Faut-il s’inquiéter de l’évolution du SARS-CoV-2?

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : La vie des idées

Les mutations du virus impliquent-elles une adaptation susceptible d’augmenter sa virulence et de contourner l’immunité induite par les vaccins ? Toute évolution relève de causalités complexes, aléatoires et partant difficiles à évaluer.

Le virus SARS-CoV-2 a démontré une capacité exceptionnelle à perturber le fonctionnement de nos sociétés. Mais le SARS-CoV-2 pourrait-il évoluer de façon à poser des problèmes plus grands encore ? Tous les virus évoluent et le SARS-CoV-2 qui circule actuellement n’est déjà plus exactement le même que celui qui a été séquencé en Janvier 2020. De nouvelles mutations sont régulièrement observées. Le plus inquiétant dans l’idée d’évolution d’un pathogène comme le SARS-CoV-2, est sa possible adaptation – une adaptation qui pourrait augmenter sa transmission, sa virulence ou sa capacité à contourner l’immunité induite par des vaccins. À l’heure actuelle, il est difficile de dire si la nouvelle souche détectée au Royaume-Uni a acquis de telles adaptations. Les données disponibles issues du séquençage de virus isolés de patients échantillonnés en Angleterre depuis septembre révèlent l’augmentation rapide du nombre de cas causés par cette nouvelle souche du virus et cette accélération de l’épidémie pourrait s’expliquer par une augmentation de la contagiosité de cette nouvelle souche. Ces informations sont inquiétantes, mais la démonstration du caractère adaptatif de ces mutations nécessite un examen détaillé qui ne va pas de soi. En effet, l’augmentation de la fréquence d’une nouvelle souche virale (l’évolution virale) n’est pas nécessairement causée par l’acquisition d’adaptations accélérant la vitesse de l’épidémie. Cette évolution virale peut également survenir sans raison adaptative, au gré des événements aléatoires de transmission. Pour comprendre l’évolution virale, il est donc nécessaire de ne pas confondre ces effets aléatoires et l’action de la sélection naturelle qui tend à favoriser les souches virales ayant acquis des adaptations leur permettant de se propager plus facilement.

Cette confusion est ancienne. Le livre de Ronald Fisher, l’un des fondateurs de la théorie synthétique de l’évolution, sur « la théorie génétique de la sélection naturelle » (1930) commence ainsi : « La sélection naturelle n’est pas l’évolution ». En effet, la sélection naturelle est le processus biologique identifié par Darwin qui permet aux organismes vivants de s’adapter à leur environnement en ne retenant que les variants les plus performants (ceux qui survivent et/ou se reproduisent le plus). L’évolution désigne l’ensemble des changements génétiques des organismes vivants au cours du temps. Certaines variations génétiques sont adaptatives (elles sont issues de l’action de la sélection naturelle), d’autres non. La sélection naturelle est l’une des forces qui agit sur cette évolution, mais elle n’est pas la seule. 90 ans après le livre de Fisher, distinguer les différentes forces qui affectent la dynamique évolutive de la pandémie de SARS-CoV-2 demeure indispensable pour évaluer le risque que le virus soit effectivement en train de s’adapter.

La mutation

La réplication des molécules d’acide nucléique (ADN ou ARN) qui sont le support de l’information génétique ne peut se faire sans erreurs. Ces erreurs sont aléatoires et très rares mais elles peuvent être identifiées grâce au séquençage du génome des virus issus de patients infectés. Le séquençage du génome des virus échantillonnés à différents moments de l’épidémie permet de mesurer la vitesse à laquelle de nouvelles mutations apparaissent et se répandent dans la population. La vitesse de cette évolution de la composition génétique du virus SARS-CoV-2 est de 1 à 2 mutations par mois. Cette évolution peut sembler très rapide mais elle est pourtant plus faible que pour le virus de la grippe.

Une grande partie des mutations n’ont pas d’impact sur le développement de la maladie (la vitesse de réplication, la transmission, le contournement de la défense immunitaire). En effet, de nombreuses mutations sont en quelque sorte silencieuses car elles ne modifient pas les protéines produites par le virus (ce sont ces protéines qui déterminent le succès de reproduction du virus). En revanche, si, par hasard, ces mutations modifient les protéines, on peut s’attendre à ce qu’elles affectent le succès de reproduction du virus.

