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SOURCE : L'instit humeurs
JM Blanquer a fait sa rentrée médiatique cette semaine, sur la même ligne que celle tenue avant les vacances de Noël : les chiffres du Covid-19 à l’école sont bas, grâce à un protocole sanitaire renforcé. Des informations erronées, infirmées avant les vacances par plusieurs médias, mais cela n’empêche pas le ministre d’en faire la base de sa communication, à l’appui de la politique gouvernementale.
Des chiffres mensongers démasqués par les médias fin novembre
Après deux semaines d’un silence radio tout à fait inhabituel pour lui, on a retrouvé début janvier notre ministre exactement tel qu’on l’avait laissé mi-décembre :
« Nous avons demain une rentrée selon le protocole sanitaire renforcé que nous avons, qui un protocole sanitaire qui a fait ses preuves, je rappelle qu’avant les vacances de Noël nous avions un taux de contamination qui était de l’ordre de 0,3 % » (BFMTFV le 3 janvier)
C’est peu dire qu’on est nombreux à avoir été surpris, voire stupéfaits, par les chiffres donnés par le ministre : ce sont les mêmes que ceux annoncés en novembre et que plusieurs médias, notamment Libération et Le Monde, avaient “débunkés” afin de rétablir la vérité : les chiffres officiels du ministère étaient jusqu’à 20 fois inférieurs à celui de Santé Publique France dans certaines Académies ! Pire, quand les chiffres de l’EN ne montraient aucune évolution, ceux de SPF indiquaient clairement une nette augmentation à partir de la Toussaint (pour exemple, quand la région Auvergne Rhône Alpes a décidé de tester massivement dans les lycées, le taux de positivité est monté à 5%, 16 fois plus que le taux du ministre…). Le site AEF avait publié cette infographie montrant à quel point les données du ministère étaient éloignés de la réalité.
Une fois de plus, il s’agit pour JMB de minimiser la circulation du virus dans les écoles car, le premier ministre Castex l’a dit clairement : « Il faut que la situation soit gravissime pour fermer les écoles ». Je connais peu d’enseignants qui souhaitent la fermeture des écoles, cela signifierait des cours en distanciel et franchement, on préfère avoir nos élèves en face de nous ; en revanche je connais beaucoup d’enseignants qui aimeraient qu’on arrête de dire que tout va bien madame la Marquise.
Il y a trois semaines, le même Castex avait recommandé aux élèves de ne pas aller à l’école les deux derniers jours avant les vacances de Noël afin de pouvoir observer une semaine d’auto-confinement avant d’aller voir papy et mamie sous le sapin – ce faisant, il validait le fait que l’école est bien un lieu où le virus circule, puisqu’il vaut mieux éviter d’y aller pour protéger sa famille (mais aujourd’hui, JMB réaffirme que “le risque de contamination est plus fort hors du scolaire“…).
On écrivait alors : « l’école n’est pas un lieu de circulation du virus quand cela arrange le gouvernement qu’elle ne le soit pas, et l’est quand cela peut appuyer sa politique »…
Cette incitation à ne pas aller à l’école pour se protéger du virus constituait un autre aveu : le protocole sanitaire à l’œuvre dans les établissements scolaires n’est pas suffisant. Contrairement à ce qu’a encore répété le ministre Blanquer cette semaine, il n’y a pas de « protocole sanitaire renforcé » dans les écoles. Le protocole actuel est par exemple bien moins strict que celui à l’œuvre lors du déconfinement en mai et juin dernier. La partie la plus stricte du protocole, qui prévoit le passage à un accueil des élèves à temps partiel(des demis-groupes avec moitié du temps au travail à la maison) est ignorée dans le primaire et en collège et n’est pas vérifiée partout en lycée. Le fameux protocole renforcé se limite donc, la plupart du temps, au lavage de main quand il y a assez de savon, au masque pour les plus de 6 ans et aux fenêtres ouvertes en plein hiver pour lutter contre les aérosols, mais tous ces gestes barrière n’ont pas cours dans les cantines scolaires (médecins, enseignants et parents d’élèves militent pour de nouvelles mesures concernant les cantines, lire cet article).
Quant à la procédure isolement / test / cas contacts, c’est une illusion depuis belle lurette : beaucoup de cas ne sont pas signalés, ni par l’ARS ni par les parents (la preuve : c’est sur ces déclarations que le ministère fonde son chiffre de 0,3%…), on ne ferme plus les classes, les cas contact ne sont pas isolés. Mais JM Blanquer continue à dire le contraire : « Nous sommes dans une stratégie qui fonctionne, qui est la rupture des chaines de contamination, quand des symptômes sont repérés chez quelqu’un, isolement, puis test, puis travail sur les cas contacts » (Europe 1 le 5 janvier).
La stratégie de communication, elle, fonctionne : « Plus je répète, plus j’ai raison ».
Des journalistes qui ne savent pas, une opinion publique qui ne veut pas savoir (à moins que ce ne soit l’inverse)
Si la première fois, en novembre, le ministre avait argué d’un système de comptage différent de celui de SPF pour justifier l’écart avec ses propres chiffres, reconnaissant à demi-mot qu’il n’avait pas toutes les données en sa possession, c’est cette fois-ci en pleine conscience et en pleine connaissance des choses que JMB ressort exactement les mêmes chiffres ! Comment expliquer qu’il puisse ainsi mentir sur des chiffres débunkés il y a un mois et que cela passe comme une lettre à la poste ?
