“Le pire de la crise viendra aux Etats-Unis de l’effondrement de notre système des retraites”

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : QG

Alors que l’Etat de New York connaît un nombre de morts exponentiel, le patron du « Harper’s », voix importante de la gauche Outre-Atlantique, fait le point sur la situation et les répercussions politiques de la crise du Covid-19 sur la présidentielle américaine. Interview par Aude Lancelin

Alors que l’Etat de New York connaît un nombre de morts exponentiel, le patron du « Harper’s », voix importante de la gauche Outre-Atlantique, fait le point sur la situation et les répercussions politiques de la crise du Covid-19 sur la présidentielle américaine.

QG: Le confinement n’a finalement pas été décidé à New York, là où vous vivez. Comment se passe la vie pour les gens sur place ?

John R. MacArthur : Il n’y a toujours pas de confinement ici, contrairement à Paris. Mais les gens dans le Upper West Side de Manhattan, où je vis, ont l’air de rester chez eux sans trop y être contraints. Je suis dans un coin qui donne sur Central Park, et on peut circuler sans grande difficulté sur les trottoirs, les rues sont même quasiment vides. Les autorités de la ville ont menacé de fermer le parc à cause d’attroupements de personnes trop rapprochées, et ils ont fini par interdire l’accès aux cours de récréation, et par faire enlever les paniers de basket pour empêcher des jeux. A 19 heures, on imite désormais les Français et les Italiens : des milliers de gens ouvrent leurs fenêtres et sortent de leurs immeubles pour applaudir les secouristes en général, et les infirmières et médecins en particulier. En effet, ça remonte un peu le moral. Toujours pas de pénuries importantes dans les supermarchés et dans les épiceries. La plupart de ces établissements ont établi des contrôles sur le nombre de personnes autorisées à l’intérieur. La ville est très, très calme à part quelques sirènes – du jamais vu d’après mon expérience de New Yorkais, pas même après le 11-Septembre.  Évidemment, c’est différent dans les quartiers plus pauvres, où les ouvriers sont obligés de se déplacer pour survivre, et ne peuvent pas travailler à distance avec un ordinateur. Eux sont obligés de prendre le métro dans des wagons bondés. Les premières statistiques qui nous parviennent ont l’air de démontrer une fracture économique et raciale dans le taux d’infection – à savoir que les districts plus pauvres comme Brooklyn, le Bronx et le Queens, seraient plus touchés par la maladie que Manhattan et Staten Island. Un voisin dans mon immeuble, retraité et âgé de plus de soixante-dix ans, est tombé malade du Covid, mais on semble dire qu’il va survivre sans être hospitalisé.

QG : Une rivalité s’est instituée entre Trump et le gouverneur désormais star de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, dont les premières déclarations avaient été jugées alarmistes, et ont surtout fait de l’ombre au Président. Quelle en sont les conséquences pour les résidents de l’Etat ?

John R. MacArthur : La rivalité entre le Gouverneur Cuomo et Donald Trump, tous les deux élevés dans le Queens, est authentique, bien que très mise en scène par les médias. Cuomo se comporte avec plus d’intelligence et de dignité que le Président – ça va presque sans dire – mais nous ne connaîtrons pas les vraies conséquences de tout cela avant longtemps.  Le nombre de morts, et le vrai bilan de la crise, sont encore lointains. La ville et l’Etat de New York sont en tête aux Etats-Unis du plus grand nombre de personnes infectées. Donc Cuomo ne peut pas se vanter d’avoir un bilan meilleur que celui de Trump pour ses préparatifs ou ses anticipations de la crise. En tout état de cause, Cuomo est un grand centriste du parti Démocrate, très loin de la position de Bernie Sanders au sujet de l’Etat-Providence et de la nécessité d’un système de santé national et gratuit pour tous. On parle de lui comme potentiel remplaçant de Biden comme candidat à la présidence pour le parti Démocrate, mais il est en réalité bien trop tard pour qu’il se présente.

QG : Le nombre de chômeurs a également explosé depuis quelques semaines aux Etats-Unis… On dit que 40% des New Yorkais risquent aussi de ne pas payer leur loyer. De tous côtés les voyants sont au rouge. Comment voyez-vous la suite ? Une récession de grande ampleur est-elle inéluctable pour l’économie américaine ?

