La France va-t-elle se rebeller contre les mesures sanitaires à venir?

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SOURCE : Slate

Face à l’éventualité d’un troisième confinement, sur les réseaux sociaux, certains font part de leur refus de subir de nouvelles restrictions et appellent à la désobéissance.

Le 24 janvier 2021 à Amsterdam (Pays-Bas), les forces de l'ordre dispersent par canon à eau les manifestants venus protester contre la mesure de couvre-feu destinée à contenir l'épidémie de Covid-19. | Robin Van Lonkhuijsen / ANP / AFP

Vendredi 22 janvier, un hashtag émerge sur Twitter: #JeNeMeConfineraiPas. En l’espace de vingt-quatre heures, il est utilisé plus de 7.000 fois et passe rapidement en top tendance. La source? Le docteur Fabien Quedeville, médecin généraliste et contributeur sur le site BasLesMasques, un «média indépendant pour une information libre et objective sur la crise sanitaire que nous traversons» [sic]. Teinté de contestation et très critique envers les médias qu’il surnomme «les auto-proclamés “professionnels de l’information”», ce site regroupe des figures bien connues de la sphère covido-sceptique: le professeur de physiologie Jean-François Toussaint, l’épidémiologiste Laurent Toubiana ou encore le sociologue Laurent Mucchielli.

C’est une tribune écrite par le Dr Quedeville qui lance la vindicte en niant l’efficacité du confinement pour contenir le virus et rejetant la situation épidémique somme toute alarmante dans laquelle se trouve la France. Au téléphone, le Dr Quedeville insiste sur un autre aspect de l’argumentation: le poids psychosocial des mesures sanitaires. «Cette tribune est un appel à réagir face à des situation psychologiques catastrophiques que j’observe chez certains de mes patients, expose-t-il. On voit des troubles psy qui apparaissent au détour de consultations, des pathologies qui émergent chez des personnes âgées autonomes mais isolées du fait du manque d’activité et qui ne voient plus leur famille. Les étudiants se retrouvent dans une grande précarité économique, sociale, culturelle, amoureuse… La situation est déjà dramatique pour un grand nombre de personnes. Si on ajoute à cela un nouveau confinement, ce sera la goutte d’eau.»

Témoignant d’un refus de faire de la politique et d’être récupéré, le Dr Quedeville estime que ni le conseil scientifique, ni le conseil de défense sanitaire n’ont une quelconque légitimité démocratique. Pour lui, la «révolution» se fera dans les urnes, pas dans la rue. «Je cherche simplement à faire prendre conscience en tant que citoyen. C’est de ma responsabilité de médecin d’alerter d’une situation que je juge préoccupante.» En outre, il se défend de faire un quelconque appel à la désobéissance civile: «Je serai le premier à respecter un nouveau confinement, nous dit-il. Je suis républicain, je respecte les lois, je n’abuserai pas de mon caducée pour me déplacer.» Beaucoup de bruit pour rien? «Il faut parfois des formules choc pour susciter le débat», admet le généraliste.

Rien n’indique que les contestataires se soulèveront

Si le #JeNeMeConfineraiPas a été fort utilisé, il semble qu’il ait fait long feu et a finalement été repris par des gens qui, au contraire de le porter, l’ont vite dénigré.

Pour le sociologue Albert Ogien, auteur avec la philosophe Sandra Laugier de Pourquoi désobéir en démocratie? et Le principe démocratie – Enquête sur les nouvelles formes du politique, cela n’a rien de très surprenant: «Mis à part l’emballement médiatique, la contestation ne gagne pas les rues. La vérité des faits oblige à constater des flambées d’indignation de parties extrêmement minoritaires des populations. Mais il n’y a pas véritablement de révolte contre les décisions du gouvernement», explique-t-il. Les journalistes et analystes seraient-ils biaisés par ce qu’ils observent sur les réseaux sociaux?

Possible, d’après lui: «Il y a une question à se poser sur le fait que la parole publique se focalise sur ce qui se passe sur les réseaux alors que tout le monde sait que c’est un repère de fâcheux qui ne reflète pas l’opinion publique. On prête, à mon avis, trop d’attention à ce qui se passe sur Twitter ou Facebook.»

