Bernard Noël, Michel Surya, Sur le peu de révolution

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SOURCE : Dissidences

Un compte rendu de Frédéric Thomas

Composés d’extraits de la correspondance entre le poète Bernard Noël et Michel Surya, fondateur de la revue Lignes et auteur, entre autres, de La Révolution rêvée (Paris, Fayard, 2004), Sur le peu de révolution offre une réflexion sur ce spectre qui continue de hanter notre époque. S’étalant sur près de quatre décennies (quelques phrases d’une lettre de mai 1991 ouvrent ce livre, qui s’achève par une réflexion de chacun des auteurs, écrite pour la publication de cet essai fin septembre-début octobre 2019), cet essai donne également à voir les échanges entre les deux penseurs, commentant leurs livres, pensant à deux l’époque, ainsi que leur amitié1. Se vérifie de la sorte l’intuition de Bernard Noël et Michel Surya d’une intimité de l’histoire privée et publique, de la littérature et de la révolution.

Une série de questionnements traverse ces lettres : « comment penser autrement le pouvoir ? » (page 9), et avec elle la révolution, non comme prise de pouvoir, mais comme « dégradation du pouvoir » (page 48) ; la place et l’esprit de la Commune2 ; etc. Au fil des pages, sont évoqués certains des événements, des voyages, des souvenirs centrés sur cet « oubli plus profond » du mot, de l’horizon, du sens même de la révolution. Sans savoir exactement « si ce mal est celui de la mémoire qui manque et troue la langue ou s’il est de la langue elle-même qui est sans plus pouvoir accéder à sa mémoire » (page 11).

La révolution apparaît au fil des pages aussi comme la condamnation de la politique – et de ses rituels : « on offre au peuple de servir la messe démocratique tous les cinq ans. Une messe minable » (page 43) – et son renversement : « il n’y a de politique authentique et effective que révolutionnaire » (page 70).

Le désespoir et l’impuissance guettent souvent, prenant parfois le dessus. Mais la familiarité avec ceux-ci dessinent en creux un « chemin sans chemin ». Jamais Michel Surya et Bernard Noël ne s’y installent, tentant plutôt d’en prendre la mesure, d’enregistrer la disparition – et, avec celle-ci, les fantômes rêvés, en retard sur la fin. « Que faire pour positiver le désespoir, en faire l’arme efficace que, jamais, n’a été l’espoir ? » s’interroge ainsi Bernard Noël (page 52). Question qui rebondit dans celle de la révolution ; en fin de compte, n’est-ce pas le rêve, l’absence ou le peu de celle-ci qui, tiraillés et tournées d’un certain côté, sous un certain angle, en ferait une arme malgré tout encore efficace ? Plus peut-être que ne l’ont été les révolutions passées – sauf éventuellement, en raison de sa spécificité, la Commune, comme en débattent les deux auteurs –, confondues avec la prise de pouvoir.

2Bernard Noël est l’auteur d’un très beau Dictionnaire de la Commune (Flammarion, 1978).


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