Pourquoi les énergies fossiles sont le terreau du fascisme

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SOURCE : Reporterre

Pourquoi les énergies fossiles sont le terreau du fascisme

Quand l’élévation des températures se conjugue avec la montée de l’extrême droite, la combinaison qui en résulte est dangereusement explosive. Pour le Zetkin Collective, qui analyse cette conjonction historique dans « Fascisme fossile », le combat pour le climat ne saurait être séparé de la lutte antifasciste.

À l’été 2018, la Scandinavie, pays des vertes forêts et du Père Noël, crevait de chaud. La température, y compris dans les régions les plus septentrionales, était telle qu’apparaissaient de violents incendies, particulièrement dévastateurs en Suède. Au vu de la catastrophe, amplement relayée dans les médias, on pouvait espérer une prise de conscience générale de la population des effets concrets du réchauffement climatique. Pourtant, ce même été, Jimmie Åkesson, leader des Démocrates suédois — un parti qui, comme son nom ne l’indique pas, figure à l’extrême droite de l’échiquier politique et prône toujours plus de mesures anti-immigration — ironisa sur le drame en vantant « un été incroyable, ensoleillé et ardent » et son lot de « baignades dans des mers et des lacs chauds ».

Aussi aberrante soit-elle, cette position n’a rien de surprenant. À vrai dire, pour qui connaît un tant soit peu la politique écologique de l’extrême droite européenne, elle est même ordinaire. Car, comme le montre le Zetkin Collective — un groupe de chercheurs, d’activistes et d’étudiants observant l’écologie politique de cette idéologie — dans Fascisme fossile, leur premier ouvrage, ces partis ont fait du climatonégationnisme leur fonds de commerce. De l’Espagne à la Finlande et de la Hongrie au Royaume-Uni, tous les partis nationalistes répètent à l’envi que le réchauffement climatique est, au mieux, bien moins grave que ne le clament les écolos gauchistes, au pire, un mensonge inventé de toutes pièces pour détourner les peuples du « vrai problème » : la prétendue invasion musulmane de l’Europe.

Défense de l’industrie fossile et imagination d’un « écolo-racisme »

Dans ce camaïeu de bruns, l’ouvrage distingue deux tendances en matière de (non-)politique écologique. La première — la plus ancienne et la plus répandue — consiste à nier toute incidence humaine sur le dérèglement climatique et à soutenir sans faille les industries du charbon et du pétrole, ce que le collectif qualifie de « capital fossile ». De ce point de vue, l’extrême droite sert d’« avant-garde » à un capital fossile peu désireux de fermer boutique. En témoignent, outre-Rhin, les virulentes prises de position de l’AFD en faveur du lignite, de même que le « nationalisme charbonnier » du PiS en Pologne.

La seconde tendance est apparue au début des années 2010. Constatant les progrès de l’écologie dans l’opinion publique, certains groupes décidèrent de tirer parti de la situation en conciliant défense des frontières et protection de la nature. Le meilleur exemple vient du RN français et plus particulièrement de sa figure montante, Jordan Bardella. En 2019, alors en campagne pour les élections européennes, celui-ci affirmait : « Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière. »Le RN développe ainsi un curieux « éco-racisme » ou « ethno-différentialisme »,dont le Zetkin Collective donne la définition suivante : « Chaque race doit vivre dans son habitat propre pour éviter tout mélange et donc une perte de différence face aux forces homogénéisantes du capitalisme mondial. »

La mine de lignite de Garzweiler, en Allemagne. Le parti d’extrême-droite AFD y soutient vigoureusement cette industrie ravageuse.

Après avoir dressé un panorama exhaustif de l’extrême droite européenne, Fascisme fossile retrace la généalogie de ce courant de pensée pour tenter de comprendre les liens unissant la race aux énergies fossiles. La puissance de ceux-ci provient d’un mythe ultranationaliste : les énergies fossiles nourriraient « les objectifs palingénésiques ou palindéfensifs » des partis fascistes, c’est-à-dire de régénération ou de protection de la nation. D’où la fétichisation des réserves fossiles « autochtones », enterrées dans le sol national, véritable « corps physique de la nation ». Et d’où, a contrario, les invectives répétées envers les énergies renouvelables, particulièrement éolienne, considérées comme des « flux fugitifs »qui « ne s’enracinent jamais » et dont l’exploitation, par définition collective, suppose un minimum de « cosmopolitisme ».

Mais ce mythe a lui-même une histoire. Le Zetkin Collective avance même sa date de naissance : le milieu du XIXe siècle, une époque à laquelle, grâce au charbon et au pétrole, les Européens conquirent le monde. Pour légitimer leur joug, les colonisateurs inventèrent alors un « techno-racisme » hiérarchisant les sociétés humaines en fonction de leur degré d’exploitation de la nature. C’est à cette période que les Européens commencèrent à se percevoir comme blancs — et comme blanches aussi les énergies fossiles qui leur permirent d’asseoir leur domination planétaire. À l’instar du charbon et du pétrole, cette « association entre blanchité et énergies fossiles » a fini par pénétrer et irriguer l’inconscient occidental ; et aujourd’hui, inconsciemment, elle « remonte à la surface tel un magma en ces temps d’effondrement climatique ».

Ce magma donna naissance, dans les années suivant la Première Guerre mondiale, au fascisme historique. Revenant aux textes du futuriste italien Filippo Tommaso Marinetti et de l’écrivain allemand Ernst Junger, le collectif rappelle l’« amour pour la combustion » et les machines modernes qui brûlait ces pionniers du fascisme et nourrit la soif de conquête de Mussolini et d’Hitler.

Une fascisation qui vient des classes dominantes

Certes, les temps et les mouvements fascistes ont changé depuis l’entre-deux-guerres. Il n’empêche qu’on peut dresser d’inquiétants parallèles entre cette époque et la nôtre et déceler les signes troublants d’une « fascisation » à l’œuvre, non pas tant dans la société en général que dans les classes dominantes des pays riches. Comme le prouvent les auteurs de Fascisme fossile, la politique écologique de l’extrême droite ne vient pas de nulle part. Elle naît de ce qu’ils nomment, empruntant le concept d’ « appareil idéologique d’État » au philosophe marxiste Louis Althusser, « l’appareil idéologique d’État climato-négationniste ». Sous cette expression se cache un ensemble de lobbies et d’actions de propagande lancés au début des années 1990 par les industries du charbon et du pétrole pour contrer le mouvement écologiste naissant et certifier que « les combustibles fossiles sont bons pour les gens ».

Depuis, bon nombre d’industries font mine de se plier aux règles de la transition écologique et multiplient les professions de greenwashing ; mais certaines, appréciant le zèle climato-négationniste que déploient les partis d’extrême droite, n’hésitent pas à soutenir l’accession au pouvoir de ces derniers. Et les auteurs de souligner qu’outre-Atlantique, Trump et Bolsonaro durent leur victoire électorale à l’appui respectif des industries du charbon et du pétrole états-uniennes et de l’agrobusiness brésilien, tout comme, en leur temps, Hitler et Mussolini surent séduire les géants de l’automobile et de la chimie.

À la lecture de l’ouvrage, on comprend qu’à présent antifascisme et défense du climat tendent à ne plus former qu’un seul et même combat, et qu’il n’y aura nulle transition ou révolution écologique sans passer sur le corps de l’extrême droite. Car « plus la crise écologique sera grave, plus l’attraction [de cette dernière] sera grande ».


  • Fascisme fossile — L’extrême droite, l’énergie, le climat, coordonné par Andreas Malm, traduit de l’anglais par Lise Benoist, éditions La Fabrique, octobre 2020, 368 p., 18 euros.

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