Retranscription de l’intervention de Roger Silverman à la conférence du 30 janvier de la Labour Left Alliance

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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

Présentation

Ci-dessous une traduction de l’intervention de Roger Silverman à la conférence de l’Alliance de la gauche travailliste (LLA), le 30 janvier dernier. La Labour Left Alliance (LLA) a été créée en juillet 2019 pour rassembler des groupes et des militants de la gauche travailliste.

L’analyse de Roger et son appel aux militants du Labour Party à rester organisés sontimportants dans un contexte où 100 sections du LP ont adopté des résolutions soutenant Corbyn en dépit des ordres du siège central du Labour party, que cesmêmes sections ont été systématiquement suspendues ou assujetties à des mesures de contrôle spéciales.

Document

Bienvenue à ce qui pourrait bien constituer une conférence historique. Un grand merci pour votre soutien aux candidats de la LLA et à ma candidature aux récentes élections au Comité exécutif national du Labour. Lors de ces élections, nous avons été combattus non seulement par la droite, mais aussi par la gauche officielle, qui a exercé une pression insistante sur nous pour que nous nous retirions, au prétexte que nous risquions de «diviser le vote de gauche»; une erreur évidente, puisque les votes étaient «transférables» – et que nos votes « transférés » ont en fait aidé à élire leurs candidats.

Je suis fier de dire que, contre l’opposition combinée de la droite et de la gauche, j’ai été nominé par 65 circonscriptions du parti travailliste, remportant un total de 3473 voix et restant un candidat dans la course jusqu’au 30ème tour sur un total de 37 scrutins. Je suis particulièrement fier que 2072 militants travaillistes ont mis mon nom en haut de leur liste. Ce fut une victoire pour nous tous. Nous avons montré la force du soutien pour un défi socialiste.

La classe dirigeante a toujours dépendu d’une direction de droite pour contenir les aspirations du mouvement travailliste. Ce qui est différent dans cette dernière attaque, c’est l’interdiction de toute discussion à ce sujet, la liquidation massive de sections locales du parti pour avoir osé la remettre en question, et les calomnies scandaleuses et dégoûtantes qui ont été lancées à ses victimes. Oser accuser le plus éminent combattant actuel contre le racisme, de toute sorte d’antisémitisme est la calomnie la plus stupéfiante que l’on puisse imaginer. La prise pour cible de l’ancien dirigeant le plus populaire du parti est une déclaration de guerre contre les centaines de milliers de membres qui ont fait irruption dans le Parti travailliste pour le soutenir. C’est un acte de dépit et de provocation effrontément inconstitutionnel de la part du chef et du secrétaire général.

Le signe le plus clair de leur désespoir est l’utilisation de mensonges tout à fait grotesques dans cette purge. Dans le passé, les accusations portées contre les militants du parti avaient au moins un certain sens. Dans les années 1980, par exemple, des membres de Militant ont été exclus du parti parce qu’ils étaient trotskystes – mais au moins c’était vrai ! Ils l’étaient – même si ce n’était pas une raison pour les exclure. Bien que les expulsions massives de la gauche à l’époque aient été vindicatives, malveillantes et inconstitutionnelles, elles étaient au moins franchement politiques. Le prétexte de leurs exclusions était qu’ils s’organisaient pour promouvoir leurs idées – comme si les responsables de droite infestant le siège du parti n’étaient pas eux-mêmes constamment en train d’intriguer et de comploter dans les coulisses : à tel point que le rapport secret récemment révélé prouve que les fonctionnaires rémunérés du parti étaient déterminés à saboter purement et simplement les perspectives du parti.

Ainsi, le mot « chasse aux sorcières » a parfois été évoqué, mais assez vaguement. Pourtant c’est littéralement le parallèle le plus proche, aux temps modernes, avec les chasses aux sorcières originales du XVIIe siècle. Quiconque était alors accusé de sorcellerie était ainsi condamné sans procès ; comme maintenant, pour quiconque est accusé d’antisémitisme. Des militants antiracistes de premier plan sont accusés aveuglément de racisme. Une fois accusée, la victime est déjà stigmatisée, vilipendée, condamnée. Quiconque protestait contre cette injustice, quiconque les défendait de l’accusation, maintenant comme alors, est automatiquement condamné à son tour. Il n’y a aucun moyen légitime de défense. Même être Juif n’est pas non plus une défense : de nombreux Juifs se sont trouvés étiquetés antisémites ; les chasseurs de sorcières contournent ce paradoxe en inventant l’accusation absurde et hypocrite selon laquelle ils sont des «Juifs qui se haïssent eux-mêmes» – une avalanche de calomnies aussi horribles et ridicules que les purges mac carthystes des années 1950. C’est la justice d’Alice-au-Pays des-Merveilles : d’abord la peine, puis le verdict, et seulement ensuite (ou jamais) le procès.