Fisher compare l’effet de ces mutations à des perturbations dans le réglage d’un système mécanique complexe – par exemple un microscope. Pour augmenter la qualité de la mise au point du microscope, on conçoit volontiers que des perturbations majeures des différents réglages auront des effets négatifs sur la qualité de l’image. Mais des petites variations, dans un sens ou dans l’autre, peuvent améliorer la mise au point. On conçoit également que, plus on est éloigné de la mise au point optimale, plus il est probable qu’une telle perturbation soit avantageuse (Figure 1).

Figure 1 : Le modèle géométrique de l’adaptation de Fisher. Dans un environnement donné il existe une stratégie optimale qui maximise le succès de reproduction du virus. Le point rouge indique la position de cet optimum dans un environnement en deux dimensions (en réalité il existe une multitude de dimensions qui affectent le taux de reproduction du virus). On considère deux souches de virus (A et B). La souche A est plus éloignée de l’optimum et donc moins adaptée que la souche B. Les cercles en pointillés représentent deux isoclines du paysage adaptatif (des points à égale distance de l’optimum et ayant donc le même taux de reproduction). Le disque qui entoure chacun des points A et B figure l’ensemble des mutations possibles issues des deux souches. La majorité de ces mutations éloignent le virus de l’optimum (zone grise du disque) mais certaines mutations peuvent rapprocher le virus de l’optimum (zone rouge). Plus le virus est proche de l’optimum moins il y a de mutation adaptatives (la proportion de mutations bénéfiques diminue).

À l’inverse, lorsque la mise au point est faite, toute perturbation des réglages ne peut être que délétère. Ce modèle géométrique de l’adaptation est particulièrement fertile et permet de concevoir que les effets des mutations sur la valeur adaptative du virus sont variables. La plupart de ces mutations ont des effets délétères sur le virus. De nombreuses mutations peuvent même être létales pour le virus et bloquer sa capacité à se répliquer. Cependant, certaines mutations peuvent également rapprocher le virus de son optimum et augmenter ainsi son adaptation. Le modèle géométrique de Fisher prédit que la proportion de mutations adaptatives dépend de la distance à l’optimum. Dans le cas du SARS-CoV-2, il est raisonnable de penser que ce nouveau virus est encore loin de son optimum. Il est donc possible que certaines mutations puissent avoir des effets bénéfiques pour l’adaptation du virus (effets qui ne sont pas nécessairement bénéfiques pour les hôtes).

Le hasard

Comme nous l’avons dit, l’apparition d’une mutation adaptative dans une population de virus n’implique pas forcément que cette mutation devienne plus fréquente. Pour espérer augmenter en fréquence, cette mutation doit d’abord échapper à l’extinction. En effet, juste après son apparition, une mutation est présente en une seule copie et a de très fortes chances de ne laisser aucun descendant. Même si le nombre espéré de nouvelles infections (le désormais fameux taux de reproduction de base R0) est supérieur à 1, le nombre d’infections qui surviennent effectivement est soumis à l’influence d’une multitude d’évènements aléatoires. Fort heureusement, dans bien des cas, les particules virales émises par un hôte infecté ne trouveront pas de nouvel hôte. Si l’hôte était infecté par une souche virale portant une nouvelle mutation, l’absence de descendance équivaudrait donc à l’extinction de cette mutation. Dans d’autres cas, des effets d’aubaine comme des comportements à risque de l’hôte n’ayant pas de lien avec la mutation virale seront à l’origine d’épisodes de super-propagation. Ces évènements exceptionnels de transmission peuvent mener à une augmentation spectaculaire de la fréquence de certains variants sans être nécessairement dus à une adaptation du virus. Le suivi, actuellement presque en temps réel, de l’évolution virale de SARS-CoV-2 permet de voir ces perturbations majeures des fréquences de mutations. Par exemple, au printemps dernier en Amérique du Nord, de nombreux clusters se sont développés après l’arrivée de souches européennes. Ces « effets de fondation » ont profondément affecté la composition génétique des populations de virus aux Amériques. Ces variations géographiques et temporelles de la composition génétique du virus sont, le plus souvent, des marqueurs des déplacements des hôtes infectés et de l’accumulation inévitable et régulière de mutations silencieuses dans le génome du virus. L’apparition et la diffusion d’une mutation adaptative est un évènement très rare. Pourtant l’adaptation virale est possible car, à l’échelle globale, le virus peut tenter sa chance à de multiples reprises.

