Toujours plus d’inégalités, toujours plus d’oligarchie – par Chris Hedges

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SOURCE : Les crises

Source : Consortium News, Chris Hedges

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

La concentration stupéfiante des richesses au sommet a déformé nos institutions gouvernementales. Refaire de nouvelles vitrines ne mettra pas fin à l’oligarchie.

Le Capitole américain derrière une barrière, 22 janvier 2021. (Ted Eytan, Flickr)

Ce n’est pas la civilité qui mettra fin à la spirale de la mort de l’Empire américain. Elle ne sera pas arrêtée par les quelques 42 décrets signés par le président Joe Biden, même si nombre d’entre eux sont les bienvenus, tout particulièrement puisqu’ils peuvent être immédiatement révoqués en cas de nouveau chef de l’exécutif.

Elle ne sera pas stoppée parce qu’on exclut des médias sociaux Donald Trump et ses soutiens, soient-ils théoriciens fêlés du complot, fascistes chrétiens ou racistes.

Elle ne sera pas stoppée en enfermant les Proud Boys [organisation américaine néo-fasciste, n’acceptant que les hommes parmi ses membres, elle promeut et est impliquée dans des actes de violence politique aux États-Unis, NdT] et les manifestants paumés qui ont pris d’assaut le Congrès le 6 janvier et ont fait des selfies assis sur le siège du vice-président Mike Pence au Sénat. Elle ne sera pas stoppée parce qu’on rétablit les alliances déliquescentes avec nos alliés européens ou parce que nous rejoignons l’Organisation mondiale de la santé ou l’Accord de Paris sur le climat.

Toutes ces mesures ne sont que de la poudre aux yeux, masquant la cause profonde de la faillite de l’Amérique : le pouvoir oligarchique et la cupidité effrénée. La richesse est concentrée vers le haut, dans les mains d’une minuscule clique oligarchique, qui a mis Biden au pouvoir et dont il sert assidûment les intérêts, plus longtemps cela durera, mieux nous sommes condamnés.

(Oeuvre originale de M. Fish)

Une fois qu’une oligarchie s’empare du pouvoir, déformant les institutions gouvernementales pour servir exclusivement ses propres petits intérêts et transformant la citoyenneté en servage, il n’y a plus que deux options, comme l’a souligné Aristote : la tyrannie ou la révolution. La concentration stupéfiante des richesses et l’avarice obscène des très riches réduisent aujourd’hui à peu de chose l’hédonisme et les excès passés des despotes les plus odieux et des capitalistes les plus riches du monde.

En 2015, peu avant sa mort, Forbes a estimé la valeur nette de David Rockefeller à 3 milliards de dollars. Le Shah d’Iran s’est emparé d’environ 1 milliard de dollars de la richesse de son pays. Ferdinand et Imelda Marcos ont amassé entre 5 et 10 milliards de dollars. Et l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe pesait environ un milliard. Jeff Bezos et Elon Musk ont chacun atteint une richesse de 180 milliards de dollars.

La nouvelle richesse vient d’un capitalisme de cartels beaucoup plus concentré et bien plus criminel que tous les cartels construits par les vieux barons voleurs du XIXe siècle.

Et cela a été rendu possible par les présidents Ronald Reagan et Bill Clinton qui, en échange de l’argent des entreprises pour le financement de leurs campagnes et, plus tard, de la fondation de Clinton et pour maintenir un style de vie opulent après la présidence, ont aboli les réglementations qui protégeaient autrefois les citoyens des pires formes d’exploitation monopolistique.

La déréglementation a permis le plus grand transfert ascendant de richesse de l’histoire américaine. Quoi que vous disiez de Trump, il a au moins initié des efforts pour démanteler Facebook, Google, Amazon et les autres monopoles de la Silicon Valley, ce qui n’arrivera pas sous Biden, dont la campagne a été financée par ces multinationales. Et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles ces plateformes numériques ont banni Trump des médias sociaux.

Main basse sur la Richesse et le Pouvoir

Les nouveaux barons voleurs propagent une politique identitaire anti-classiste du Parti démocrate afin de détourner l’attention de leur mainmise sur la richesse et le pouvoir, ainsi que de leur exploitation des travailleurs, en particulier ceux qui fabriquent leurs propres produits à l’étranger. Des sociétés telles que Walmart comptent 80 % de leurs fournisseurs en Chine. Ces entreprises sont des partenaires à part entière du capitalisme contrôlé par l’État chinois et de la suppression des droits fondamentaux du travail et des salaires, dans un pays où la plupart des travailleurs chinois gagnent moins de 350 dollars par mois et travaillent dans des conditions dignes de Dickens.

Il n’y a pas la moindre volonté politique au sein des élites dirigeantes pour défendre les droits des salariés d’Amazon qui sont violemment privés par l’entreprise, le deuxième plus grand employeur du pays, de la possibilité de former des syndicats, alors qu’ils travaillent toute la nuit dans des entrepôts pleins de courants d’air et contaminés par la Covid-19 ou qu’ils livrent des colis pour 15 dollars de l’heure, ce qui maintient des milliers de salariés d’Amazon dans la dépendance des bons alimentaires. De même, il n’y a aucune volonté politique parmi les élites pour défendre les droits des travailleurs en Chine, souvent contraints de faire 100 heures supplémentaires par mois dans des ateliers clandestins pour seulement 2 ou 3 dollars de l’heure.

A maintes reprises, l’histoire a illustré les conséquences désastreuses de l’extrême inégalité sociale. Elle attise un ferment révolutionnaire, celui-ci pouvant naître tant à gauche qu’à droite. Soit c’est un populisme de gauche qui prend le contrôle en écrasant le pouvoir oligarchique, soit c’est sa contrefaçon, un populisme de droite, fondé sur la synergie empoisonnée de la haine, du racisme, de la vengeance et de la violence – et financé par les oligarques détestés qui l’utilisent comme façade pour solidifier la tyrannie. C’est vers cette dernière que nous nous dirigeons.

La croissance vertigineuse des inégalités sociales se retrouve dans les sombres statistiques qui nous ramènent à la douleur, au désespoir et à la souffrance qui affligent quelque 70 % de la population américaine.

Autocollant dans une rue de Washington, février 2020. (Mike Maguire, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

La richesse des milliardaires américains a augmenté à plus de 1100 milliards de dollars depuis la mi-mars 2020, lorsque la pandémie a commencé à ravager le pays, soit un bond de près de 40 % au cours des dix derniers mois. La richesse totale des 660 milliardaires américains, soit 4100 milliards de dollars, est supérieure des deux tiers aux 2400 milliards de dollars, richesse totale détenue par la moitié la moins bien nantie de la population, soit 165 millions d’Américains.

On compte huit millions d’Américains de plus dans la classe des « nouveaux pauvres », le taux de pauvreté ayant augmenté de 2,4 points entre juin et décembre 2020. Il se situe maintenant à 11,8 %, bien que de nombreux économistes soutiennent que le taux de pauvreté officiel de 26 500 dollars pour une famille de quatre personnes masque le fait que la moitié du pays vit peut-être dans une pauvreté réelle.

Pour les Noirs, le taux de pauvreté officiel a augmenté de 5,4 % pour atteindre 23,6 % et cela simplement entre juin et décembre, mais là encore, il est probablement au moins deux fois plus élevé. Il est également à noter que pour les Noirs, tout comme pour les Hispaniques et les Amérindiens, le taux de mortalité dû à la Covid-19 est presque trois fois supérieur à celui des Blancs, selon les Centres de contrôle et de prévention des maladies.

Des manifestants à Minneapolis après l’assassinat de George Floyd par la police, le 26 mai 2020. (Lorie Shaull, CC BY-SA 2.0, Wikimedia Commons)

Mais, en dépit du fait que de nombreux Noirs travaillent dans le secteur de la santé, ils sont vaccinés dans des pourcentages bien inférieurs à ceux des Blancs. Dans le Maryland, par exemple, les Noirs représentent 30 % de la population et 40 % des personnels du secteur de la santé, et pourtant ils ne représentent que 16 % des personnes vaccinées.

Depuis le début de la pandémie, les propriétaires ont déposé plus de 227 000 demandes d’expulsion dans les seules 27 villes des cinq États que le Princeton Eviction Lab surveille – et ce alors qu’il y a un moratoire national sur les expulsions. Douze millions de locataires, qui doivent en moyenne 5 600 dollars d’arriérés de loyer et de charges, risquent aujourd’hui d’être expulsés de leur logement. Fin 2020, on estimait à 50 millions le nombre d’Américains souffrant d’insécurité alimentaire, contre 35 millions en 2019. Selon un rapport de Feeding America, un ménage sur quatre avec enfants a connu l’insécurité alimentaire en 2020.

Lancer de la petite monnaie depuis des calèches dorées

Les oligarques au pouvoir réagissent en lançant aux masses méprisées des pièces de monnaie depuis leurs voitures dorées. Les Démocrates ont proposé d’augmenter le salaire minimum fédéral de 7,25 dollars à 15 dollars, mais pas avant 2025. Biden a en fait demandé de réduire le troisième chèque de relance prévu – un chèque de 1 200 dollars pour les adultes éligibles a été émis au printemps dernier et un chèque de 600 dollars par personne a été émis au début de ce mois – passant de 2 000 à 1 400 dollars.

Même ces réponses dérisoires suscitent des critiques de la part des oligarques. Larry Summers, le secrétaire au Trésor de Clinton qui a orchestré le sauvetage de Wall Street en 2008, a qualifié les chèques de 2 000 dollars – des miettes comparées aux billions remis aux spéculateurs de Wall Street – de « grave erreur ». Elon Musk, aujourd’hui l’une des deux personnes les plus riches de la planète, a déclaré qu’un second « plan de relance du gouvernement n’est pas dans l’intérêt de la population. »

La réaction d’une classe dirigeante moralement en faillite est symbolique, étant donné que nous traversons la pire crise économique depuis la Grande Dépression et qu’on estime qu’un tiers des Américains ont du mal à payer leurs factures. Elle illustre à quel point les élites sont lamentablement déconnectées de la vie de ceux qu’elles asservissent.

À moins que les familles ne reçoivent des paiements mensuels réguliers d’au moins 2 000 dollars jusqu’à la fin de la pandémie ; à moins que le pays n’ait accès à des soins de santé universels, en particulier en cas de crise sanitaire nationale ; à moins que le pays ne se détourne radicalement des combustibles fossiles pour mettre un terme à l’écocide qui menace ; à moins que les dettes handicapantes qui grèvent les comptes bancaires des familles américaines ne soient réduites ou annulées ; à moins qu’il n’y ait un moratoire irrévocable sur les expulsions et les saisies, et à moins que les industriels nationaux et étrangers ne soient contraints, par des accords commerciaux et de sévères codes du travail, de payer des salaires décents, de se conformer à une législation du travail stricte et d’autoriser des syndicats indépendants, les oligarques ne feront qu’accélérer leur pillage.

La lutte des classes est mondiale. La classe ouvrière américaine ne sortira de la pauvreté que lorsque les travailleurs des ateliers clandestins de Chine, du Mexique, du Cambodge, du Vietnam, de l’Inde et du Bangladesh seront eux-même sortis de la misère. Cette guerre des classes est le véritable combat, dont les plateformes médiatiques appartenant aux entreprises et les libéraux en faillite refusent de discuter.

« En définitive, des liens existent entre toutes les communautés et États », a écrit Martin Luther King dans sa lettre depuis la prison de Birmingham. « Nous sommes pris dans un inéluctable filet de coresponsabilité, enfermés dans l’enveloppe d’une même destinée. Tout ce qui affecte directement l’un, affecte indirectement tous les autres. Je ne peux jamais être ce que je devrais être tant que vous n’êtes pas ce que vous devriez être, et vous ne pouvez jamais être ce que vous devriez être tant que je ne suis pas ce que je devrais être. »

Rosa Luxemburg en 1910. (Wikimedia Commons)

Le libéralisme, que Rosa Luxemburg a appelé d’un nom plus approprié – « l’opportunisme » – est une composante intégrale du capitalisme. Lorsque les citoyens deviennent réticents, ou lorsque le capitalisme entre en crise comme ce fut le cas dans les années 1930, les libéraux améliorent les cruels excès du capitalisme. Franklin Delano Roosevelt a dit à juste titre que sa plus grande réussite était d’avoir sauvé le capitalisme.

