Militer sur son lieu de travail face au virus. Entretien avec E., employé polyvalent en supermarché

Où travailles tu  ?

Je suis employé polyvalent dans un petit supermarché (moins de 11 équivalent temps plein) d’une grande chaîne de la grande distribution. Je fais de la caisse, de la mise en rayon et des livraisons/retours de colis.

Dans ton entreprise, que met en place la direction au sujet du virus (protections, changement horaires, etc)? Quelles sont les relations avec la direction?

D’un point de vue sanitaire initialement pas grand-chose. La semaine dernière il n’y avait que du gel hydro-alcoolique, et au début de cette semaine on avait que des gants et un espace d’un mètre entre chaque client.e.s. Et par ailleurs les collègues ont subit le grand rush précédant le confinement sans aucun filtrage. C’était énormément de monde dans le magasin, avec des distances de sécurité tous sauf respectées et très peu de protections. Par ailleurs hors questions sanitaires, maintenant que le rush est passé, la direction veut réduire les heures d’ouvertures sans s’engager à maintenir notre nombre d’heures payés actuellement.

Mais on est allé voir le patron en début de semaine on lui a mis la pression, notamment avec notre droit de retrait, la nécessité légale qu’il a d’assurer notre sécurité physique et mentale. On lui a mis la pression en le menaçant de lui envoyer l’inspection du travail. On a fait tourner l’info à tou.te.s les collègues. A mon avis les consignes gouvernementales de Lemaire ont aussi joué. Le gouvernement fait tout pour pas fermer les boites non-nécessaires à la production de premières nécessité pour remplir les poches des patrons et c’est criminel. Mais en même temps, pour faire passer la pilule, il intime l’ordre d’améliorer les conditions de sécurité dans l’ensemble des boites, dont les nôtres, dont l’ouverture reste nécessaire.

En tout cas le patron a cédé et ça a été une petite victoire. Il a mis du plexiglas sur les caisses, une distance de sécurité d’un mètre devant nos caisses, un panneau pour inciter à payer par carte bleue, un nombre maximum assez bas de personnes pouvant rentrer dans le magasin en même temps… Il s’est aussi engagé à continuer à nous faire travailler toutes nos heures. Mais il nous manque encore pas mal de trucs…

Etes-vous, toi et tes collègues, en contact avec beaucoup de monde ?

Ben oui du coup, la profession demande ça. On est en contact avec plusieurs centaines de client.e.s tous les jours.

Comment tes collègues réagissent à la situation et comment ça se passe pour celle et ceux qui ont des enfants ? Au niveau de la garde notamment ?

En plus de ce que j’ai décrit je pense qu’on a tou.te.s forcément pas mal peur, mais on s’entend bien et les relations entre nous restent globalement bonnes. J’ai pas encore pu discuter avec tout le monde, on a des petites équipes et il y a souvent plusieurs semaines voire mois sans qu’on se voit tou.te.s. En tous cas, celle et ceux avec qui ça a été le cas étaient d’accord sur la nécessité centrale d’avoir un maximum de protections sanitaires. Niveau garde dans ma boite, comme dans la plupart des toutes petites entreprises de la distribution, c’est beaucoup de jeunes travailleur.se.s. Donc il n’y a pas une majorité à avoir des enfants. Mais pour celles et ceux qui m’en ont parlé, ils/elles se sont mis en arrêt pour s’en occuper. Je comprends complètement les collègues mais à mon avis ils et elles devraient être payé.e.s 100 % du salaire et pas 90 %, ou avoir le droit à une garde d’enfant payée complètement par le patron.

Qu’est-ce que vous exigez pour vous, à l’heure actuelle?

Je ne peux pas parler pour tou.te.s les collègues car on a pas eu de discussion nous réunissant majoritairement (bien qu’on ait commencé à en discuter avec certain.e.s). Mais me concernant, je pense que déjà, d’un point de vue sanitaire, il nous faudrait des masques. Le gouvernement a fait n’importe quoi dans la gestion des stocks de masques efficaces, on ne sait même pas si on en aura. C’est de fait compliqué d’en trouver, mais c’est clair qu’on devrait en avoir, et il faut impérativement que le patron se bouge pour nous en trouver.

L’autre truc c’est qu’à mon avis on doit fermer le relais colis du magasin. Ça nous met en danger, le carton qui entoure les colis garde longtemps le virus et on est en rapport quasi-direct avec les client.e.s (pour leur donner, prendre leur signature…), eux et elles aussi mis.e.s en danger de fait. Mais surtout ce n’est pas un travail de première nécessité, la population qu’on aide de fait en restant au travail a un besoin premier de nourriture et on est là pour lui fournir. Mais elle peut se passer de cadeaux ou de livres (qu’on retrouve quand même pas mal d’ailleurs sur le net). On doit minimiser le danger pour tout le monde et donc fermer ce service. Mais faire ça, ça ne doit certainement pas se faire à notre détriment et on doit garder nos heures de travail, ou en tout cas la paye complète de ces heures. Les postier.e.s qui se battent pour fermer leur boite et avoir 100 % de leurs salaires, c’est la même logique et ils et elles ont raison.

Un autre élément c’est ce qui concerne les repasses, le fait de mettre des marchandises stockées en rayons, et la mise en rayon des palettes le matin. Nous nos rayons sont petits et quand on fait nos repasses (toute la journée), les client.e.s passent prêt de nous et donc on se met en danger mutuellement. Il faudrait imposer au patron qu’on ferme le magasin à plusieurs reprises dans la journée pour faire nos repasses puis qu’on fasse entrer les client.e.s seulement quand on est en caisse. Comme ça pas de contacts maintenant qu’on a les plexiglas.

Une autre revendication qui est en lien avec la sortie de Lemaire de vendredi. Il nous faut des primes de risques ou mieux des hausses de salaires. On prend de fait des risques au quotidien, et bon de toute façon notre patron se fait plein de frics sur notre dos. En plus avec le gros rush de la fin de la semaine dernière et du début de cette semaine les collègues ont chargé et le patron s’en est mis plein les poches et nous on a rien touché. Bon faut quand même dire un truc, Lemaire est tout sauf notre allié. Ce qu’il faut c’est refuser de faire fermer plein d’entreprises dont la production n’est pas nécessaire. Pour faire passer ça et parce qu’il sent que la rage commence à se développer contre cet assassinat de masse, il encourage (il force pas donc il se donne le beau rôle) les entreprises à verser 1000 euros à celleux qui vont travailler. En promettant d’ailleurs de défiscaliser le truc, et puis de l’autre côté il donne plein d’argents aux patrons et aux banques. Bref c’est de l’esbrouffe. Mais nous dans les boites nécessaires à la survie de chacun.e il nous faut quant même l’utiliser. C’est normal qu’on gagne plus et ce sera une victoire si on arrache ces primes et même si possible des hausses de salaire à nos patrons qui les lâcheront pas comme ça.

Après il y a aussi des trucs plus généraux, il nous faut nous opposer à la loi de finance exceptionnelle du gouvernement qui va filer plein de frics aux patrons et aux banques pour ensuite préparer un grand plan d’austérité qui va nous retomber dessus et continuer la casse des services publics. Cette même casse qui amène l’hôpital public et ses travailleur.se.s à avoir perdu beaucoup de moyens et de lits au court des années et donc forcément à avoir plus de mal à gérer la crise sanitaire. Il va aussi falloir s’opposer à la loi d’urgence qui promet d’accélérer un peu plus le démantèlement de nos acquis sociaux. Bien sûr concernant toutes ces revendications il va falloir les discuter avec tou.te.s les collègues, le fond va sans doute bouger.

Comment les gens confinés peuvent vous soutenir?

Déjà même si je comprend que la situation est compliquée, il faut faire gaffe à nous quand on nous croise en rayon où en caisse. Souvent tout est fait dans le management des patrons pour nous mettre en situation d’infériorité vis à vis des client.e.s (tenues déparayées, dans certaines entreprises on nous force à nous asseoir pour que les client.e.s nous surplombent…) et du coup ça joue sur les comportement qui peuvent plus facilement être violent vis à vis de nous. Du coup c’est globalement pas la faute à la majorité de la population qui passe en caisse, mais il faut pas que ça se passe. On est dans la même galère que la grande majorité de la population. Patrons exceptés bien sûr. Quand t’es dans ton immense appart à faire ton télétravail et que le gouvernement t’as promis plein de milliards, la galère elle est loin.

L’autre truc à mon avis c’est que quand les client.e.s passent dans nos magasins et voient que les conditions sanitaires sont ignobles (pas de masques, pas de gants, de plexiglas…), il faut pas hésiter à mettre la pression à la direction des magasins pour qu’elles s’améliorent. En demandant à rencontrer la direction et en faisant connaître cette demande, genre en le demandant un peu fort pour que les collègues entendent. Mais pas en embarquant directement des collègues dans la demande, en tout cas pas si on en connaît pas dans la situation professionnelle. On est beaucoup de précaires et les chefs sont toujours pas trop loin. C’est possible aussi à mon avis d’envoyer des mails, des twitts, de faire des commentaires offensifs vis à vis des magasins qui ne respectent pas ces éléments sanitaires. Bref de mettre la pression pour que les client.e.s comme nous qui bossons sur place on soit pas en danger, c’est le minimum.

Et puis plus globalement, il faut qu’on soutienne ensemble les travailleur.se.s des boites qui ne produisent pas d’éléments directement nécessaires et qui se battent pour fermer en concevant 100 % des salaires, c’est une nécessité première pour éviter des milliers de morts. Il faudrait qu’on sorte de cette crise avec en ligne de mire une autre société où les services publics notamment hospitaliers ne sont pas détruits au détriment de nos vies pour servir les profits de quelques-uns. Une société où les patrons n’ont pas la possibilité de nous laisser crever du virus sans protections dans nos boites pour se remplir les poches. Bref, une société qu’on ferait tourner nous-même directement pour nos intérêts en ayant exproprié ces parasites patronaux.

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