John R. MacArthur : Nous sommes déjà en récession, surtout si l’on prend en compte l’effondrement dramatique des valeurs en bourse.  Les Américains de toutes classes, sauf les plus pauvres bien sûr, investissent tous en bourse – cela fait partie de notre culture – et nos retraites sont financées par la valeur des actions, via les fonds de pension. C’est là où se trouve le pire de la crise qui vient. Que va-t-il arriver aux gens qui comptaient sur un Dow Jones en hausse pour payer leurs retraites ? Les locataires, je pense, seront épargnés à court terme pour des raisons de pures raisons de com’.  Les propriétaires ne vont pas vouloir être exhibés à la télévision comme de méchants créanciers qui chassent les locataires de leurs foyers. Et les politiques ont très peur, là encore à court terme, d’être blâmés pour les méfaits du marché privé. N’oubliez pas que la fortune de Trump et sa famille a été entièrement fondée sur les milliers de locataires modestes de New York.

QG : Arrivez-vous à avoir des informations fiables sur la réalité de la situation sanitaire aux Etats-Unis ?

John R. MacArthur : Ce n’est pas possible d’avoir des informations fiables sur la vraie situation sanitaire ici, et cela pour deux raisons principales. La première c’est qu’il y a 50 systèmes différents de statistiques, un par Etat. Ce manque de coordination est étonnant, mais voilà c’est ainsi. Un Etat progressiste et avancé comme, disons, le Minnesota arrive à faire des décomptes de malades plus ou moins corrects, contrairement à un Etat plus proche du tiers monde comme l’Arkansas, ou le Mississippi, où le gouvernement n’a ni le pouvoir, ni la compétence, pour faire de bons calculs avec des chiffres sûrs. La deuxième raison, c’est le manque de tests pour détecter le Covid-19 – comme chez vous, il est toujours très compliqué de se faire examiner ici, surtout pour les pauvres. Si vous restez malade à la maison sans voir un médecin, ou sans vous rendre à l’hôpital, vous n’êtes évidemment pas compté parmi les infectés officiels.

QG : Quelles sont les répercussions actuelles de la crise du Covid sur la campagne présidentielle américaine ? La gestion de la crise du Covid-19 aux Etats-Unis pourrait-elle être l’élément achevant de discréditer Trump ? Ou bien risque-t-on d’observer un réflexe légitimiste, « tous derrière le chef » par temps durs ?

John R. MacArthur : Aujourd’hui on peut dire que Trump est gagnant – il est d’ailleurs en hausse dans les sondages. D’une part il est sans arrêt à la télévision, d’autre part il s’est subitement converti au dirigisme en politique, le contraire de Herbert Hoover alors Président républicain au début de la Grande Dépression de 1929.  Celui qui aurait dû être le grand gagnant de la crise actuelle, à savoir Bernie Sanders, a été balayé par la machine démocrate, à savoir le clan Clinton-Obama, qui préfère perdre avec un Biden incohérent et corrompu, que gagner avec un insurgé comme lui qui menacerait le contrôle de la machine du parti. Il est désespérant d’observer la chute de Sanders, au moment même où le manque de soins médicaux de base, et la faiblesse du filet de sécurité sociale, sont plus que jamais évidents et lui donnent raison.

Si la crise se tasse d’ici la convention des Républicains en août, Trump va déjà clamer sa victoire, et les Démocrates auront du mal à le contredire. Les idioties de Trump au début de la crise seront pour la plupart oubliées. Joe Biden est un candidat pire encore qu’Hillary Clinton – je ne vois même pas comment il va pouvoir s’en sortir, tant il est proche de la grande finance, de Wall Street, et partisan de la déréglementation des marchés, du « libre échange ». Il est tout ce que vous pouvez imaginer de pire comme partisan du clientélisme. Il ne peut pas se réinventer d’une minute à l’autre. Je ne comprends toujours pas pourquoi les noirs américains ont voté majoritairement aux primaires pour Biden, qui en tant que sénateur a appuyé une politique anti-intégration au sein des écoles publiques, et favorisé l’incarcération des jeunes noirs en nombre disproportionné. Ce qui le place en très mauvaise posture pour attaquer la politique anti-noirs et anti-pauvres de Trump. Alors étudiant, Sanders s’était fait arrêter dans une manifestation contre la ségrégation des noirs à Chicago, et il avait défilé dans la fameuse « March on Washington » de Martin Luther King en 1963. En 2003, Biden a au contraire prononcé un éloge à la mémoire du sénateur Strom Thurmond, ségrégationniste et raciste avant la lettre. Il y a de quoi être sidéré.

Propos recueillis par Aude Lancelin

John R. MacArthur est le président et rédacteur en chef de Harper’s Magazine. Il est l’une des voix importantes de la gauche aux Etats-Unis. Sous sa direction, Harper’s a reçu vingt National Magazine Awards, la plus haute reconnaissance de la presse américaine. Il est notamment l’auteur de « L’illusion Obama » (2012, éditions les Arènes), essai d’une rare lucidité sur les échecs du premier président noir des Etats-Unis.

 


Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut