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SOURCE : QG
Alors que le verdict concernant l’extradition de Julian Assange est attendu pour le 4 janvier prochain, son avocat français, revient dans un grand entretien exclusif pour QG sur les enjeux de ce procès historique, les menaces qui pèsent sur le fondateur de Wikileaks s’il est livré aux Etats-Unis, et la situation de la liberté d’informer dans des démocraties comme la France, de moins en moins exemplaires
À Londres, le verdict dans le procès pour lequel Julian Assange, fondateur du site Wikileaks, risque une extradition vers les États-Unis, sera rendu ce lundi 4 janvier. Dans cet entretien exclusif accordé à QG, son avocat, maître Antoine Vey, revient sur l’état de santé dégradé d’Assange, sur le risque de torture qui l’attend en cas d’extradition Outre-Atlantique, mais aussi sur le symbole qu’est devenu le fondateur de Wikileaks pour la liberté de la presse à travers le monde, une question plus que jamais fondamentale à l’heure où le droit d’informer est ouvertement menacé dans des démocraties telles que la France et les États-Unis, qui recourent à un contrôle renforcé des opinions et de la vie privée de chacun. Interview par Jonathan Baudoin pour QG
QG : Comment se porte Julian Assange depuis l’ouverture de son procès?
Antoine Vey : Julian Assange est détenu depuis plus d’un an et demi dans la prison de Belmarsh, à côté de Londres, dans des conditions qui sont indignes et qui ont encore aggravé son état de santé. Rappelons qu’il a passé plus de sept ans enfermé dans l’ambassade d’Équateur à Londres, sans avoir la possibilité de voir la lumière du soleil. Les experts qui ont pu voir Julian Assange ont conclu, de manière concordante, qu’il était victime de torture institutionnelle, que son état de santé était gravissime, qu’il avait des pulsions suicidaires, et qu’à la fois ses conditions de détention, mais aussi le risque d’une extradition vers les États-Unis, créent un danger imminent sur sa vie. Julian Assange reste un esprit tout à fait vivace mais, malheureusement, son corps s’éteint, à petit feu.
QG : Pensez-vous qu’il soit encore possible d’éviter à Julian Assange une extradition vers les États-Unis ?
Antoine Vey : La décision de la juge britannique sera rendue le 4 janvier prochain. Il m’apparaît que, concernant l’extradition, Julian Assange n’a pas pu faire valoir ses arguments de manière équitable. En réalité, le droit est, dans ce dossier, une espèce d’artifice que l’on met en avant pour cacher les réelles motivations de l’affaire Assange. Je rappelle que, pendant plus de 10 ans, Julian Assange n’a pas fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la part des États-Unis, et que les faits qui sont visés remontent à plus de 10 ans. Ce qui est le signe d’une accusation purement politique dans laquelle les juristes n’ont pas beaucoup d’espoir, à ce stade.
QG : Pourriez-vous rappeler les enjeux de son procès, à l’approche du verdict, prévu pour ce 4 janvier?
Antoine Vey : L’enjeu principal est de savoir si Assange va être extradé, ou non, vers les États-Unis. C’est-à-dire conduit, de force, sur le sol américain, pour y affronter un procès fondé sur plusieurs charges basées sur une loi de 1917, votée lors de la Première guerre mondiale. On a toute raison de penser, malheureusement, qu’une fois qu’il sera sur le sol américain, son sort sera assimilable à celui de Chelsea Manning, qui a été longtemps enfermée dans des endroits inconnus, probablement torturée. Et rien, ni personne, ne pourra alors garantir qu’Assange ne va pas être soumis à la face la plus sombre des États-Unis, sous couvert d’une forme de légalité que les Américains seuls connaissent, au nom des nécessités de la protection de la nation, et qui vise à faire plier un individu pour qu’il avoue ce qu’on souhaite qu’il avoue, pour ensuite le faire condamner, puis l’éliminer. Physiquement peut-être pas, parce que Julian Assange est un personnage connu. Mais du moins, pour faire en sorte qu’il ne puisse plus jamais accomplir son travail.
QG : Que pensez-vous de l’attitude de la presse mainstream depuis quelques années dans cette affaire ? Beaucoup lui reprochent de s’être montrée ingrate à l’égard du travail fourni par Assange et Wikileaks. Avez-nous néanmoins rencontré un certain soutien de sa part?
Antoine Vey : Assange a toujours été un personnage assez clivant. Les gens n’ont jamais vraiment compris l’importance de Wikileaks pour la liberté d’expression, la liberté d’informer, parce que cette activité a été parasitée par deux phénomènes. D’abord, Assange a un caractère provocateur, ensuite, il a fait l’objet d’une campagne de dénigrement, probablement instrumentalisée par les États-Unis, dans le but de décrédibiliser son image. Ces deux facteurs étant mis bout à bout, l’opinion publique n’a pas compris l’importance que Wikileaks a pour la liberté d’informer. Ensuite, comme toute personne qui invente quelque chose de nouveau, Assange a été ignoré, ou mis au ban, par une partie des journalistes, qui ne l’ont pas reconnu comme un des leurs, pendant un certain temps. Je crois que c’est en train de changer. Aujourd’hui, tout le monde comprend que si Assange est emprisonné, c’est uniquement pour avoir diffusé des informations qui sont vraies. Or on ne peut pas exercer notre droit démocratique dans une société au sein de laquelle on ne connaît pas la vérité. Si quelqu’un peut être poursuivi, et d’une certaine façon, anéanti, parce qu’il a diffusé des informations qui sont vraies, la prochaine étape est qu’on s’attaquera aux journalistes traditionnels.