Les journalistes sans contradiction
Si JMB peut asséner tranquillement des contrevérités, c’est avant tout parce qu’il a en face de lui, le plus souvent, des journalistes sans mémoire, complaisants et ignorants des dossiers de l’école. Il pourrait leur expliquer qu’il a personnellement lutté à mains nues contre un troll des cavernes dans une école pas plus tard qu’hier matin, il récolterait des oh et des ah admiratifs.
Depuis son arrivée rue de Grenelle, JMB peut compter sur une large partie de la presse pour relayer avec gourmandise ses propos, voire pour lui servir carrément de SAV (suivez mon regard, surtout l’œil droit). JMB choisit avec soin les médias dans lesquels il communique, il sait qu’il n’a rien à craindre d’eux, et quand il fait l’effort d’aller sur des terrains plus glissants, dans des médias moins acquis, on peut être sûr que les rares journalistes spécialisés dans l’éducation ne pourront pas l’approcher de trop près. Il est intéressant, d’ailleurs, de discuter off avec ces derniers : la communication avec le MEN est manifestement très difficile et la contradiction n’est pas tolérée ; il n’est pas rare que les rédactions reçoivent un appel courroucé suite à un papier négatif…
Sur Europe 1, la journaliste Sonia Mabrouk a bien opposé au ministre l’idée de chiffres différents, mais en les attribuant aux syndicats, ce n’est pas la même chose que les présenter comme des faits établis par des journalistes. Facile, pour JMB, de se dépêtrer de l’affaire, à tel point que c’est lui qui évoque les chiffres de SPF, comme un lapsus, avant de vite revenir à ses éléments de langage (il s’était visiblement préparé à contrer les chiffres de SFP, mais ça n’a même pas été la peine).
L’opinion publique n’y connait rien et ne veut pas savoir
Du côté du grand public, on ne connait rien aux dossiers de l’école non plus, et on n’a pas de raison de douter de la parole d’un ministre a priori. Le quidam, dans son canapé, écoute JMB lui dire que le taux de positifs à l’école est faible, 0,3% c’est précis, ça a l’air très vrai comme chiffre, on peut passer à autre chose, sans transition un reportage sur la neige en Espagne. La majorité des auditeurs / téléspectateurs n’aura pas accès aux vrais chiffres, parce qu’elle ne va pas les chercher, ne s’informe que mollement, et surtout n’en a pas vraiment envie, en réalité, l’école, elle s’en fout un peu, il lui suffit de comprendre que rien d’inquiétant ne s’y passe – et c’est ce que lui dit le ministre.
C’est un peu la même chose chez les parents d’élèves : certes ils s’intéressent naturellement plus à la réalité de l’école, c’est vrai certains sont sceptiques, s’interrogent, s’informent mieux, mais la grande majorité dispose des mêmes éléments que les autres. Et, sans doute, eux ont plus encore intérêt à croire que l’école n’est pas un lieu de risque pour leur progéniture, cela voudrait dire que leur marmaille n’a rien à y faire et, accessoirement, qu’il faut la garder (le confinement de mars-avril en a quand même traumatisé plus d’un, je sais de quoi je parle, si je n’ai pas adoré ça en tant que prof j’ai encore moins aimé en tant que parent, occuper la petite dernière de 2 ans ½ toute la journée, avec le boulot, ça a été long, très long, et pourtant j’aime infiniment ma fille).
Au final, on a la nette impression qu’à part les enseignants, les gens croient le ministre, tout simplement.
Pendant ce temps, sur le terrain…
En termes de santé publique, le moins qu’on puisse dire est que le ministre Blanquer et l’exécutif prennent un risque certain à jouer leur partition sur l’air de « l’école n’est pas un lieu de circulation du virus ». L’Europe entière est en train de reconfiner sévèrement, les écoles ferment chez la plupart de nos voisins, mais l’urgence en France est de ne surtout rien changer.
Le ministre de la santé Olivier Véran a beau reconnaitre que le variant anglais est « 40 à 70% plus contagieux que le virus que nous connaissons en France », qu’il est « plus contagieux chez les enfants », la « surveillance accrue » annoncée dans les écoles n’existe nulle part sur le terrain ; les échos de la réunion qui s’est tenue jeudi au ministère en disent long :
Ce même jeudi, on apprenait que le taux de positivité chez les 0-9 ans était monté à 10,3%, celui des 10-19 ans à 9,5%, bien au-dessus de la moyenne tous âges confondus (6,8%).
D’après une étude britannique, les 12-16 ans seraient sept fois plus susceptibles que les adultes d’être la première personne contaminée au sein d’un foyer ; le plus souvent, ce serait donc l’adolescent qui contaminerait les autres personnes de la maison.
Enfin, toujours jeudi, on apprenait que deux clusters du variant anglais avaient été identifiés. L’un d’eux concerne deux écoles de Bagneux (92).
Nota : sur le totem d’immunité médiatique de JM Blanquer, lire cet excellent billet.
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