De l’anthropocène au capitalocène

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog de Gilles Dauvé

         L’idée d’anthropocène voulait exprimer la venue d’une époque où les activités humaines modifient désormais toute la vie sur Terre. Mais la responsabilité indéniable du système capitaliste dans la crise écologique rendait cette notion trop visiblement réductrice, sinon carrément fausse. D’où la montée d’une nouveauté critique, le capitalocène qui, tout en se référant explicitement à un « capitalisme », aboutit à escamoter ce qu’il est au fond, et ne propose finalement que des perspectives politiques le plus souvent fades, en tout cas fort loin d’une révolution sociale et écologique.

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Dans les années vingt, Vladimir Vernadsky, déjà rencontré dans notre premier épisode, affirme qu’ « une force géologique nouvelle est certainement apparue à la surface terrestre avec l’homme. » Telle qu’il la conçoit, la biosphère, unité des interactions entre les organismes vivants de leurs milieux, est positive, car Vernadsky croit que l’espèce humaine améliore la vie sur Terre, pour peu qu’elle s’en donne les moyens.
L’émergence d’une telle vision dans la Russie bolchévik n’est pas due au hasard. Nombreux ont été les projets d’une planète humanisée qui l’ont précédée, de Francis Bacon présentant au XVIIe siècle la science et l’expérimentation comme des outils nécessaires à l’intelligence humaine pour s’approprier la nature, jusqu’aux encyclopédistes français et tant d’autres ensuite. Mais la Révolution d’Octobre offre à un groupe dirigeant l’impression d’être aux commandes d’un pays entier avec sa population, et d’être en capacité de remodeler à la fois l’homme et la nature.
L’hypothèse et le mot sont alors peu ou pas retenues à l’Ouest, on l’on préfère la notion d’un holocène, du grec holos (entier), et kainos (récent), commençant il y a environ douze millénaires quand s’achève la dernière grande glaciation, et qui englobe toute l’époque de la civilisation humaine depuis l’invention de l’agriculture et la naissance des premières cités, c’est-à-dire depuis la « révolution néolithique ». L’un des grands promoteurs de cette notion était Gordon Childe (1882-1957), très inspiré par le marxisme, auteur notamment en 1936 de Man Makes Himself, titre plus significatif que celui de la traduction française, L’Invention de la civilisation (1963).

1 / UN CONCEPT CRITIQUE

L’idée d’anthropocène pointe quant à elle la rupture et distingue une nouvelle période : celle durant laquelle les hommes transforment en profondeur, et de façon qualitativement nouvelle, la planète. Mais jusqu’à quel point ? Et avec quel point de départ ? La fin du Moyen âge et les Grandes découvertes, ou bien la Révolution industrielle ? Nous verrons l’enjeu des deux approches au chapitre suivant. Il s’agit en tout cas de penser l’ensemble constitué par la Terre et l’humanité comme un système global, avec effet de boucle, mais aussi effet de seuil, et donc possible danger. La société se demande dès lors comment « réparer » ses propres méfaits.
Parler d’anthropocène, c’est diviser l’histoire en deux parties : dans la première, l’espèce humaine agissait sur son environnement sans en bouleverser les équilibres fondamentaux ; dans la seconde, où nous vivons, cette action a transformé la nature au point de menacer –peut-être de façon irréversible – les conditions de vie sur Terre.
La pensée russe après 1917 voyait une « bonne » anthropocène. Aujourd’hui ce serait l’inverse.
En 2002, le prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen nommait anthropocène « l’époque géologique actuelle, dominée par les êtres humains, qui a supplanté l’holocène, c’est-à-dire la période tempérée des dix ou douze derniers millénaires. On pourrait fixer le début de l’anthropocène à la dernière partie du XVIIIe siècle : à ce moment-là, les analyses de l’air emprisonné dans les glaces polaires montrent le début de l’augmentation des concentrations mondiales de dioxyde de carbone et de méthane. Cette date se trouve également coïncider avec l’invention par James Watt de la machine à vapeur, en 1784. »
Comme on l’a vu dans l’épisode précédent, vers le milieu du XXe siècle, l’intérêt des théoriciens et chercheurs se porte sur le décalage entre la raréfaction des ressources et la croissance (voire « l’explosion ») démographique, et peu sur le C02 et le réchauffement. L’inquiétude change d’objet dans les années 1980 (1988, création du GIEC) : la modification du climat pose une question, une menace globale, qui touche la planète entière, grandes puissances comme pays « émergents » ou périphériques », donc les gouvernants doivent s’en occuper, du moins en parler. Sans oublier, font valoir les tenants de l’anthropocène, que certains pays ont plus de responsabilités que d’autres. L’idée fait écho à un mouvement vert en ascension, qui attribue la crise écologique à l’hyper-industrialisation, et à l’éco-socialisme qui y voit un effet du capitalisme.
Le mot tombe bien.

2 / PÉRIODISATION

Ce que nous appelons « science » n’est autre que le savoir reconnu scientifique par une époque selon les critères de cette époque. Le monde scientifique fonctionne par commissions, sous-commissions, évaluation collégiale, pris entre des intérêts corporatifs (carrières à promouvoir, publications à assurer, financement à obtenir puis à renouveler) et politiques : les climato-sceptiques reprochent d’ailleurs au GIEC d’être le fruit d’une entente entre gouvernements et, pour cette raison, de chercher le consensus. Si aujourd’hui « officiellement, nous vivons dans la période de l’holocène, à l’ère quaternaire, nous le devons à une série d’accidents historiques et à des procédures de vote d’un petit nombre de géologistes » (Simon Lewis, Mark Maslin).
En moins de vingt ans, l’anthropocène est devenu un concept (et une formule) nécessaire à un monde qui ne peut éviter de s’interroger sur l’accélération d’une croissance industrielle menaçant des équilibres naturels indispensables à toute société – capitaliste comprise.
L’anthropocène est cependant aussi théorisée en un sens anthropocentrique par les éco-modernistes, pour qui il faut maintenant entrer dans un « bon Anthropocène » : grâce à sa technologie, l’homme sera le meilleur garant de l’équilibre planétaire. Le scientisme se ressource dans l’écologie.
La périodisation soulève infiniment plus qu’une question de mot. Selon que l’on s’attache à un holocène étendu sur près de 13 000 ans ou, inversement, à l’anthropocène vieux de quelques siècles seulement, l’explication des phénomènes contemporains diverge. Mais dans le cadre de l’anthropocène, encore faut-il aussi dater le début de l’accélération historique due au capitalisme. Et savoir quand commence le mode de production capitaliste. Avec la Révolution industrielle, comme le pense Paul Crutzen ? Ou aux XVe et XVIe siècles, avec les Grandes découvertes et le début de la colonisation de l’Amérique par plusieurs pays européens ? Le concept de «capital » est interprétable dans de multiples sens, nous y reviendrons au prochain épisode.

3 / MISE EN « CÈNE »

L’anthropocène, c’est l’ère de l’espèce humaine, mais ce que l’on avait pu prendre pour un triomphe de l’homme s’avère son plus grave échec. Après Galilée, Darwin, Freud, l’humanité subit une « nouvelle blessure narcissique ». Concept bien utile pour présenter la modération des gouvernants comme l’unique solution, et recommander à chacun de s’auto-limiter (quoiqu’en l’invitant à consommer).
Pour ce qui en est de sobriété, elle n’est pas langagière. Les néologismes prolifèrent. Avec ou sans majuscule : misanthropocène, sociocène, phagocène (obsolescence programmée), plantationocène, anglocène, thanatocène, plastocène, éconocène, technocène, thermocène, phronocène, homogénocène, polémocène, impérialismocène, nécrocène, et en anglais manthropocene (pour insister sur la dimension patriarcale et sexiste) et growthocene(compulsion de croissance), sans oublier le chthulucène de Donna Haraway (ne pas confondre avec le terrible Cthulhu lovecraftien)…
L’incertitude sur ce que recouvre « l’anthropocène » démultiplie les définitions, l’une engendrant la suivante, comme pour rattraper par un mot nouveau une réalité qui échappe. Au lieu de comprendre les causes de l’inadéquation du concept, on le démultiplie, chaque variante théorisant un aspect particulier comme s’il caractérisait la totalité.
Paradoxe d’une notion qui tout en mettant l’homme en question le place au centre, rassemblant ainsi une espèce humaine unifiée face à la nature, ambiguïté présente dès l’apparition de l’idée en Russie il y un siècle : l’URSS léniniste puis stalinienne se disait en route vers une société sans classe, vers une humanité réconciliée avec elle-même comme avec la nature.