Mais le capitalisme, a soutenu Luxemburg, est un ennemi qui ne peut jamais être assouvi. Les réformes libérales, telles que la législation du New Deal, sont utilisées pour contrecarrer temporairement la résistance organisée, puis, plus tard, lorsque les choses se calment, elles sont démantelées afin que puisse être rétabli l’asservissement capitaliste. L’histoire du capitalisme illustre ce basculement constant entre les réformes libérales et l’exploitation capitaliste non réglementée.

Le dernier siècle de luttes ouvrières aux États-Unis, pendant lequel on a vu les syndicats être largement détruits, et l’avènement du néolibéralisme, de l’austérité, du militarisme rampant et de la désindustrialisation confirment largement la thèse de Luxemburg.

Un libéralisme raté

L’ancien président Bill Clinton, à gauche, félicitant le nouveau président Joe Biden, le 20 janvier 2021. (Capture d’écran)

Le fascisme est le résultat d’un libéralisme raté. Le libéralisme étant corrompu, comme il l’a été aux mains du Parti démocrate depuis Bill Clinton, tout ce qu’il reste aux libéraux qui s’identifient comme tels sont des appels à la tolérance et à la civilité, amputés de justice économique. Cette politesse, qui représente parfaitement la Maison Blanche de Biden, entretient une animosité à l’égard des élites dirigeantes, ainsi que des libéraux sans foi ni loi et des valeurs libérales qu’ils prétendent défendre.

La promotion des femmes, des personnes de couleur et de celles ayant des orientations sexuelles différentes à des postes de direction dans l’État oligarchique n’est pas une avancée. C’est une espèce de colonialisme d’entreprise. C’est une stratégie. La politique culturelle vient se substituer à la politique réelle.

Lorsqu’il est devenu impossible pour les colonisateurs belges d’exploiter ouvertement le Congo, ils ont installé le pantin corrompu et docile Joseph-Désiré Mobutu, après avoir, bien sûr, assassiné le courageux leader indépendantiste et premier Premier ministre, Patrice Lumumba.

Mobutu, qui a détourné entre 4 et 15 milliards de dollars pendant son règne dictatorial sanglant, a servi ses maîtres coloniaux jusqu’à la fin. Il faut s’attendre aux mêmes prosternations devant le pouvoir des entreprises en raison des diverses nominations au sein du cabinet de Biden et à la même répression de l’État si cela devait s’avérer nécessaire.

Les systèmes politique, culturel et judiciaire de tout État capitaliste sont centrés sur le caractère sacré de la propriété privée. Les lois et la législation sont instaurées pour la défense des riches contre les pauvres, ou, comme l’écrit Luxemburg, « ceux qui sont des possédants contre ceux qui ne possèdent rien ».

Ce parti pris inhérent aux sociétés capitalistes devient cependant criminel une fois que les monopoles, depuis Wall Street Banks jusqu’à la Silicon Valley, s’emparent des organes du pouvoir. Ces monopoles créent, en abolissant la réglementation et la surveillance, comme l’écrit l’économiste politique Karl Polanyi, d’abord une économie mafieuse, puis, inévitablement, un État mafieux.

Les Démocrates et les Républicains ont légalisé un niveau de cupidité et de fraude que même les héritiers des barons voleurs jugeaient insoutenable. Le « capitalisme éclairé » de David Rockefeller, même s’il était égoïste, ainsi que son appel à une nation de partenaires et sa formation de la Commission trilatérale [La Commission entend alors devenir un organe privé de concertation et d’orientation de la politique internationale des pays de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon). Sa charte fondatrice résume : « Centrée sur l’analyse des enjeux majeurs auxquels font face l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon, la Commission s’attache à développer des propositions pratiques pour une action conjointe. Les membres de la Commission regroupent plus de 200 distingués citoyens provenant des trois régions et engagés dans différents domaines; NdT] », ont été mis de côté pour permettre aux entreprises de se livrer à un pillage incontrôlé.

Bill Clinton et ses deux conseillers au Trésor, Robert Rubin et Larry Summers, ont instauré un système de capitalisme non réglementé qui a conduit à l’anarchie financière. Cette forme débridée de capitalisme, où tout, y compris les êtres humains et le monde naturel, est une marchandise à exploiter jusqu’à épuisement ou effondrement, est justifiée par une politique identitaire.

Il est présenté comme du « libéralisme éclairé » par opposition à la vieille politique de classe pro-syndicale qui amenait les démocrates à écouter les voix de la classe ouvrière. L’anarchie financière et le pillage à court terme ont détruit la stabilité financière et politique à long terme. Elle a également rapproché l’espèce humaine, ainsi que la plupart des autres espèces, de plus en plus de l’extinction.

Plus les travailleurs sont déshumanisés, comme le note Polanyi, plus les élites dirigeantes sont moralement dégradées. Une richesse inouïe crée une pauvreté inouïe.

« Les universitaires ont unanimement clamé qu’une nouvelle science avait été découverte, qu’elle levait tous les doutes quand aux lois régissant le monde humain, écrit Polanyi à propos des capitalistes du laisser-faire. C’est sur l’injonction de ces lois que la compassion a été ôtée des cœurs, et qu’une détermination stoïque à renoncer à la solidarité humaine au nom du plus grand bonheur du plus grand nombre a obtenu le digne statut de religion laïque. » Les travailleurs, abandonnés par l’État, en arrivent à un point où ils ressemblent plus à des « spectres qui pourraient hanter un cauchemar qu’à des êtres humains ».

La délocalisation d’emplois à l’étranger, dans des pays où les travailleurs triment dans des conditions qui reproduisent les pires abus de la première révolution industrielle, ne permet pas aux salariés des pays industrialisés de faire face à la concurrence. Salaire de subsistance, sécurité de l’emploi et avantages sociaux ont laissé la place à l’insécurité de l’économie du « gig » [L’économie à la tâche. On la désigne aussi sous le nom d’économie à la demande ou économie des petits boulots. C’est un système basé sur des emplois flexibles, temporaires ou indépendants, NdT].

Ce marché mondial oblige les travailleurs, que ce soit dans la Rust Belt [La Rust Belt, est le surnom d’une région de friche industrielle du nord-est des États-Unis, NdT] ou en Chine, à capituler face aux diktats de leurs maîtres capitalistes. L’asservissement de la classe ouvrière, dans notre pays tout comme à l’étranger, ne peut être combattu par une réforme juridique ou législative alors que le système politique est otage de l’argent des entreprises et que la fonction politique est définie par la corruption légalisée.

Le capitalisme mondial fouille sans relâche la planète pour trouver de la main-d’œuvre bon marché et non organisée à exploiter et des ressources naturelles à piller. C’est sa nature, comme l’avait compris Karl Marx. Il rachète ou renverse les élites locales. Il entrave la capacité du monde en développement à devenir autosuffisant. Dans le même temps, il prive les travailleurs du monde industrialisé d’emplois bien rémunérés, d’avantages sociaux et de protections juridiques, les poussant vers un servage perpétuel à la dette, qui ne fait que gonfler plus encore les comptes bancaires de ces spéculateurs mondiaux.

Ses deux objectifs permanents sont la maximisation du profit et la réduction des coûts de production, ce qui exige que les travailleurs soient rendus impuissants et traités comme des prisonniers. Cette attaque mondiale contre la classe ouvrière alimente une rage mondiale. Et son visage, comme nous le voyons au sein de la classe ouvrière blanche et dépossédée en Amérique, peut souvent être très laid.

Graffitis au pochoir à Lübeck. (Asterion, CC BY-SA 2.5, Wikimedia Commons)

Apple, une des entreprises les plus rentables du monde, est l’incarnation du capitalisme mondial « éclairé. » WIRED a rapporté que « les employés d’Alphabet, Amazon, Apple, Facebook, Microsoft et Oracle ont depuis le début de 2019, contribué à hauteur de près de 20 fois plus pour Biden que pour Trump. Selon les données publiées par la Commission électorale fédérale, qui exige que les personnes qui contribuent à hauteur de 200 dollars ou plus à une campagne présidentielle le signalent à leur employeur, les employés de ces six entreprises ont contribué à hauteur de 4 787 752 dollars pour la campagne de Biden et seulement 239 527 dollars pour celle de Trump. »

Selon WIRED, les employés d’Alphabet, la société mère de Google, sont, dans la Silicon Valley, les principaux bailleurs de fonds de Biden. Ils ont fait don de près de 1,8 million de dollars, soit plus d’un tiers de l’argent total collecté auprès des employés des six sociétés. Open Secrets, un organisme de surveillance du financement des campagnes, a révélé que les contributions des employés d’Alphabet et du comité d’action politique à la campagne de Biden dépassent ensemble celles de toute autre entreprise. À ce titre, Alphabet, Microsoft, Amazon, Facebook et Apple, selon Open Secrets, représentent cinq des sept plus gros donateurs de la campagne Biden.

En Chine, cependant, Apple ne traite guère mieux ses travailleurs que les serfs du XIXe siècle. Jenny Chan, Mark Selden et Pun Ngai dans Dying for an iPhone[S’appuyant sur une recherche approfondie, Mourir pour un iPhone révèle les conditions de travail choquantes des employés de Foxconn, le premier fabricant mondial de produits Apple. Suicides, heures supplémentaires excessives, hostilité et violence dans les usines en Chine, NdT] font le récit des abus endémiques en matière de travail, notamment les salaires inférieurs aux normes et les vols de salaires, les longues heures de travail, les attaques contre les syndicats, le refus de payer les congés maladie, les conditions de travail dangereuses, un environnement de travail difficile et la pression exercée pour respecter les quotas, qui contribuent à un taux élevé de suicides de travailleurs dans les usines qui fabriquent les produits Apple. Les travailleurs sont entassés dans des dortoirs surpeuplés à côté des usines « pour faciliter la production à grande vitesse, 24 heures sur 24 » et sont obligés de faire jusqu’à 130 heures supplémentaires par mois.

La classe ouvrière blanche, privée de ses droits, a opté pour Trump parce qu’il raillait et méprisait les mondialistes et les capitalistes de monopoles qui avaient détruit leurs communautés et leurs vies. Pour eux, la vulgarité de Trump était un répit bienvenu comparé au langage moralisateur et pompeux de l’inclusivité et du politiquement correct utilisé par les oligarques pour masquer les crimes du capitalisme de monopole. Aux États-Unis, le tissu qui relie tous ces groupes de travailleurs blancs disparates et privés de droits est le fascisme chrétien.

Biden, instrument de l’oligarchie mondiale, qui a naïvement l’intention de ressusciter l’ancien régime, ouvre la voie à un despotisme effrayant, dans lequel les voix de la dissidence, de gauche comme de droite, sont censurées et où tous ceux qui refusent d’accepter le nouvel ordre mondial sont étiquetés comme des terroristes nationaux et contraints à la soumission.

L’effondrement de la société, qui se profile à l’horizon, s’accompagne de grotesques distorsions politiques. Trump était un symptôme de cet effondrement. Il n’était pas la maladie. Cette dernière, c’est l’avenir dystopique, un avenir qui se terminera probablement aux États-Unis par une forme de fascisme chrétien, qui nous a été légué par les élites mondiales dirigeantes, celles-là même qui, à une autre époque, se pavanaient dans les salons du château de Versailles ou dans les allées de la Cité interdite.

Chris Hedges, lauréat du prix Pulitzer, a été pendant 15 ans correspondant à l’étranger pour le New York Times, où il a occupé les fonctions de chef du bureau du Moyen-Orient et de chef du bureau des Balkans pour le journal. Auparavant, il a travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l’animateur de l’émission « On Contact » de Russia Today America, nommée aux Emmy Awards.

Source : Consortium News, Chris Hedges, 01-02-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises


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