QG : Un de ses anciens avocats, maître Éric Dupond-Moretti, est devenu ministre de la Justice en France. Estimez-vous que cela pourrait être un élément positif dans le dossier Assange?
Antoine Vey : Éric Dupond-Moretti (ex-associé dans le cabinet d’Antoine Vey, NDLR) fait partie d’un gouvernement dans lequel il peut faire entendre sa voix, mais qui, pour le moment, sous l’égide du président Emmanuel Macron, n’a pas tendu l’oreille aux demandes de Julian Assange. Notre travail, en tant qu’avocats, est d’essayer de faire comprendre à nos dirigeants, Éric Dupond-Moretti inclus maintenant, que c’est un sujet important pour la France, important pour les valeurs que défend la France et dans lequel il faut, peut-être, savoir faire primer le principe sur la realpolitik. J’ai demandé au président de la République de pouvoir lui soumettre des éléments précis pour qu’il puisse être informé. Pour l’instant, nous n’avons pas eu de réponse et nous continuerons, autant que possible, à faire entendre notre voix. Ce qui nous intéresse, c’est que l’opinion publique française, dans sa globalité, connaisse le cas Assange, se mobilise, et fasse prévaloir l’importance du cas Assange pour la défense des libertés.
QG : Vous avez évoqué, tout à l’heure, la « face sombre des États-Unis », avec la torture et la peine de mort. Qu’est-ce qui attend Assange, très concrètement, en cas d’extradition vers les Etats-Unis ?
Antoine Vey : Il encourt une peine cumulée de 175 ans de prison. 175 ans de prison, ça veut dire que vous allez mourir en prison. Par ailleurs, je le répète, rien ne garantit qu’une fois sur le sol américain, Julian Assange ne sera pas victime de comportements qui sont assimilables à de la torture. Il faudrait qu’on rentre dans le détail très précis de ce que veut dire la torture au 21e siècle. Cela peut inclure le fait de vous laisser seul dans une pièce pendant plusieurs jours sans savoir quelle heure il est. Cela peut consister dans le fait de vous soumettre à des interrogatoires qui n’ont aucun sens dans un endroit où vous ne pouvez voir personne. Cela peut être une mise à l’isolement, sans contact avec vos tiers, et sans aucune information. C’est ce type de torture dont Julian Assange a été, de l’aveu concordant des experts, et continue d’être aujourd’hui la victime. La politique des États-Unis sous l’administration Bush était de dire : « N’est pas un acte de torture un acte qui ne cause pas un préjudice physique permanent ». Ça laisse, quand même, toute latitude pour trouver des moyens de torturer les gens sans les blesser physiquement, mais en les altérant de manière indélébile sur le plan psychique.
QG : Au vu des derniers dispositifs législatifs visant notamment les droits de la presse en France, peut-on dire que la liberté d’expression est en danger dans des pays qui, comme le nôtre, étaient hier encore tenus pour des démocraties occidentales de référence?
Antoine Vey : La tendance est au recul des libertés en ce moment, dans une période où nous traversons des crises multiples, économique, sanitaire, terroriste, etc. Il faut, quand même redire que, globalement, nous vivons dans un monde dans lequel on offre de plus en plus de libertés aux individus. Mais ces libertés sont parasitées par des contrôles de plus en plus importants, facilités notamment par les nouvelles technologies, qui permettent d’espionner les gens, de les enregistrer, de les filmer à leur insu, et d’utiliser tout cela pour réinstaurer un contrôle sur eux. Des gens comme Assange ou Snowden ont été confrontés, en direct, à l’hypocrisie des démocraties, qui consiste dans un premier temps à faire croire aux gens qu’on leur offre davantage de libertés, pour dans un second temps, de manière occulte, souterraine, interdite, illégale, opérer des contrôles, voire même opérer des assassinats en masse. C’est ce qu’a dénoncé la vidéo Collateral murder (Vidéo du 12 juillet 2007 à Bagdad, révélée par Wikileaks, documentant un crime de l’armée américaine ouvrant le feu sur des civils irakiens, NDLR), qui a mis, à mon avis, devant les yeux du monde, des pratiques que l’on soupçonnait mais qu’on n’arrivait pas à établir. Et ce sont ces pratiques-là contre lesquelles on peut se battre, parce qu’il n’y a pas de liberté réelle s’il n’y a pas de connaissance et d’information véridique. Qu’il s’agisse de la liberté d’expression, de la liberté de conscience, de la liberté de pensée, de la liberté de se mouvoir, si vous êtes dans un espace dont vous ne connaissez aucun des sous-bassements, vous ne faites que répéter ce qu’on vous a demandé de répéter. L’enjeu de la transparence de l’information, c’est de permettre à chacun d’élaborer un raisonnement critique qui est le signe de sa propre liberté.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Avocat aux barreaux de Paris et de Genève, ancien Secrétaire de la Conférence, maîtreAntoine Vey, 36 ans, était l’associé d’Eric Dupont-Moretti avant la nomination de ce dernier comme garde des Sceaux en France. Il assure actuellement la défense de Julian Assange, fondateur de Wikileaks.