J’ai été membre du Parti travailliste pendant la plus grande partie des six dernières décennies. J’ai vu arriver et partir neuf dirigeants successifs. Nous avons connu beaucoup de purges et de répressions commises par la droite auparavant : mais JAMAIS à une échelle comparable – ni sous Gaitskell, Kinnock ou Blair : expulsions massives, suspensions, sections de circonscription soumises à des mesures spéciales… Et le tout sans mise en examen ni procédure régulière.

L’appareil du parti est résolu à chasser le demi-million de membres qui ont fait irruption dans le parti pour soutenir un dirigeant socialiste – d’abord en les démoralisant et en les plongeant dans le désespoir, et si nécessaire par des exclusions massives, des suspensions, des mesures spéciales, des fermetures de sections du parti. Comme Angela Rayner l’a expliqué tant de fois : nous expulserons des milliers de membres du parti. Ils savent que pour chaque membre qu’ils suspendent, mille partiront en signe de protestation ou abandonneront par désespoir. Les membres quittent le parti par dizaines et centaines de milliers.

Plus de 100 sections du Labour Party ont défié les instructions et adopté des résolutions en faveur de Corbyn ou des motions de défiance envers Evans / Starmer – y compris, il y a deux jours, ma section. Elles sont systématiquement suspendues ou soumises à des « mesures spéciales ». Au moins 60 000, et probablement deux cent mille, ont quitté le parti avec dégoût.

Dans ma section locale du Labour Party cette semaine, nous avons adopté une motion de censure de la direction du parti par 61% contre 25% avec 14% d’abstentions. On nous avait prévenu que ce n’était « pas une affaire de notre compétence » ! En vertu de quelle règle est-il inconstitutionnel de proposer un vote de défiance envers le leader du parti ? Si notre actuel dirigeant peut, de sa propre initiative individuelle, retirer unilatéralement les prérogatives de son prédécesseur en tant que chef du parti, alors que l’exécutif national élu du parti l’a rétabli sans condition dans son appartenance au parti, alors pour quelles raisons une motion de défiance envers l’actuel dirigeant, déposée lors d’une réunion statutaire du parti, pourrait être déclarée irrecevable ?

Nous avions également une autre motion à l’ordre du jour : pour la liberté d’expression – et cela aussi a été décrété irrecevable ! Oui, vous avez bien entendu ! Jamais auparavant le droit à la liberté d’expression lui-même n’a été aussi explicitement et autant refusé. Cela étant, à quoi sert le Parti travailliste ? Le Parti travailliste a été créé précisément pour défendre les syndicats : le droit de s’organiser et le droit à la liberté d’expression ! Nous avons exigé que les bureaucrates nous disent – nous avons le droit de savoir – en vertu de quelle règle de la constitution du parti est-il interdit de réclamer même la liberté d’expression ?

On nous dit que le but de cette répression est de garantir que le Parti travailliste reste un « espace sûr et accueillant ». Retour en force de la logique d’Alice-au-Pays-des-Merveilles ! Est-ce ainsi que vous le rendez sûr et accueillant ? En nous refusant le droit à la libre expression ? En menaçant de nous faire baisser le rideau ? En tant que membre juif du parti travailliste, je suis reconnaissant du souci de M. Evans de faire en sorte que le parti travailliste reste un « espace sûr et accueillant » pour les membres juifs. J’aimerai juste qu’on puisse lui faire confiance pour que le parti reste un espace sûr et accueillant pour les socialistes.

Mais contrairement aux années du New Labour, ce sont eux qui sont en décalage avec la période. Starmer pense qu’il peut répéter l’expérience du New Labour, mais Blair est arrivé au pouvoir avec le soutien sans réserve de la classe dirigeante à une époque de boom prolongé. Le New Labour était inondé de dons de grandes entreprises et du soutien de la presse Murdoch. Son rôle était de poursuivre le programme de Thatcher quand les conservateurs eux-mêmes furent trop discrédités. Mais dans les conditions de boom de cette époque, le New Labour était toujours en mesure de mener à bien certaines réformes : le salaire minimum, l’accord du Vendredi saint, un programme d’investissement en capital (bien que dans le cadre de la soi-disant initiative de financement privé). Lorsque le crash est survenu en 2008, ils ont rapidement renoncé aux services du New Labour.