4 / CRITIQUE DU CONCEPT

Ce qu’exprime le concept d’anthropocène, c’est que les activités humaines sont devenues une « force géophysique » capable de transformer la planète au point d’affecter la biosphère.
Mais quelles activités humaines ?
Quelque rôle que les tenants de l’anthropocène accordent au capitalisme, leur choix du terme d’anthropo-cène assimile l’histoire à une évolution qui conduirait l’humanité de « la conquête du feu » voici au moins 500.000 ans à la centrale thermique contemporaine.
Or, si les sociétés humaines n’ont pas attendu le mode de production capitaliste pour créer et subir l’exploitation, les classes, l’État, l’illimitation, etc., le capitalisme porte tout cela à un degré supérieur, qualitativement différent pour l’espèce humaine comme pour la planète, et ce n’est pas un hasard s’il développe l’industrie, l’extractivisme, le productivisme. Il est beaucoup plus, il est autre chose que l’étape (extrême ou ultime…) dans une progression technologique entamée avec l’agriculture (ou plus tôt encore avec la domestication du feu, voire la taille du silex), aggravée ensuite par l’escalade industrielle. L’anthropocène fait ainsi de l’humanité un agent historique par-delà les divisions de classe, et analyse la Terre comme un grand appareillage cybernétique longtemps capable de s’autoréguler… jusqu’à son dérèglement par l’activité humaine.
Ces positions sont notamment exposées en 2013 par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz dans L’événement Anthropocène. Trois ans plus tard, à l’occasion de la réédition de ce livre, les auteurs tiennent à « réviser en profondeur le manuscrit » et ajoutent un chapitre sur le « Capitalocène » qui étudie « la captation très inégale des valeurs d’usage écologique du globe et la dynamique conjointe du capitalisme et des transformations du système Terre depuis un quart de millénaire. »
Ces auteurs ont donc modifié leur analyse. Ils expliquent que le concept d’anthropocèneconsidère à tort l’espèce humaine comme un sujet historique homogène. En réalité, l’essor industriel a été préparé par un capitalisme marchand, qui a exploité les hommes et les ressources du monde depuis le XVIe siècle au profit des grandes puissances européennes. Par conséquent, comprendre comment l’action humaine sur la biosphère a fini par menacer la survie de l’humanité, exige d’en reconnaître la cause et le moteur principal : le capitalisme.
Après l’anthropocène, c’est le tour de son rival, le capitalocène, d’être à la mode, suscitant livres et commentaires de plus en plus nombreux radicaux, et de près ou de loin d’inspiration marxiste. Nous nous attacherons à deux auteurs, fort différents mais représentatifs.
D’abord Andreas Malm qui en 2009 aurait employé le mot capitalocène pour la première fois.

5 / ANDREAS MALM, ou L’ÂGE DU FOSSILE

Puisque le capitalisme est désormais mis au premier plan, quel rôle joue-t-il  dans la notion de capitalocène ?

Capital fossile

Du fait que le capitalisme s’est construit et repose encore sur l’exploitation de matières fossiles, Andreas Mam tire un trait d’égalité entre les deux. Certes, dit-il, toute économie fossile n’est pas capitaliste : l’URSS exploitait charbon, pétrole et gaz mais, selon lui, elle n’était pas capitaliste. En revanche, tout capitalisme est fossile et, l’URSS disparue, « l’économie fossile est coextensive au mode de production capitaliste, mais maintenant à l’échelle mondiale. » (The Anthropocene Myth)
Andreas Malm n’est pas le premier à méconnaître la nature capitaliste de l’URSS, et certains verront là une faiblesse mineure dans une querelle désuète puisque ce pays n’existe plus depuis presque trente ans. Nous estimons plutôt qu’une incapacité à comprendre que capital et salariat régnaient en 1980 à Kharkov comme à Pittsburg – différemment bien sûr – prépare mal à traiter du capitalisme en général.
Dans L’Anthropocène contre l’Histoire, Malm définit l’économie fossile « très simplement comme une économie de croissance autonome fondée sur la consommation croissante de combustibles fossiles et générant par conséquent une croissance soutenue des émissions de gaz à effet de serre »
Il y a du paradoxe dans la création par Malm du concept de capital fossile. Il démontre de façon convaincante en quoi le recours au charbon, puis au pétrole est dû à des rapports de classe, c’est-à-dire comment ces carburants fossiles ont été mis au service d’un système social, mais il définit ce système non à partir de la cause (le rapport de classe), mais de son effet (le choix de ces matières premières). Sa « théorie du capital fossile » réinterprète tout à partir de cet aspect : « économie fossile », « composition fossile » (du capital), « capital fossile mondialisé », « consommation fossile », « sujet fossile »… Cette économie fossile, nouveau stade du capitalisme, le redéfinirait : comme il y eut autrefois les âges du cuivre, du bronze, du fer… nous vivrions l’âge du fossile.
Dans quelques décennies, la fin annoncée du pétrole produira-t-elle une théorie du « capital nucléaire » ?
Il nous semble plus juste de définir le mode de production capitaliste par la relation entre travail et capital, par l’entreprise, par la tendance à faire marchandise de tout, et par l’accumulation, non par sa dépendance d’une source ou une forme d’énergie, si importantes soient-elles.