L’adaptation

Le modèle géométrique de Fisher et la métaphore du microscope peuvent donner l’impression qu’il existe un seul optimum, une unique séquence génomique capable de maximiser le succès de reproduction du virus. Cet optimum varie pourtant en fonction de l’environnement dans lequel le virus évolue. Par exemple, l’adaptation à un nouvel hôte nécessite des adaptations spécifiques permettant au virus de pénétrer dans les cellules de celui-ci. Dans le cas du SARS-CoV-2, des modifications dans la protéine S du virus modifient la « clé » qui permettra au virus de se fixer au récepteur ACE2, la « serrure » donnant accès aux cellules de son hôte. Il est ainsi possible que, dans le cortège de mutations associées aux épidémies dans les élevages de visons, certaines constituent des adaptations à cette espèce animale. Mais on sait également que l’optimum dépend aussi de la situation épidémiologique, et il est possible de construire des modèles théoriques qui permettent de mesurer l’intensité de la sélection sur des mutations affectant différentes caractéristiques de l’infection (la transmission, la virulence…). Dans une situation épidémique comme celle que nous connaissons actuellement, le virus se propage dans une population naïve du point de vue immunitaire et ces modèles théoriques prédisent que les virus ayant une capacité de transmission plus grande sont particulièrement sélectionnés. Contrairement à ce qui a été dit au début de l’épidémie, ce n’est pas parce que le virus se transmet déjà bien dans la population qu’il est incapable d’accroitre encore sa transmission. La détection d’une augmentation rapide de certaines mutations dans la protéine S du virus (comme la mutation D614G, actuellement la variante la plus répandue dans le monde du SARS-CoV-2) et la confirmation expérimentale que ces mutations affectent bien la transmission du virus peuvent donc s’interpréter à la lumière de ces prédictions théoriques.

Une autre composante capitale de l’environnement du virus est le profil immunitaire de la population. Au début de l’épidémie, comme on vient de le dire, la population est complètement naïve et la sélection porte essentiellement sur le taux de transmission. Au fur et à mesure de la progression de l’épidémie, la guérison entraîne une modification du statut immunitaire, le virus est plus souvent confronté à des hôtes déjà immunisés. Cette modification de l’immunité collective peut favoriser des souches capables d’accéder ainsi à de nouveaux hôtes en échappant au système immunitaire. C’est ce processus d’adaptation qui permet au virus de la grippe de contourner non seulement l’immunité naturelle, mais aussi l’immunité induite par les vaccins (vaccins qu’il faut donc modifier régulièrement). Mais, le contournement de l’immunité par le virus de la grippe est l’exception qui confirme la règle : la grande majorité des vaccins induisent une protection durable. Contrairement aux antibiotiques qui sont régulièrement contournés par l’adaptation des bactéries, l’évolution des pathogènes a plus de difficulté à éroder l’efficacité des vaccins. Concernant SARS-CoV-2, le risque, s’il est probablement faible, est difficile à évaluer. Il ne peut pas être négligé et il est capital de rester vigilant et de suivre la progression des mutations survenant dans la protéine S (la cible de l’immunité induite par les vaccins) et de tester l’efficacité des vaccins contre ces variants.

Heureusement, l’évolution de la virulence est quant à elle rarement adaptative pour un pathogène. L’hôte est une ressource pour le pathogène et une exploitation trop agressive de cette ressource risquerait de nuire au succès de reproduction du virus. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les virus du SARS-CoV-1 et du MERS-CoV, des cousins éloignés et bien plus virulents que le SARS-CoV-2 n’ont pas eu le même « succès » épidémique. Si la virulence est sélectionnée, c’est le plus souvent à cause d’un lien entre la virulence et une autre modification du virus : par exemple, si une souche plus virulente est également une souche qui se transmet mieux ou si elle augmente la compétitivité du virus face à d’autres virus ou face à une réponse immunitaire8. Pour l’instant, il existe très peu d’informations sur l’existence de souches plus virulentes que d’autres dans le SARS-CoV-2.

