Le 14 décembre 1911 : drapeau rouge rue de Dantzig à Paris

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SOURCE : Paris luttes

Il y a plus de cent ans, se déroulait un déménagement à la cloche de bois mouvementé, celui de Georges Cochon. Un personnage dont le combat est toujours d’actualité…

Le 14 décembre 1911, Georges Cochon, secrétaire de l’Union Syndicale des Locataires Ouvriers et Employés, fit son premier coup d’éclat médiatique.

En réalité, il est sur la sellette parce qu’il est engagé dans la lutte « anti propriétaires », au grand déplaisir de Louis Lépine, le préfet de police d’alors, qui s’inquiète des mouvements grandissants de locataires… 
Mécontente d’un locataire si remuant, la propriétaire a décidé de se passer de sa compagnie. Menacé d’expulsion de son logement du 52 rue de Dantzig, il convoque l’union anti-propriétaires. Le concierge affolé face à l’attroupement, prévient alors la police. 
Georges Cochon change alors de tactique, se barricade chez lui, déploie un drapeau rouge à la fenêtre et la banderole suivante : « Respectueux de la loi violée par la police au service du propriétaire, je ne sortirai que contraint par la force ». 
La police ne se fait pas prier pour l’assiéger littéralement, donnant lieu à un ravitaillement de ses voisins pendant 5 jours, à une constatation de violation de domicile par huissier (la police peut violer un domicile, ben ouais !), et une victoire prononcée par le juge qui demande qu’on le laisse tranquille, et surtout, surtout, que le scandale et l’agitation se calment.

Le collectif dont il est secrétaire, l’Union Syndicale des Locataires, Ouvriers et Employés, a un programme clair :

  • l’assainissement des logements insalubres aux frais des propriétaires
  • l’insaisissabilité du mobilier des locataires
  • le paiement du loyer à terme échu
  • la taxation des loyers
  • la suppression de la prime d’emménagement et du « denier à Dieu » au concierge (pourboires informels mais obligatoires dus par le locataire)

Constitué à Clichy dans la ligne des Syndicats anti-proprios de la fin du 19e siècle, il est clairement d’inspiration libertaire. 
Le syndicat s’écharpe à l’époque (comme ça change) sur les modalités d’action, la compromission avec les mairies et autres institutions, l’attaque physique des propriétaires, le recours à l’aide des députés, le soutien au malthusianisme (parce qu’il aide des familles très nombreuses mais ne veut pas être assimilé à ces positions natalistes) etc.

La tactique est la suivante :

  • lister, réquisitionner et occuper les logements vides (propagande par le fait ou action directe)
  • mener une bataille juridique très procédurière contre les propriétaires pour chaque famille mal logée
  • mettre en place des actions médiatiques avec beaucoup de public invité

C’est pourquoi Georges Cochon et ses petit-es camarades trouvent un compromis : une forme d’action directe qui malmène les propriétaires sans danger pour elleux et met les officiel-les le dos au mur. 
Il est donc décidé de mettre un coup de pression par des petites actions peu coûteuses en moyens, plutôt symboliques, et qui peuvent faire boule de neige contre « Monsieur Vautour », le sale proprio.

propriétaire vautour
propriétaire vautour – tu reconnais quelqu’un ?
Daumier

Le syndicat se concentre principalement sur une tradition qui dure et durera bien longtemps : le « déménagement à la cloche de bois ».
On déménage avec ses ami-es avant de payer le loyer du mois à venir au propriétaire.
Autre variante : avant que l’huissier arrive pour saisir tous tes biens afin « d’apurer tes dettes de loyer », les voisin-es du coin ont déjà planqué tout chez elleux. Pratique !

Le syndicat met en place un groupe de bordélisation ultra efficace : le raffut de Saint-Polycarpe, qui est à la fois une équipe de déménagement des locataires expulsés quand ça rate et une brigade de dissuasion de l’expulsion quand le propriétaire a trop honte de se faire remarquer (ou trop peur de se faire chahuter).

Le 28 janvier 1912, opération « Maison avec Jardin » : le syndicat attaque le jardin des Tuileries, y construit une cabane pour dénoncer l’expulsion de la famille Husson. Embarqués au commissariat sans suites, une solution est trouvée pour la famille en la personne d’un bourgeois qui se sent généreux.

Le 10 février 1912 la cabane est reconstruite dans la cour de la préfecture de police afin d’y « loger » une famille nombreuse.
En mars 1912, rebelote dans la cour de la Chambre des députés.
Le 12 avril 1913 avec plusieurs milliers de sans-logis, elle est installée devant l’Hôtel de ville pour faire pression et remettre à l’ordre du jour un vote sur la construction d’habitations à bon marché
Le 24 avril, le syndicat et une foule de centaines de sans-logis prend d’assaut l’église de la Madeleine. 
En juin, elles occupent la caserne du Château d’eau pour y loger 50 familles et leurs enfants.
En juillet 1912, c’est le tour d’un hôtel particulier rue de Vaugirard.

À chaque fois, le syndicat reloge directement ou obtient le relogement de plusieurs familles.C’est « la guerre aux taudis » : le petit peuple parisien, concerné par des hausses de loyers de plus de 25% et vivant dans des conditions d’insalubrité généralisées, est enthousiaste. On n’est pas loin d’une grève des loyers massives.

Malheureusement, comme dans toutes les expériences collectives basées sur des contradictions, Cochon, rattrapé par les deux démons malfaisants des médias et des structures réformistes, se présente… aux élections municipales du 20earrondissement. Exclu de l’Union, il continue ses actions mais devient un marronnier médiatique, récupéré par les journaux comme bouffon de service ; le mouvement est achevé par l’entrée en guerre.

On lui doit néanmoins un gros coup de projecteur sur les luttes de logement, et plusieurs chansons qu’on pourrait remettre au goût du jour (celle-ci n’en fait pas partie mais elle est bien sympa).

Note

Un bel article avec images et coupures de presse ici.

Un article plus fouillé est lisible ici.

Un gros bouquin aussi : Danièle Voldman, Locataires et propriétaires : un histoire française Payot, 2016.


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