«Il y aura des embrasements lorsque nous devrons compenser les pertes liées à la crise.»

Alexis Poulin, journaliste et directeur de la publication du Monde Moderne

D’ailleurs, les chiffres semblent lui donner raison: si les Français sont épuisés et déprimés par les mesures sanitaires et s’ils en subissent parfois de plein fouet les conséquences sociales et économiques, 64% d’entre eux approuveraient la mise en place d’un troisième confinement selon une enquête Harris interactive pour LCI. Mais 52% ne veulent pas d’un confinement strict d’après un sondage Elabe pour BFMTV, et 42% envisageraient de le transgresser ou de faire de petits écarts d’après Odoxa pour Le Figaro. Seules 2% des personnes interrogées manifesteraient leur désaccord dans la rue ou sur les réseaux sociaux. En bref, les Français comprennent l’intérêt d’un éventuel confinement mais ne comptent pas le respecter à la lettre.

Pour lui, si manifestations il y a, elles s’inscriront d’abord davantage dans la continuité de celles contre la loi sur la sécurité globale ou celles des enseignants et des soignants qui ont été et restent en première ligne durant cette crise. «Il y aura des embrasements, prédit-il, en particulier lorsque nous serons confrontés au choc libéral que le gouvernement Macron appelle de ses vœux et qui sera mis en place lorsque nous devrons compenser les pertes liées à la crise.»

Pas d’opposition générationnelle

Ainsi, à l’encontre des prophéties ou des fantasmes d’émeutes anti-confinement, il semblerait que le temps soit comme suspendu durant la pandémie et que les Français soient davantage enclins à se mobiliser une fois la crise sanitaire passée. «Le virus a cette force incroyable de nous empêcher de penser à autre chose qu’à lui», remarque Albert Ogien. Sandra Laugier abonde: «Il y a évidemment un ras-le-bol, une lassitude qui ne se sont pas exprimés au premier confinement. L’absence de perspective d’avenir peut susciter des réactions d’un type nouveau.»

Un type nouveau en effet, car, de manière inédite, il ne s’agirait pas de se mobiliser contre une injustice ou contre un problème pour lequel il existe des solutions à portée de main. La philosophe poursuit: «Certes, on voit des discours contestataires comme ceux de Nicolas Bedos ou de Gaspard Kœnigqui sont largement relayés dans les médias. Mais je ne suis absolument pas certaine que cela puisse mobiliser largement la population comme, par exemple, Black Lives Matter, un mouvement né d’une véritable injustice et qui espère changer les choses. Pour ce qui est du Covid et des mesures sanitaires, des manifestations ne pourraient rien demander qui soit de l’ordre de l’intérêt général. Il est difficile de se mobiliser pour une cause où il n’y a pas vraiment d’ennemi, quand on ne sait pas comment améliorer la situation, quand on ne voit pas en quoi ne pas être confiné serait mieux pour l’intérêt global. Pour moi, c’est davantage une opposition théorique et artificielle et je ne pense pas que les personnes qui sont les plus frontalement touchées y prennent part.»

Face aux prises de position prônant une gestion libérale-libertaire de la crise –par exemple avec un confinement des seules personnes âgées–, on pourrait craindre une opposition générationnelle qui romprait avec la solidarité nationale. Mais les discours qui proposent d’appliquer un traitement différent aux individus selon leur âge ne semblent pas véritablement trouver d’écho, même au sein de la jeune génération.

«Les jeunes font preuve d’une vraie vigilance pour protéger les plus anciens en multipliant les tests et les mesures de précaution.»

Monique Dagnaud, sociologue spécialiste de la génération Y

Monique Dagnaud, directrice de recherche CNRS au Centre d’étude des mouvements sociaux, spécialiste de la génération Y et autrice avec Jean-Laurent Cassely de Génération surdiplômée, confirme: «Je n’ai pas le sentiment que la jeunesse constitue un mouvement global qui souhaiterait que l’on prenne des mesures plus radicales envers les seniors. S’il y a des soirées clandestines ou des rave parties illégales –ce qui me semble assez normal–, cela ne se traduit pas par un mouvement massif des jeunes.»