La nécessaire démonstration expérimentale de l’adaptation

La détection d’une augmentation rapide de nouvelles mutations peut être la marque d’une adaptation ou d’une succession d’évènements aléatoires. La démonstration du caractère adaptatif de mutations ponctuelles (ou des combinaisons de mutations) nécessite donc une confirmation expérimentale permettant de mesurer le succès de virus mutés dans des cultures cellulaires ou dans des animaux. Même si le temps de la recherche s’accélère (les effets de la mutation D614G dans la protéine S ont pu être testés très rapidement), il est nécessaire d’attendre ces données expérimentales pour démontrer le caractère adaptatif de nouvelles mutations. Ces données phénotypiques permettront d’améliorer les modèles et donc les prédictions.

Si l’on revient aux mutations identifiées en Angleterre il est important de souligner que certaines parmi elles étaient attendues. Des travaux publiés en août 2020 avaient identifié que des modifications dans un site spécifique de la protéine S étaient susceptibles d’augmenter l’affinité avec le récepteur ACE2, la porte d’entrée du virus dans les cellules humaines. Par ailleurs, certaines mutations ont également été observées dans une étude d’évolution expérimentale dans laquelle le virus s’est adapté à des souris. Le virus circulant dans la population humaine a été inoculé à une souris de laboratoire et, trois jours après, le virus issu de cette infection a été inoculé à une nouvelle souris. La mutation est apparue au bout d’un seul « passage » par la souris et a très rapidement augmenté en fréquence après six passages. Cette mutation confère très probablement une compétitivité intra-hôte plus grande grâce à une amélioration de l’affinité avec le récepteur ACE2. Mais, encore une fois, impossible d’être catégorique sur les effets d’une telle mutation chez l’homme en l’absence de données complémentaires.

Conclusions

La progression de la pandémie de SARS-CoV-2 illustre la complexité de l’interaction entre les différentes forces qui modèlent l’adaptation des virus, mais aussi tous les organismes vivants. L’évolution du virus que nous pouvons désormais suivre à la trace grâce au séquençage de son génome nous révèle le changement de sa composition génétique au fur et à mesure de sa propagation. Toutes ces mutations génétiques ne correspondent pas à des adaptations du virus et elles n’ont donc rien d’inquiétant. Pourtant, la science de l’évolution nous aide à formuler des scénarios permettant de mesurer l’intensité de la sélection portant sur différentes propriétés du virus. Ces scénarios peuvent aider à comprendre et, dans une certaine mesure, à prédire la dynamique de l’adaptation du virus. Cette capacité de prédiction est limitée par l’acquisition de données sur la biologie du virus et en premier lieu sur les effets des mutations sur les caractéristiques de l’infection. Face à un nouveau virus comme le SARS-CoV-2, il convient donc d’être extrêmement prudent dans les prédictions que l’on peut faire. Mais il est important de continuer à se donner les moyens de suivre l’évolution du virus à l’aide du séquençage. Sur ce point, la France n’est pas en avance et il reste beaucoup à faire pour systématiser le séquençage et faciliter l’accès aux données génomiques. À l’heure actuelle, il existe 50 fois plus de séquences virales issues de patients infectés en Angleterre qu’en France dans la base de données GISAID. Il faut également être patient et attendre les résultats des études expérimentales, les seules approches qui permettent de démontrer le caractère adaptatif de ces nouvelles mutations. S’il n’existe pas encore de preuves définitives sur la présence de mutations adaptatives dans la nouvelle souche identifiée en Angleterre, la position rassurante affichée par certains scientifiques au début de la pandémie en déclarant qu’il ne faut pas s’inquiéter de l’apparition de nouvelles mutations dans un virus émergent comme le SARS-CoV-2 ne semble plus être tenable.

par Sylvain Gandon, le 5 janvier


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut