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SOURCE : Alternatives économiques
Alternatives économiques, 18 février 2021
L’institut des politiques publiques publie aujourd’hui le bilan, plutôt positif, d’expériences menées à Paris pour améliorer la mixité sociale au collège. Mais la question a disparu de l’agenda politique.
Tribunes, noms d’oiseaux, menaces de départs dans le privé, manifestations de parents et de professeurs : en 2017, la tension avait régné dans le secteur des collèges Hector-Berlioz et Antoine-Coysevox, du 18e arrondissement de Paris.
En cause ? Le projet de secteur multi-collèges. La ville et l’académie de Paris avaient choisi de mener là une expérimentation sous forme de fusion de secteurs. Tous les élèves entrant en sixième étaient dans l’un des deux collèges, sur le principe de « montée alternée ». Depuis la rentrée 2017, les élèves de CM2 entrent en sixième dans l’un et y font toute leur scolarité tandis que l’année d’après, la nouvelle cohorte rejoint l’autre collège. A terme donc, chaque établissement gère deux niveaux seulement et alternativement. L’objectif est clair : réduire la ségrégation sociale entre établissements, parmi les plus fortes de la ville de Paris. Quand, en 2016, le collège Antoine-Coysevox compte, parmi ses élèves de sixième, 22 % d’enfants issus de familles aux PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) très défavorisées, ils sont 59 % à Berlioz. Ce qui encourage le développement des stratégies d’évitement de l’établissement redouté, qui, à son tour, aggrave la ségrégation.
Des résultats contrastés
Trois ans plus tard, l’Institut des politiques publiques (IPP), qui a mené cette expérimentation, en dresse le bilan. Premier point positif, selon l’économiste Julien Grenet, pilote du projet : l’ambiance n’est plus la même.
« Les comités de suivi avaient pu être très tendus. Depuis, cela s’est beaucoup apaisé. Y compris du côté des enseignants dont une partie était vent debout contre le projet. Certains sont satisfaits de travailler avec seulement deux niveaux. Cela permet par ailleurs de mieux répartir les élèves dans les classes. Les parents sont beaucoup plus positifs. Certains sont devenus d’ardents défenseurs du dispositif et rassurent les familles qui vont voir leur enfant entrer en sixième. »
Surtout, en matière purement statistique, la mixité sociale a progressé. Les classes de sixièmes du secteur, entrées au collège Antoine-Coysevox, n’avaient plus le même profil que leurs prédécesseurs : quand la part d’enfants issus de familles aux PCS très favorisées était de 46 % à Antoine-Coysevox, contre 10 % à Hector-Berlioz en 2016, cette proportion était de 30 % en 2019. La fuite vers le privé annoncée ne s’est pas vérifiée. Au contraire même, le taux d’évitement dans le double secteur est passé de 24 % à 16 % entre 2016 et 2019.
Les progrès sont cependant fragiles. Lors de la rentrée 2018 qui a eu lieu au collège Hector-Berlioz, l’établissement accueillant à l’origine le public le plus défavorisé, les progrès étaient moins spectaculaires. D’une part, parce que l’établissement souffre encore de sa « mauvaise réputation ». D’autre part, et surtout, parce qu’il scolarisait des élèves de quatrième et de troisième originaires de l’ancien secteur au profil social très défavorisé. Une configuration qui pouvait effrayer certaines familles. Ces effets devraient finalement s’estomper dès la rentrée 2020.
En parallèle, deux autres expérimentations de secteurs multi-collèges ont été menées dans les 18e et 19e arrondissements, en ayant recours à un autre dispositif, « le choix régulé ». La répartition des effectifs entre les établissements s’est faite à partir d’un outil prenant en compte les vœux des familles, mais aussi leurs caractéristiques sociales afin de parvenir à des compositions équilibrées dans chaque établissement. Les écarts initiaux étant moins importants, les progrès, visibles, sont moins frappants. D’autant que dans l’un des deux secteurs, certaines familles n’avaient pas donné leur quotient familial, ce qui a faussé la répartition.
Même en corrigeant ce biais, la surreprésentation de PCS défavorisées dans l’un des deux établissements persiste, du fait notamment de la présence d’une classe à horaires aménagés de musique. « Il faudrait mettre en place une classe similaire, éventuellement une classe à horaires aménagés théâtre, dans l’autre collège pour contribuer à rééquilibrer les choses », précise Julien Grenet.
Le ministère aux abonnés absents
Malgré des résultats encourageants, l’expérimentation ne devrait pas être élargie à d’autres secteurs. « En 2019, il a été envisagé de reproduire l’expérience dans d’autres arrondissements. Des concertations locales ont été mises en place mais elles ne se sont pas bien passées, car très mal préparées. On a préféré le statu quo. Aujourd’hui, à Paris, il n’y a pas de volonté d’aller plus loin », constate l’économiste.
Une vision que nuance Patrick Bloche, adjoint aux Affaires scolaires de la mairie de Paris :
« Nous ne voulions pas passer en force. Au quatrième trimestre 2018, nous avons multiplié les réunions. Sur les grands principes, tout le monde était d’accord : Paris est l’académie la plus ségréguée en France, il faut davantage de mixité. Mais quand on passe aux travaux pratiques, il y a des oppositions, des parents aussi bien que des équipes enseignantes. Or, nous voulons convaincre plus que contraindre. »
L’adjoint assure que la mairie « n’est pas restée les bras croisés » pour autant. Un observatoire parisien de la mixité sociale a été mis en place, la sectorisation scolaire est ajustée régulièrement à cet objectif. « Une aide particulière est allouée aux établissements les plus en difficulté pour améliorer leur image auprès des parents, qui leur permet de faire des travaux ou de construire une offre pédagogique qui peut attirer certains élèves, par exemple », ajoute Patrick Bloche. Autre action qui vient d’être engagée : une modulation du forfait par élève attribué aux collèges publics et privés en fonction d’un indice de mixité sociale, à l’instar de ce qu’expérimente le département de Haute-Garonne (voir zoom).
Plus largement, depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle, la lutte contre la ségrégation scolaire semble avoir tout simplement disparu de l’agenda politique. « Dans l’Eure, le Gard ou la Haute-Garonne, certaines initiatives ont éclos. Cela bouge localement, mais en mode dispersé », regrette Julien Grenet.
« Aujourd’hui, ce n’est pas une priorité du ministère », confirme Patrick Bloche, qui rappelle que les expérimentations parisiennes s’inscrivaient dans un plan « Agir pour la mixité sociale et scolaire au collège » lancé en 2016 par Najat Vallaud-Belkacem. Or, sans l’appui du ministère, « il est beaucoup plus difficile de mettre en place quoi que ce soit », estime l’adjoint, surtout dans le contexte actuel :
« Entre la baisse des dotations horaires globales, la suppression de postes d’enseignants à effectif constant ou encore les promesses de création de cités éducatives non tenues par le ministère, les conditions ne sont pas réunies pour travailler sur les secteurs multi-collèges. »
Une situation dont on ne voit pas, étant donné les priorités actuelles du ministre de l’Education nationale et la proximité des prochaines échéances électorales, comment elle pourrait évoluer d’ici peu.