Il y 59 ans, la police massacrait des manifestants à Charonne

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Révolution permanente

Le 8 février 1962 il y a presque 60 ans, 9 manifestants ont été tués et 250 ont été blessés par la police après une manifestation de plus de 20 000 personnes pour la paix en Algérie et contre les massacres de l’OAS. La foule, pourchassée jusque dans la bouche de métro Charonne, a vu la violence de la police se déchaîner contre elle. Ces policiers, aux ordres de Maurice Papon, préfet de Paris et ancien collaborateur sous Vichy, ne furent jamais poursuivis. Retour sur ce crime impuni qui résonne avec la violence policière actuelle.

Février 1962. La guerre d’Algérie dure depuis 8 ans. Si elle touche à sa fin, son issue est encore loin d’être jouée. Des négociations ont commencé en mai 1961 à Évian entre le gouvernement français et le GPRA, le Gouvernement provisoire de la République Algérienne émanant du FLN (Front de Libération Nationale). Mais en Algérie, la guerre continue. Et en France, la répression s’abat sur les manifestants. Face à la lutte du peuple algérien pour son indépendance, l’impérialisme français et ses tenants les plus réactionnaires se sont en effet violemment défendus.

En Algérie, en avril 1961, une tentative des généraux de prendre le pouvoir a échoué. L’extrême droite qui milite pour le maintien de l’Algérie sous domination coloniale, regroupée sous le sigle de l’OAS (Organisation Armée Secrète), commet des actions terroristes, des attentats, des lynchages, contre tous ceux dont elle estime qu’ils soutiennent la lutte du peuple algérien.

Le 17 octobre 1961, à Paris, des Algériens de la métropole qui manifestent massivement à l’appel du FLN contre le couvre-feu imposé par le gouvernement de l’époque et contre l’état colonial français sont tués par la police, jetés à la Seine. La répression de masse qui s’abat ce jour-là sur les manifestants est l’expression, sur le territoire métropolitain, de toute la violence de l’État français pour maintenir sa domination impérialiste. Au-delà de cet évènement précis, la police française, ouvertement raciste, commet régulièrement des « ratonnades ». À Paris elle est, en octobre 1961 comme en février 1962, dirigée par le préfet Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous Vichy, collaborationniste et organisateur de rafles de juifs sous l’Occupation.

Au début de l’année 1962, l’OAS multiplie les attentats contre ceux qu’elle accuse de trahir la France : une trentaine de plastiquages ont lieu en quelques semaines. Dans la nuit du 6 au 7 janvier, c’est le domicile de Jean-Paul Sartre qui est visé. Puis, le 7 février 1962, celui d’André Malraux, alors ministre de la Culture sous De Gaulle. Cet attenta défigure une fillette de 4 ans qui vivait aussi dans l’immeuble, ce qui provoque une vive émotion dans l’opinion.

Une manifestation est appelée dès le lendemain par plusieurs organisations politiques et syndicales – CGT, CFTC, UNEF, syndicats enseignants et aussi PCF et PSU – pour protester contre les attentats de l’OAS, derrière les mots d’ordre « contre le fascisme » et « pour la paix en Algérie ». La capitale est soumise au régime de l’état d’urgence : ce 8 février, le rassemblement est interdit. Des dizaines de milliers de manifestants bravent l’interdiction (entre 20 000 et 30 000) et convergent à 18h30 vers la place de la Bastille, déjà couverte de flics. Une heure plus tard environ, alors que les organisateurs s’apprêtent à déclarer la dispersion de la manifestation, la police charge à coup de matraques à plusieurs reprises les manifestants, les obligeant à refluer vers le boulevard Voltaire. Ceux-ci cherchent à se réfugier dans le métro, à la station Charonne. Ils se retrouvent coincés en bas des escaliers, entassés les uns sur les autres. La police se déchaîne contre eux : ils matraquent tous ceux qui cherchernt à s’échapper. Des témoins rapporteront que des policiers vont se saisir des personnes et les jeter dans l’escalier par dessus la rampe de la bouche de métro, ou encore jeter des grilles d’arbre et d’aération en fonte sur la masse humaine prise au piège.

Cette soirée de répression fera au total 9 morts et plus de 250 blessés.

Ce sont d’abord 8 morts, sept étouffés et le huitième matraqué à mort, le crane fracturé. Une neuvième victime mourra plus tard des suites de ses blessures.

Le mardi 13 février, jour des obsèques, rassemble une foule immense et silencieuse. Il y a des millions de grévistes, et dans la capitale des milliers de personnes défilent entre la place de la République et le cimetière du Père-Lachaise.

Mais les assassins de Charonne, ceux de cette police aux ordres de Papon, resteront impunis. En liaison direct avec la préfecture, ces brigades spéciales ont reçu l’ordre de charger des manifestants. Aujourd’hui, la plupart sont décédés sans jamais être poursuivis, tout comme ceux du massacre du 17 octobre, symbole d’une impunité policière qui résonne avec celle du présent.

Le nom de Charonne est immédiatement rentré dans les mémoires, des noms et des visages sont mis sur les victimes de la police, à l’inverse du massacre du 17 octobre 1961 qui fut lui censuré et maintenu sous une chape l’oubli pendant de nombreuses années. Alors que la presse de l’époque ne mentionne en octobre qu’à peine les Algériens noyés dans la Seine, le drame de Charonne est rendu beaucoup plus visible grâce à la présence d’une partie de la gauche française, et notamment du Parti communiste, dont les militants et sympathisants n’ont pas été épargnés ce soir-là.

Ces déchaînements de violences policières sont pourtant tous deux représentatifs de la défense de l’État colonial français pendant la guerre d’Algérie. Cette époque est également fondatrice pour la structuration de la « police républicaine » à la française, et reste déterminante jusqu’à aujourd’hui. Les policiers qui ont sévi en Algérie et dans les autres colonies, y compris ceux soupçonnés de torture, reprendront du service en métropole à la fin de la guerre. L’Algérie sera également le terrain d’expérimentation du « maintien de l’ordre » à la française, en matière de répression de la population. Les brigades spéciales qui répriment les Algériens posent les jalons de celles qui seront déployées par la suite dans les quartiers populaires face aux enfants et petits-enfants des immigrés des anciennes colonies françaises.

Les flics qui assassinent traversent les années, intouchés et impunis, car ils sont le bras armé de l’État pour maintenir un ordre inégalitaire, oppressif et raciste, celui du système capitaliste. Les assassins de Charonne ne seront jamais sanctionnés par l’État et la justice bourgeoise, et leurs successeurs sont même dotés d’outils supplémentaires pour agir en toute impunité, comme la Loi « sécurité globale » du gouvernement Macron. Mais nous pouvons nous souvenir de leurs victimes, celles qui manifestèrent ce soir-là, et continuer à porter un combat résolument anti-impérialiste et anti-colonialiste, celui pour une société débarrassée de l’exploitation et de la domination.

Les victimes des violences policières du 8 février 1962 au métro Charonne :
– Jean-Pierre BERNARD, 30 ans, dessinateur aux PTT ;
– Fanny DEWERPE, 30 ANS, sténodactylographe ;
– Daniel FERY, 15 ans, employé de presse ;
– Anne GODEAU, 24 ans, agent d’exploitation aux PTT ;
– Edouard LEMARCHAND, 40 ans, employé de presse ;
– Suzanne MARTORELL, 40 ans, employé de presse ;
– Hippolyte PINA, 58 ans, militant du PCF et de l’Union Syndicale du Bâtiment de Seine et Oise CGT ;
– Maurice POCHARD ;
– Raymond WINTENGS, 44 ans, imprimeur typographe


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut