AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Lundi matin
Dès le début du mouvement de révolte qui a suivi la mort de George Floyd, le président Donald Trump a concentré ses accusations et menaces à l’encontre des « anarchistes » et « antifa », responsables, selon lui, des centaines de manifestations et émeutes qui ont éclaté dans tous les Etats-Unis [1]. Étonnamment, la première vague de répression visant directement les anarchistes et les antifascistes n’est pas venue de la police fédérale mais du réseau social le plus populaire du pays : Facebook.
Le 19 août, l’entreprise de Mark Zuckerberg décide d’ « étendre sa politique de lutte contre les individus et organisations dangereux » [2] et annonce avoir fermé 790 groupes, 100 pages et 1500 publicités liés à la tendance conspirationniste et néo-fasciste Qanon. 1950 groupes, 440 pages et 10 000 comptes Instagram dont Facebook est aussi le propriétaire, ont subi des restrictions (les comptes restent actifs mais ne s’affichent plus sur la timeline des autres usagers). Quelques lignes plus bas, la firme californienne ajoute que des « organisations miliciennes » qui « encouragent les émeutes » et pourraient êtres qualifiées « d’Antifa » ont aussi été visées : 980 groupes, 530 pages et plus de 1400 hashtags Instagram en rapport avec ces organisations.
Nos confrères de CrimethInc. Dont l’activité éditoriale, politique et journalistique joue un rôle clef dans la contestation États-Unienne depuis plus de 20 ans se sont donc vus bannis du premier réseau social américain, tout comme le site Itsgoingdown.org acteur clef du mouvement antifasciste anglophone, le rappeur engagé Mc Sole ainsi que des centaines de pages plus confidentielles.
Évidemment, la mise en vis-à-vis de groupuscules fascistes armés et de sites d’informations soutenant activement le mouvement George Floyd relève d’une opération politique particulièrement crapuleuse, et sur ce point, il suffit de s’en tenir aux déclarations officielles de Facebook. En effet, la politique de modération de l’entreprise permettait jusqu’à présent de fermer n’importe quel compte promouvant la violence, s’adonnant au harcèlement ou propageant des « idées haineuses », cette mise à jour des critères de bannissement de mouvements et d’organisations permet désormais de censurer quiconque représenterait « des risques signifiants pour la sécurité publique », célèbrerait des actes violents ou serait « suivi » par des individus « dont les comportements seraient pris dans des logiques de violence ». Ce que Donal Trump n’aurait jamais pu accomplir du fait du 1er amendement de la constitution et de l’importance de la liberté d’expression dans la culture américaine, Facebook l’a fait à titre privé (et gratuitement). Là encore, le réseau social ne cache pas ses intentions, « nous restreindrons leur capacité à s’organiser sur notre plateforme ».
L’époque où Facebook s’enorgueillissait de soutenir les révoltes du printemps arabe semble lointaine, en tous cas lorsque c’est au tour de son gouvernement d’être menacé par sa population, l’entreprise dont le capital dépasse les 525 milliards de dollars sait prendre parti.
Nous publions ci-dessous une tribune internationale en soutien aux groupes anarchistes et antifascistes censurés. Il ne s’agit pas de réclamer une quelconque réintégration de ces pages mais d’énoncer le rôle éminemment politique joué par Facebook [3]. On ne pourra que se féliciter de voir ce texte contre Facebook signé par des centaines d’écrivains, éditeurs et activistes se répandre massivement sur le premier réseau social. Notons parmi les signataires et pour la francophonie : Elsa Dorlin, Alain Damasio, Jean-Baptiste Vidalou, Frédéric Lordon, Serge Quadruppani, Ghassan Salhab, La Quadrature du Net, l’Action Antifasciste Paris Banlieue, Nantes Révoltée, Cerveaux Non Disponibles et lundimatin [4].
SOLIDARITÉ AVEC LES MÉDIAS ET ÉDITEURS ANARCHISTES BANNIS PAR FACEBOOK
Refusons l’argumentaire de Facebook qui, prétextant l’impartialité, s’aligne sur l’administration du gouvernement Trump pour supprimer les voix de militant·es et de médias associé·es aux mouvements contestataires progressistes.
En tant qu’éditeur·trices, auteur·trices, éducateur·trices, militant·es et médias, nous sommes très inquiet·es de la décision de Facebook de bloquer itsgoingdown.org, crimethinc.com et plusieurs autres éditeur·trices, auteur·trices et militant·es en raison de leur association avec l’anarchisme. Cette décision est explicitement motivée par des raisons politiques. Facebook étouffe leurs voix en raison de leurs convictions, et parce qu’ils offrent un lieu de rencontre et d’échanges pour les militant·es des mouvements sociaux de gauche.
Dans une déclaration justifiant les fermetures de pages, Facebook a reconnu que ces groupes n’ont aucun rôle dans l’organisation d’actions violentes, mais leur reproche de manière abstraite d’avoir “célébré des actes violents”, et d’être “associés à la violence” ou “d’avoir des followersqui pourraient être pris dans des logiques de comportements violents” – une description si large qu’elle pourrait désigner d’innombrables pages pourtant toujours actives sur Facebook. Les éditeur·trices et les auteur·trices anarchistes ciblé·es le sont en définitive en raison de leurs convictions politiques, et non à cause d’une quelconque violence. Si cette décision n’est pas contestée, elle créera un précédent qui sera utilisé encore et encore pour censurer toute parole dissidente.
Dans sa déclaration, Facebook classe les anarchistes dans la catégorie des milices d’extrême droite soutiens de l’administration Trump, liant ainsi deux groupes pourtant fondamentalement différents et opposés. Cela fait écho à la décision du procureur général William Barr de créer une unité opérationnelle du Ministère de la Justice dédiée à la répression des “extrémistes anti-gouvernementaux”, qui cible aussi bien les fascistes auto-proclamés que les antifascistes, établissant une fausse équivalence entre les suprémacistes blancs qui orchestrent les attaques et celles et ceux qui s’organisent pour protéger leurs communautés contre ces attaques.
À une époque où les manifestations ont joué un rôle essentiel dans la création d’un dialogue, partout aux États-Unis sur le racisme, la violence et l’oppression, nous devons replacer ce blocage par facebook des pages et sites anarchistes dans le contexte des efforts continus de l’administration Trump pour réprimer les manifestations. Pendant des mois, Donald Trump a explicitement blâmé les anarchistes pour la vague mondiale de protestations provoquée par la violence policière permanente aux États-Unis. Il y a dix ans, les représentants de Facebook avaient fièrement vanté leur rôle dans les mouvements sociaux horizontaux qui ont renversé des tyrans en Égypte et ailleurs. Aujourd’hui, leur décision de bloquer les médias qui fournissent des lieux et des outils aux participant·tes des mouvements sociaux montre qu’ils se basent sur les signaux reçus du sommet des structures de pouvoir pour déterminer ce qui constitue ou pas un discours acceptable.
La décision de Facebook s’inscrit dans un schéma qui ira beaucoup plus loin si nous ne réagissons pas. Les lecteur·trices méritent de pouvoir entendre les voix de personnes impliquées dans les mouvements de protestation contre les violences policières et le racisme, y compris des voix controversées. Les auteur·trices et les éditeur·trices ne doivent pas être réprimé·es pour avoir promu la solidarité et l’autodétermination.
Nous vous invitons toutes et tous à vous joindre à nous pour condamner ces blocages et défendre la légitimité des voix des anarchistes en particulier, et des manifestant·es des mouvements sociaux en général.
La liste complète des signataires est consultable ici
[1] Que M. Trump ait cru ou non à ses allégations est secondaire, d’un point de vue contre-insurrectionnel, la figure de l’agitateur venu de l’extérieur et étranger aux revendications première des manifestants permet de faire surgir aussi opportunément qu’artificiellement une distinction entre bons et mauvais manifestants. Les bons le resteront à la condition de ne pas être une menace pour le pouvoir et les mauvais serviront d’épouvantails puis seront écrasés jusqu’au retour à l’ordre.
[2] Le communiqué officiel de facebook est consultable sur leur site : https://about.fb.com/news/2020/08/addressing-movements-and-organizations-tied-to-violence/
[3] Nos lecteurs français se souviendront qu’à la veille du G7 de Biarritz, un certain nombre de pages militantes avaient vu leur fréquentation s’effondrer : https://www.mediapart.fr/journal/france/290819/facebook-aneantit-l-audience-d-une-partie-de-la-gauche-radicale?page_article=1
[4] La version originale est consultable ici : https://www.anarchistagency.com/commentary/statement-stand-with-anarchist-publishers-banned-by-facebook/