voulons plus rassembler. La Révolution n’est pas pédagogie : on ne désire pas la Révolution par un choix intellectuel-objectif. La Révolution est un impératif acquiescé : celui de celles et ceux qui choisissent le bonheur la tête haute et les pieds en bas. La masse critique est atteinte : le poids de nos errements et de notre passivité nous condamne déjà. Au flottement informe de cette Apocalypse répond l’informe de notre soulèvement. Nous avons toutes une bonne raison, et même de bonnes raisons : formulées selon les entrées du logiciel impérial ou non, toutes nos motivations sont réelles.

La seule Assemblée qui vaille est une Assemblée qui pensera les moyens et non la fin. Une Assemblée qui rende intelligible, par et pour un collectif seulement rassemblé par l’intuition, une tactique incarnée dans le moment. Le seul moyen d’agir hors des dispositifs est de les détruire. Nous venons casser, peu importe pourquoi, nous répondrons sous les alcôves aux questions « quoi ? » et « comment ? », selon les seuls paramètres de nos forces. La raison n’émergera que des conditions matérielles de la libération. Ce sont les conditions de possibilités qui font venir à l’existence (Dieu, la justice, la liberté, la pensée) ; nous ne penserons que quand nous aurons conquis les conditions matérielles de l’autonomie de notre pensée. Nous penserons à construire quand il n’y aura plus rien à détruire. Nous envisagerons la conservation quand l’obscène sera dévasté.

Nous sommes les destructeurs, les destructrices et aussi les mères. Nous luttons pour notre émancipation et nous désirons aussi le confort comme le plaisir de la soumission. Nous désirons la reconnaissance de nos faiblesses infligées et leur disparition. Nous l’inspirons et nous avons aussi, peur. Nous sommes duaux-duales et contradictoires, non-synthétiques et aussi la pure négation de leur volonté de nous identifier. Par leur nature même, nos désirs sont irréductibles à toute revendication.

Ils ne le savent pas. Ils ne savent pas que de là nous puisons une force de destruction comme d’engendrement infinie. Détruisons plus qu’ils ne l’imaginent. Terrassons l’imaginaire qu’ils se doivent d’incarner, tordons à l’impossible l’autorité dont ils dépendent pour imposer leur violence. Imposons notre violence, fondatrice de rien, qu’elle soit ingérable, incommunicable, désorientée. Notre courroux est un refus sans appel, car tout ceci ne peut continuer : ce sera sans nous, et très clairement contre eux. Voici venir l’acharnement du désespoir, la stratégie de celles-ceux qui n’ont plus deux options pour exister encore.

Grosses vénères en route pour la capitale


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