Mais aujourd’hui, en cette période de crise sans précédent, il n’y a plus de place pour le blairisme, le New Labour, la « modération », une « troisième voie ». Il n’y a pas de « voie médiane ». Le choix est entre un capitalisme avec du sang sur les dents et les griffes, ou une solution socialiste. C’est pourquoi Starmer ne réussira jamais dans une tentative consacrée à suivre les traces de Blair.

Ainsi, une scission au sein du Parti travailliste n’est pas seulement une perspective lointaine – cela se passe déjà maintenant. Cela n’est pas dû aux tactiques destructrices de la gauche ; c’est effectué avec la plus grande vigueur et détermination par la droite. Ils sont déterminés à chasser la gauche pour transformer le Parti travailliste en un réseau apprivoisé de carriéristes en herbe. C’est une guerre civile unilatérale. Comme d’habitude, la gauche plaide pour l’unité, tandis que la droite conduit impitoyablement le processus à sa conclusion. Puisqu’il n’y a pas de direction de gauche claire avec une stratégie et une perspective, elle procède à l’aveuglette, par à-coups. Mais il n’y a pas d’autre issue concevable. La scission du Parti travailliste a déjà commencé. Soyons clairs : je n’appelle pas à une scission. Starmer, Evans et Rayner en font une.

C’est pourquoi, tout simplement abandonner, individuellement par désespoir, sans aucun plan est une erreur désastreuse. Ne faites pas à Starmer la faveur de partir sans combat. Les sections suspendues doivent se relier d’urgence. C’est la seule voie à suivre. Elles ne doivent pas se fragmenter ou dissiper leurs forces, mais s’unir en tant que véritable épine dorsale du parti travailliste : relier les sections suspendues et les membres individuels dans un réseau national, et appeler au soutien de la base syndicale du parti. Félicitations à Labour In Exile pour l’avoir commencé !

Si nous, à West Ham CLP, sommes interdits, nous créerons un nouveau mouvement sous le nom de Newham Socialist Labour, auquel tous les militants syndicaux, qu’ils soient encore membres du Labour Party ou injustement suspendus, se réuniront, établiront un plan et feront campagne et gagneront un soutien de masse.

Mais un nouveau parti ne sera pas créé à partir de rien. Aucun individu, aussi charismatique soit-il, n’a réussi à lancer un nouveau parti socialiste de masse – ni James Maxton et ses collègues membres de l’ILP, qui étaient après tout, les géants de la fière histoire de la fondation du premier parti ouvrier de masse britannique ; ni Arthur Scargill, qui mena la plus grande grève de l’histoire britannique depuis la grève générale (de 1926) ; ni George Galloway, qui avait au moins défié les travaillistes pour remporter une élection historique en tant qu’indépendant ; pour ne rien dire de la myriade de sectes ultra-gauches.

La clé de la construction d’un parti ouvrier de masse repose, comme toujours, sur les syndicats, qui ont formé le Parti travailliste originel. C’est là que le combat doit être mené. Mais que voyons-nous ? Les mêmes personnes qui nous blâmaient de nous présenter aux élections du NEC, nous accusant à tort de « diviser le vote de gauche » (une accusation complètement fallacieuse) elles-mêmes ont sciemment divisé le vote de gauche lors des récentes élections d’UNISON et ont donné à l’aile droite un accès facile vers la victoire. Cela ne doit pas se reproduire lors des prochaines élections à UNITE.

Il appartient aux syndicats soit de reprendre le parti travailliste, soit de le remplacer pour fonder un véritable parti socialiste du travail. Ce n’est pas une perspective irréaliste. En 2004, le syndicat des chemins de fer RMT et le syndicat des pompiers FBU se sont désaffiliés du parti travailliste, et aussi récemment en 2015, UNITE menaçait en fait de lancer un parti alternatif. Et tout récemment, il a coupé son financement au Parti travailliste pour protester contre sa direction.

C’est à travers les syndicats comme avec les sections du Labour et les militants nouvellement insurgés que les millions de victimes du capitalisme trouveront leur vraie voix : les travailleurs sans emploi, les familles sans logement, les jeunes sans avenir. Nous avons le potentiel de construire un mouvement socialiste de masse pour défier ce gouvernement des spéculateurs, des requins des fonds spéculatifs et des blanchisseurs d’argent sale. Le temps est venu !

Roger Silverman

Traduction par nos soins

Source : https://www.onthebrink.online/roger-silverman-speaks-at-lla-conference/


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