Le fait est que ces jeunes ont une famille avec des parents et/ou des grands-parents à risque. «Je trouve qu’il y a une vraie posture de confiance entre les générations, poursuit la sociologue. Les jeunes font preuve d’une vraie vigilance pour protéger les plus anciens en multipliant les tests et les mesures de précaution. Il y a une volonté de préserver leur famille: parents et grands-parents sont en effet un refuge et un point de référence important quand on n’a plus confiance dans la politique.»

En outre, comme le souligne Albert Ogien, «seuls les libertariens posent la question “Quelle est l’utilité d’une vie?” La vie d’un vieux vaut-elle plus que celle d’un jeune? En réalité, cette interrogation autour de la mort est extrêmement compliquée à soutenir et elle pose un arrêt, un point au-delà duquel on ne veut pas, on ne peut pas aller.» Aussi délicate que puisse être cette question, elle mériterait sans doute d’être étudiée au sein d’un débat démocratique.

Un mésusage de l’expression «désobéissance civile»

Ni soulèvement global, ni scission générationnelle, nos éventuelles semaines confinées seraient-elles marquées par la résignation? Pas forcément. «Nous allons très certainement assister à des mouvements spontanés, ponctuels, discrets. Il y aura des formes douces de désobéissance qui font que les gens jouent avec les règles pour simplement tenir au quotidien», suggère Sandra Laugier.

Le 27 janvier, à l’occasion de l’ouverture contrevenante d’un restaurateur niçois, on a parlé de «désobéissance civile». Un terme peu adapté eu égard à la situation, et surtout une ouverture sauvage qui déçoit les fondateurs du groupe Facebook (privé) «Les restaurateurs ouverts le 1er février 2021».

Jérémie, cofondateur du groupe, explique leur démarche qui va à l’encontre de ce à quoi l’on peut s’attendre: «Pour une partie des exploitants, les restrictions imposées par le gouvernement sont de plus en plus difficiles économiquement. L’objectif principal de ce groupe est ainsi d’unifier un intérêt commun: sauver son restaurant. Cette action “coup de poing” a vocation à ne pas oublier les restaurateurs. Ce groupe est le point de rendez-vous des restaurateurs et des citoyens favorables à la réouverture. Apprendre à vivre avec la situation sanitaire, s’adapter au contexte tout en se désolidarisant des autres commerçants et restaurateurs ne respectant pas les règles. Il n’est pas possible d’avoir un discours crédible et légitime si l’exemple n’est pas montré. Certains restaurateurs prônent déjà la désobéissance mais ne donnent pas une bonne image de la profession. Le risque sanitaire dans les restaurants existe bien, il faut en avoir conscience et trouver des solutions ensemble, de manière unifiée. Les restaurateurs ont besoin de se projeter. À l’heure actuelle, il est difficile de connaître le poids réel du mouvement. Il y a tous types de profils. Ceux qui sont réellement inquiets pour leur avenir et qui souhaitent un terrain de discussion avec le gouvernement pour trouver un compromis légitime (tout en restant dans les recommandations), et d’autres qui s’opposent ardemment à toute forme d’autorité et qui profitent de ce groupe pour diffuser leurs idées politiques antigouvernementales.»

Il déplore «l’entrisme d’individus complotistes extrêmement convaincus et qui adoptent le rôle de militants. Cette disparité de profils ne permet pas à ce jour d’organiser pleinement ce mouvement de “désobéissance” et d’avoir un réel impactMalheureusement, le groupe est bien pollué par ce genre de profils, qui confondent les combats.» Tout comme ces étudiants aixois qui ont cherché à démontrer que les cours en amphi sont possibles, les restaurateurs n’ont rien de rebelles. Ils souhaitent simplement trouver des solutions pour concilier leur emploi avec la circulation du virus.

Force est de reconnaître que le grand soir prédit par certains ne passe pas la limite du couvre-feu.


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