« La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer »

Le choix de ce titre – celui d’un article de Lénine qui fit date en septembre 1917 – découle du fait qu’Andreas Malm trouve inspiration dans un léninisme re-éclairé à la lumière écologique.
La « stratégie révolutionnaire » exposée au dernier chapitre de son livre édité à La Fabrique ambitionne de « mettre à jour le Manifeste Communiste » par l’ajout d’une liste de dix mesures à mettre en œuvre d’urgence, notamment : fermeture des centrales à carburant fossiles, production électrique totalement assurée par les renouvelables, limitation (par rationnement équitable) des trajets par avion, développement des transports collectifs, préférence aux produits alimentaires locaux, arrêt de la déforestation, plan d’isolation des bâtiments, démantèlement de l’industrie de la viande, investissements publics destinés à la transition énergétique.
Ce ne serait qu’un début, admet Andreas Malm, mais qui, dit-il, équivaudrait probablement à une révolution, tant dans les rapports sociaux que pour les forces productives.
Or, dans la logique d’Andreas Malm, c’est le dernier point (les investissements publics) qui commande les autres. Mais, qui détiendrait cette puissance publique ? De quel État parle-t-il ? Si, comme Naomi Klein et beaucoup d’autres, Malm peut escamoter la question du pouvoir politique, c’est qu’il voit dans la question écologique la cause commune permettant enfin de dépasser la disparité des conditions et des conflits : « le capitalisme actuel est tellement saturé d’énergie fossile » que tout groupe aujourd’hui engagé dans un mouvement social en vient objectivement à combattre le réchauffement climatique. Il suffirait donc de réaliser « l’alliance la plus large possible », des Brésiliens exigeant des transports publics gratuits au peuple Ogoni affrontant Shell au Nigéria, en passant par des ouvriers européens de l’automobile amenés bientôt, suppose-t-il, dans leur défense de l’emploi à reconvertir leurs usines en fabriques d’éoliennes et d’autobus… puisque pour lui « toutes les luttes sont des luttes contre le capitalisme fossile : les sujets doivent seulement en prendre conscience ». Dès lors, la question politique se résoudrait toute seule, la gravité de la situation environnementale suffisant à imposer une révolution écologique coïncidant automatiquement avec une révolution sociale, l’une et l’autre mondiale.
Pour le prouver, Andreas Malm cite une série de succès sur tous les continents, du retrait des pétroliers de l’Arctique à des campagnes de désinvestissement en passant par l’annulation de projets charbonniers. Des victoires, oui, mais aussi partielles que celles de l’ancien réformisme ouvrier, et qui atténuent des effets sans atteindre leurs causes. Aux exemples relevés par l’auteur, on pourrait en opposer cent autres où la révolte contre la dégradation de l’environnement et des conditions de vie n’arrive pas à atteindre les véritables responsables, et il est de plus fréquent de traiter les dégâts écologiques de manière à satisfaire certaines couches sociales tout en aggravant l’exploitation d’autres. Quand Malm écrit que « Le mouvement climatique global doit être le mouvement des mouvements », de quoi parle-t-il ? L’écologie n’est pas le levier qui rassemblera l’ensemble des dominés contre leur ennemi commun.
Quant à la stratégie, la référence à 1917 est mal venue. Si le parti bolchévik a réussi sa révolution en réunissant suffisamment de masses ouvrières et paysannes s’opposant à ce qui était effectivement une catastrophe sociale, c’est que la déconfiture des classes dirigeantes créait un vide du pouvoir dont il a pu profiter. Un siècle plus tard, malgré leurs tribulations, les bourgeoisies tiennent partout les rênes du pouvoir, et ce sont elles qui gèrent (mal, mais selon leur intérêt) la catastrophe écologique présente.

6 / JAMES MOORE & LES « CHEAPS »

L’ambition de l’écologie-monde de Jason W. Moore n’est pas mince : dépasser le concept marxien de « rupture métabolique », synthétiser la théorie de la crise de l’accumulation et l’analyse de la crise environnementale, bref, apporter la vraie critique écologique.

La nature travaille

Ce que reproche Moore à toute la pensée « verte », marxisme écologique et éco-socialisme compris, c’est de s’intéresser à « ce que le capitalisme fait à la nature » sans comprendre « comment la nature travaille pour le capitalisme ». Ce que nous appelons d’ordinaire « travail » serait seulement une de ses manifestations, car il est pour Moore à la fois « humain et animal, botanique et géologique ». L’ensemble de la nature, humaine et non humaine, compose ce que Moore nomme la « toile de la vie », où le capitalisme est moins un système social qu’une organisation de la nature dans la biosphère, et où le prolétaire n’est pas le seul producteur de valeur : « les fleuves, les chutes d’eau ou les forêts également travaillent » et créent de la valeur quand le capital exploite leur énergie. Moore fait de l’énergie un facteur de production, ce qu’elle est certainement, sauf qu’il la met sur un plan égal au travail. Le capitalisme reposerait sur l’existence de travail non payé qui serait fourni autant par une nature exploitée sans retenue que par le travail salarié. Mais dire qu’un fleuve « travaille » signifie seulement qu’une masse d’eau amenée au barrage entraîne une turbine : une force appliquée à un objet le transforme. Croyant intégrer la nature dans l’analyse du capital, Moore utilise seulement le langage de la physique.

Appropriation

« Le travail des Africains a été approprié, et le travail des sols et des forêts a été approprié. » (Entretien avec Kamil Ahsan)
« La nature appropriée est une force de production. » (Dans la toile de la vie)
Pour Moore, l’accumulation capitaliste dépend d’une masse de plus en plus grande de « travail/énergie non payé » (le collage des deux mots fait concept) fournie par les natures humaine et non humaine, comprenant le travail domestique non rémunéré, très majoritairement assuré par des femmes, et l’énergie des forêts, des sols, des océans et des minerais. Cela est chiffrable, assure Moore : le premier contribuerait au Produit Intérieur Brut mondial pour 70 à 80 %, la seconde pour 70 à 250 %. Oui : 250 %… pourcentage incroyable, sauf pour Moore, convaincu que les « services écosystémiques » ont nourri tant de « vagues d’accumulation » successives que leur contribution dépasse l’entendement. Devant un phénomène inouï, la soif d’explications fait accepter n’importe quoi.
Selon Moore, le travail productif du ou de la salariée n’est qu’une cause secondaire de la production et de la reproduction du capital. L’appropriation n’est plus seulement une des conditions évidemment nécessaires de l’exploitation, elle devient une forme d’exploitation. Le capital s’empare d’un territoire indonésien, y élimine la forêt pour y planter des palmiers à huile, et selon Moore cette appropriation elle-même suffit à créer déjà de la valeur, avant même que n’en crée le travail du prolétaire employé dans la palmeraie.
Dans un entretien donné au site Période, l’auteur définit le capitalisme comme un système « d’appropriation des femmes, de la nature et des colonies ». Mais ces trois phénomènes historiques se retrouvent aussi dans d’autres systèmes de domination. S’ils sont effectivement une des conditions d’existence du mode de production capitaliste, c’est l’exploitation du travail qui le définit et fait sa spécificité.
Pour Moore, au contraire, l’appropriation est théorisée comme centrale au capitalisme. Comme l’a relevé Jean Parker, dans la dialectique de la production (l’exploitation) et du pillage (l’appropriation), Moore fait du pillage l’élément majeur : domination et dépossession sont chez lui primordiales.
Conséquence politique (nous en parlerons plus loin), si notre monde est fondé « sur un vol délibéré et permanent » à nos dépens à tous, si l’opposition bourgeois/prolétaires devient secondaire, voire négligeable, la solution passe par une restitution, une réappropriation collective, œuvre de l’ensemble des dépossédés et des dominés confondus dans l’indistinction des classes.

Théorie des «cheaps »

En 2014, Moore expliquait le capitalisme par le fait que travail (humain, précisons-le, puisque selon Moore l’être humain n’est pas seul à travailler), nourriture, énergie et matières premières sont rendues bon marché (cheap) par l’appropriation du travail non payé des femmes, de la nature et des colonies. Trois ans plus tard, dans un livre coécrit avec l’économiste critique Raj Patel et traduit l’année suivante en français, il raconte « l’histoire du monde en sept choses bon marché », résumant le cours du capitalisme par la création de ces « cheaps » et les variations de leur prix.
Il est vrai que le mode de production capitaliste s’est développé en particulier sur le bas coût des aliments, l’abolition des lois sur le blé en Angleterre au XIXe siècle n’en étant qu’un épisode, par défaite des propriétaires fonciers protectionnistes devant les bourgeois souhaitant importer des céréales moins chers pour nourrir leurs ouvriers.
Mais pour Moore, fidèle à son concept de travail/énergie fournie autant par la nature que par le prolétaire, le travail n’est que l’un des « cheaps »: selon lui, si le travail est essentiel au capital, ce n’est pas parce qu’il permet la création de valeur, mais seulement parce qu’il ne coûte pas cher, il valoriserait d’ailleurs moins le capital que, par exemple, un sol ou un fleuve appropriés gratuitement.
Qui plus est, non seulement la cheapisation expliquerait les cinq siècles de l’expansion mondiale du capitalisme mais, comme on le va le voir, elle entraînerait sa crise contemporaine.

Dead Man Walking

Pour James Moore, replacer la « crise écologique » dans la « crise générale du capitalisme » contemporain est assez simple : le mode de production capitaliste a jusqu’ici régulièrement dépassé ses limites, maintenant il ne le pourrait plus, parce qu’avec l’environnement, il bute sur l’insurmontable.
Autrefois, les bourgeois pouvaient – sous la pression – accorder des hausses de salaires et apaiser, au moins provisoirement, les ouvriers. Aujourd’hui, l’accélération de la capitalisation mondiale de la nature dépasse les possibilités d’appropriation des « cheaps », les coûts des productions énergétique et agricole ne cessent de croître, les revendications écologiques – parce que touchant à des points où les entreprises n’ont pas de marge de manœuvre – ne peuvent plus être satisfaites, le capitalisme est devenu incapable d’« acheter ceux qui le défient », donc ce que Moore nomme « surplus écologique » s’amenuise. L’émancipation humaine a désormais un allié de poids : la nature.
Le capitalisme se heurtait régulièrement à une frontière, et la franchissait : cette fois, ce serait impossible. On peut quasiment tout faire aux prolétaires, et tout leur faire faire, acheter le robot Ibo, « compagnon idéal de votre chat », comme vivre avec moins d’un dollar par jour, la société humaine et l’exploitation sont sans bornes, mais la nature, elle, ne se laisse pas modeler à volonté, et en l’épuisant le capitalisme en a fait son obstacle décisif. On peut remédier à la suraccumulation et aux montagnes de dettes, on reste impuissant contre « la rareté écologique ». La nature est une force irrépressible, inintégrable : aucun risque d’un syndicalisme réformiste ou d’un vote Trump ou Macron de la part du CO2 ou de la forêt colombienne, les écosystèmes ne font pas de politique, ils ne se laisseront pas défaire comme le mouvement ouvrier emporté par la guerre en 1914.

« Nous vivons l’effondrement du capitalisme » (Mediapart, 2015) « Bien sûr, il continue. Mais c’est un cadavre ambulant ». (The Capitalocene and the Planetary Justice).

Quand toute la vie se révolte

Puisque pour Moore le mode de production capitaliste est au bout du rouleau, après avoir dressé un tableau de la détérioration générale des conditions de vie des prolétaires et – plus important pour lui – de la nature, il pose comme certitude que cette aggravation déclenchera et déclenche déjà des mouvements s’attaquant aux causes du mal et non seulement aux effets. Le capitalisme (mais est-ce encore du capitalisme, ou une combinaison de « capitalisme-dans-la-nature » et de « nature-dans-le-capitalisme » ?) serait en crise ultime, dont pour Moore l’important est donc moins une paupérisation généralisée que son effet unificateur.
En effet, auparavant, les victimes du capitalisme, parce qu’hétérogènes, juxtaposaient leurs luttes : une « racine commune » rend désormais possible leur réunion : l’urgence climatique.
Mouvement pour la « justice planétaire », pour l’égalité « raciale », associations de consommateurs, Occupy, luttes salariales, revendications des travailleurs domestiques, peuples indigènes, #MeToo, migrants… ce qui va les relier, c’est « l’écologie-monde ». Ayant étendu à toute la planète l’objet de l’exploitation capitaliste, Moore dispose du sujet historique le plus large imaginable : « A un certain niveau, toute la vie se révolte contre le lien [nexus] de la valeur/monoculture moderne, de la ferme à l’usine. » Le concept de « toile de la vie » sert à tout rassembler, « moments sociaux » et « moments écologiques », « dans une période où la nature humaine et la nature extra-humaine deviennent de plus en plus entremêlées » (entretien pour Médiapart).
L’expérience passée et présente montre plutôt qu’ouvriers, paysans, femmes, People Of Colour et victimes écologiques du capitalisme, catégories aux intérêts rarement convergents, se croisent sans se rejoindre.
Mais, pour Moore, les révoltés sont si nombreux que le passage à une autre société sera fait de mesures simples et à la portée de tous : « pratiquer de nouvelles façons de se produire et de s’occuper les uns des autres, une praxis consistant à refaire, à repenser, à revivre nos relations les plus fondamentales.» Nul besoin d’affrontements, encore moins d’affrontements de classe (si toute la vie se soulève, les bourgeois aussi sont vivants), ni de destruction de l’État.
Un dispositif conceptuel bien compliqué, pour aboutir à de si modestes et si naïves propositions.

7 / UN CONCEPT EN AVALE UN AUTRE

Malm et Moore sont très différents : le premier vient de l’extrême-gauche suédoise et regrette de ne plus avoir assez de temps pour militer, le second est bien installé dans l’université. Mais ils partagent ce point commun : parler de capitalocène leur permet dedire que le mode de production capitaliste mène le monde, et le mène à la catastrophe, qui elle-même amènera très probablement la fin du capitalisme.
Or, pour eux comme pour la plupart des théoriciens de ce concept, mettre en lumière un aspect effectivement important du capitalisme imposerait de le (re)définir à partir de cet aspect.
Chaque époque de la théorie critique tend à comprendre le mode de production capitaliste à partir de ce qu’il est devenu à cette époque, de ses caractéristiques les plus visibles, dont on fait alors la contradiction essentielle, celle qui dynamise ce système étant aussi celle quipourrait le détruire. Au milieu du XIXe siècle, c’étaient la misère, le déclassement, les soulèvements ouvriers. Fin XIX: un capitalisme de cartels, trusts… auquel s’oppose le travail organisé en grands partis et en syndicats. Début XXe : l’impérialisme fauteur de guerres mènerait le prolétariat à la révolution. En ce début de XXIe siècle, la question climatique vient au devant de la scène. Chaque fois, il y a redéfinition du capitalisme, de ses mécanismes et de son renversement possible, sinon inéluctable : car chaque fois le trait mis en avant est présenté à la fois comme essentiel et comme intenable dans la durée, à court ou moyen terme. Ce qui fait la dynamique capitaliste serait aussi et forcément son impossibilité ultime.
La critique écologique la plus lucide a découvert l’histoire du mode de production capitaliste à travers Marx et des auteurs de près ou de très loin marxistes (Foster, O’Connor, Wallerstein, Arrighi, Harvey…). Ce qui était analysé avant tout comme un « système Terre » est maintenant intégré à « des systèmes-mondes techno-capitalistes ». Mais la « grande accélération » n’est pas l’avènement d’une mégamachine dû à la folie humaine des grandeurs ou à un hyperdéveloppement technique en roue libre (ou aux deux combinés). Elle découle de la montée d’un système d’exploitation du travail par le capital, et des pays périphériques par ceux du centre : un « système monde » reposant sur une « une écologie-monde » (autrefois, on disait « impérialisme »).
Dans le même temps, les perspectives politiques restent inchangées. Théoriciens et universitaires, bien que se présentant comme les plus innovants, n’ont qu’un seul horizon : une société toujours salariale et marchande, avec des correctifs démocratiques grâce auxquels salariat et marchandise n’auraient plus rien à voir avec ce qu’ils sont actuellement. Un capitalisme véritablement à visage humain, et (nouveauté) en harmonie avec la nature.
Ce programme commun à la plupart des auteurs renouvelle celui – vieilli ou mort – d’un État populaire prenant en mains les « forces productives », pour le revivifier en éco-socialisme : « écologie + démocratie + production communautaire », par une vie sociale organisée sur un mode horizontal et non plus vertical. La critique communiste n’est pas même réfutée, seulement escamotée : plus question d’abolition des classes (dans la coopérative, personne ne serait patron ni salarié), de destruction de l’État (débordé puis de fait dissout dans une fédération de collectifs qui en assurerait les fonctions), ni de disparition de l’argent (la monnaie étant supposée réduite à un outil de compte). Une planification écologique réalisée par une gestion démocratique, comme il s’en ébaucherait au Rojava. S’il fallait nommer un idéologue emblématique de notre temps, ce ne serait évidemment pas le bolchévik Lénine, ni Pannekoek, Bordiga, mais l’anarchiste (très) modéré, Murray Bookchin.
À mesure que le problème écologique s’impose à un monde incapable de le traiter, il provoque une critique multiforme, aussi vague que vaste, entre autres dans l’université, tête chercheuse d’une société bourgeoise en quête de solution. Moore est un symptôme. Jamais il n’y a eu autant de numéros de revues sur Marx, ou autant d’universitaires para-marxistes à écrire sur le capitalisme en s’en proclamant contre (ils le sont, mais au double sens du mot).
Les tenants du capitalocène exposent des faits réels, et même d’importantes contradictions : l’ennui, c’est que ce qui n’est qu’à moitié vrai est entièrement faux. Car ce « capitalocène » est-il encore du capitalisme ?
Le « capitalocène » est présenté comme une nouvelle époque, profondément différente parce que reposant sur davantage que le rapport capital/travail salarié. Bien sûr, on précise parfois que ce rapport reste essentiel, mais à cet essentiel il serait nécessaire d’en ajouter un autre, donc il n’est plus vraiment essentiel. Conséquence politique, le mode de production capitaliste contemporain, puisque différent, appellerait d’autres solutions : si le rapport de classe n’est plus central, la lutte prolétaires/bourgeois cesse aussi de l’être, donc la solution passe par une combinaison de mouvements au-delà des classes. Au XXIesiècle, pour être commenté (y compris dans les médias « mainstream »), il n’est pas mauvais de parler du capitalisme, même de le critiquer, à condition de minorer un prolétariat qui reste trop gênant et, dans les faits, de ne pas envisager l’abolition du capitalisme, mais son humanisation. Tout en semblant apporter une critique de fond, le marxisme écologisé débouche sur un néo-réformisme où le changement social viendrait simultanément d’en haut (au parlement) et d’en bas (par des collectifs modifiant la vie quotidienne).

* * *

La responsabilité indéniable du système capitaliste dans la crise écologique obligeait à voir les limites de la notion d’anthropocène. D’où la montée d’une innovation théorique, le capitalocène qui, comme « mondialisation » depuis les années 1990, peut signifier tout pour tout le monde.
Capitalocène… Il faut croire que divers esprits critiques ont jugé le concept de « capitalisme » adapté au XIXe siècle et à une partie du XXe, mais insuffisant pour appréhender le XXIe siècle. Le mot n’est pourtant pas si vieux. On ne le lit d’ailleurs pas dans Le Capital (1867) : Marx et Engels parlaient de « système capitaliste » ou de « mode de production capitaliste ». Le terme « capitalisme » existait déjà, mais c’est seulement à la fin du XIXe siècle qu’il passe dans le langage courant pour désigner une société et un monde profondément pénétrés par le capital et par la confrontation entre classes bourgeoise et prolétarienne. Le mot est donc assez riche de sens pour aider à comprendre l’histoire moderne.
L’inventeur de néologismes est toujours satisfait de sa trouvaille et persuadé de son importance.
En ce qui concerne ce feuilleton, c’est donc le capitalisme qu’il s’agit désormais d’analyser.
Mais, avant cela, un chapitre consacré à une autre école de pensée, très à la mode, celle de l’effondrement, ne sera pas de trop.

G.D., février 2021

Les autres épisodes du feuilleton

LECTURES

Anthropocène :

Christophe Bonneuil & Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013. Longs extraits du livre.

Pour une critique de ce livre : Sylvain Di Manno, « La force géologique du capitalisme », Contretemps, 2016.

Gordon Childe, Man Makes Himself (1936). Traduction française L’Invention de la civilisation, Gonthier, 1963.

Simon L. Lewis, Mark A. Maslin, The Human Planet: How We Created the Anthropocene, Yale U.P., 2018.

Paul Crutzen, La Géologie de l’humanité, 2002.

Agnès Sinaï, Quatre avatars de l’Anthropocène, 2012.

Capitalocène :

Sur l’origine du mot : Donna Haraway, “Anthropocene, Capitalocene, Plantationocene, Chthulucene: Making Kin”, Environmental Humanities 2015.

Donna Haraway a contribué au recueil dirigé par James Moore, Anthropocene or Capitalocene? Nature, History, & the Crisis of Capitalism, PM Press, 2016. Nous renonçons à aborder une pensée trop métaphoriquement tentaculaire pour nous.

Jean-Baptiste Fressoz a ajouté un chapitre à la dernière édition du livre publié avec Christophe Bonneuil (L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Seuil, 2018) : « Capitalocène. Une histoire conjointe du système Terre et des systèmes-monde ». Utile synthèse sur ce point de vue.

Andreas Malm :

L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, La Fabrique, 2017.

The Anthropocene Myth, 2015: https://www.jacobinmag.com/2015/03/anthropocene-capitalism-climate-change/

(avec Alf Hornborg) The geology of mankind? A critique of the Anthropocene narrative, 2014.

Revolutionary Strategy in a Warming World, 2018 (stratégie très discutable, mais article documenté sur la Syrie, les projets éco-autoritaires…).

Le marxisme écologique (exposé synthétique de sa position, et courte synthèse des diverses écoles écologiques).

Capital fossile : vers une autre histoire du changement climatique .

Jason W. Moore :

Le capitalisme dans la toile de la vie : écologie & accumulation du capital, Editions Asymétrie, 2020. .

(avec Raj Patel) Comment notre monde est devenu cheap. Une histoire inquiète dl’humanité, Flammarion, 2018.

Anthropocene or Capitalocene? Nature, History, and the Crisis of Capitalism. Ouvrage collectif dirigé par J. Moore, PM Press, 2016. Livre complet.

The End of the Road ? Agricultural Revolutions in the Capitalist World-Ecology, 1450–2010, 2010.

The Origins of Cheap Nature: From Use-Value to Abstract Social Nature, 2014.

La Nature du capital, Entretien avec Kamil Ahsan, 2015.

The Capitalocene and the Planetary Justice, 2017.

Critique de Moore :

Kamram Nayeri sur Capitalism in the Web of Life…

Ian Angus sur Comment notre monde est devenu cheap…

Jean Parker, Ecology and value theory. A review of Jason W Moore, Capitalism in the Web of Life: Ecology and the Accumulation of Capital, 2017.

Question de méthode

Moore expose de façon compliquée des idées simples étayées par un appareil critique garant de la production d’un savoir scientifique, y compris dans un livre « grand public » : l’édition anglaise de Comment notre monde est devenu cheap comporte 210 pages de texte plus 90 de notes et de références.

Jean Parker montre comment Moore procède par agglomération et glissement de sens (pratique constante du « modernisme » des années 60, puis du « postmoderne »: on ne réfute pas Marx, on prend et on élargit) : « tendance à la chute du taux de surplus écologique », « développement inégal et combiné [des natures humaines] » « surplus genré », « praxis de la nature externe », « accumulation par appropriation »… Ce flot de néologismes aide à ne pas voir à quel point Moore diverge de Marx en croyant l’enrichir : il « présente comme une extension ce qui est en fait un rejet fondamental de la démarche de Marx », dit Jean Parker.

Moore sera très commenté : il a la pesanteur de sérieux et la carrure de fabriquant de concepts qui plaît.

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