Article initialement publié sur le site du NPA.
Dans la nuit de vendredi à samedi, les députéEs ont voté à la quasi-unanimité une nouvelle loi de finances rectificative, moins d’un mois après celle votée fin mars. Les cadeaux au patronat flambent, passant de 45 milliards en mars à 100 milliards aujourd’hui. Des clopinettes ont été accordées aux soignantEs et aux salariéEs… qui seront amenéEs à payer la facture, par des plans d’austérité monstrueux et/ou une inflation galopante. Ce budget de classe a été voté par la grande alliance LREM, LR, PS et RN. Le PCF s’est courageusement abstenu. Seule La France insoumise a voté contre.
La loi de finances prend acte de la plus grosse récession depuis la guerre de 1940
Fin mars, la première loi de finances rectificative était encore dans le déni : elle était établie sur la base d’une décroissance de –1 % en 2020 et d’un déficit public de 3,9 % du PIB. La nouvelle loi de finances est construite sur des hypothèses plus réalistes, sur la base des travaux de l’Insee : une décroissance de –8 % du PIB en 2020 et un déficit public grimpant… à 9,1 % du PIB. La dette publique bondirait de 100 % à 115 % du PIB.
Il faut souligner un aspect passé sous silence par les économistes : le PIB additionne la valeur ajoutée marchande et la valeur ajoutée non marchande (celle des administrations publiques). La production des administrations publiques n’est pas estimée à partir du prix de vente (puisqu’elle est quasi gratuite) : elle est estimée à partir des coûts de production, principalement les salaires. Comme les fonctionnaires continuent à être payés, la production des administrations ne va donc pas baisser alors que le service rendu à la population sera impacté. C’est pourquoi la baisse du PIB « ressentie » par la population sera en fait nettement supérieure…
Pour le patronat, le guichet est ouvert… sans aucune contrepartie, sans aucun contrôle !
En moins d’un mois, nous sommes passés de 45 milliards d’aide au patronat à environ 100 milliards, et ce montant sera sans aucun doute encore revu à la hausse.
Le financement du chômage technique passe de 8,5 milliards fin mars à 24 milliards aujourd’hui (16 à la charge de l’État et 8 à la charge de l’Unedic). Il y a aujourd’hui environ 9 millions de salariéEs en chômage technique, soit près d’unE salarié du privé sur deux. L’État ne contrôle rien : de nombreuses entreprises utilisent le dispositif de chômage technique tout en faisant télétravailler leurs salariéEs ! C’est totalement illégal, mais l’État ne fait rien. Le coût pour les finances publiques sera au final bien plus élevé. L’OFCE a en effet chiffré qu’un mois de chômage technique pour 5,7 millions de salariés coûtait 21,4 milliards aux finances publiques (12,7 milliards d’indemnités et 8,7 milliards de manque à gagner en cotisations). Au final, il est fort probable que la facture soit de plus de 50 milliards d’ici la fin du confinement… un « pognon de dingue » !
D’autres aides budgétaires sont gonflées dans la nouvelle loi de finances : ainsi, le fonds de solidarité pour les petites entreprises passe de 1 milliard à 7 milliards. En outre, ce qui était annoncé comme de simples mesures de trésorie (reports de cotisations et impôts) sans impact sur le déficit public se transforme officiellement en annulation pure et simple de cotisations et impôts. On ne sait pas exactement quelle sera l’ampleur de ces annulations, mais elles auront bien lieu. Quant aux entreprises qui sont au chômage technique aujourd’hui, Darmanin a indiqué étudier « une exonération de charges (sic) à la reprise »… Encore des cadeaux qui s’ajouteront aux 100 milliards de la loi de finances rectificative !
L’innovation de cette loi de finances est la constitution d’un fonds de renflouement de 20 milliards. Il est destiné à financer l’entrée de l’État dans le capital des plus grosses entreprises « stratégiques » (aéronautique, automobile…), afin de les renflouer en fonds propres et les maintenir à flot (ainsi que soutenir leurs cours boursiers…). Il n’y aura aucune contrepartie à ce renflouement. Un amendement LREM stipule que ces entreprises devront être « exemplaires » en termes de « responsabilité sociale et environnementale » (RSE). La médiocrité de ces parlementaires n’a d’égal que leur cynisme : il suffira que ces entreprises pondent un joli rapport sur la RSE pour que la contrepartie soit donnée ! Mais la réalité se résume au bon vieil adage : socialisation des pertes (mobilisation de l’argent public pour renflouer les capitalistes) et privatisation des profits.
Des clopinettes pour la santé et les salariéEs
8 milliards sont prévus pour la santé : 4 milliards pour les achats de matériel sanitaire et 4 milliards pour les primes aux soignants, la majoration des heures supplémentaires, etc. C’est davantage que fin mars, mais ces mesures sont dramatiquement insuffisantes. Il faudrait aujourd’hui réquisitionner en masse des entreprises et laboratoires pour produire masques, tests et autres matériels sanitaires. Il faudrait aussi un plan massif de recrutement de personnel soignant et d’investissement pour l’hôpital public, financé par une hausse des cotisations maladie patronales.
Des clopinettes vont être versées aux fonctionnaires « méritants » : une prime allant jusqu’à 1 000 euros sera versée à environ 400 000 fonctionnaires qui ont surtravaillé pour un budget ridicule de 300 millions. Dans le même temps, le gouvernement frappe l’ensemble des fonctionnaires d’État en leur volant jusqu’à 10 jours de congé pendant la durée du confinement
Enfin, une misérable aumône, une « aide d’urgence », sera octroyée pour les ménages pauvres : 150 euros (+100 euros par enfant) pour les ménages touchant le RSA ou l’ASS. 100 euros par enfant pour les ménages touchant une allocation logement. Cela représente à peine 900 millions d’euros. Au total, les mesures pour notre santé, pour nos salaires, et pour les aides sociales, représentent moins de 10 milliards, c’est-à-dire moins de 10 % de ce qui est accordé au patronat.
L’union nationale au Parlement continue, seule La FI s’oppose à ce budget de classe
Le 20 mars, l’ensemble des député.e.s avait voté la première loi de finances rectificative. Cette fois-ci, LR, le PS et le RN persistent et signent : ils ont voté ce budget de « guerre » en faveur des capitalistes. Le PCF s’est abstenu, montrant ainsi que son opposition était plus que fragile. Après avoir hésité, La France insoumise a finalement voté contre. Il est difficile de sortir de « l’union nationale ». En effet, en temps de crise, il n’y a pas 36 solutions quand on prétend gouverner dans le cadre du capitalisme : il faut mettre le pognon nécessaire pour sauver les capitalistes. Les antilibéraux ne peuvent pas remettre en cause ces aides, ils peuvent simplement proposer un aménagement, en discuter les conditions, les contreparties. S’opposer frontalement à ces aides, c’est assumer de laisser le système capitaliste s’effondrer, et donc assumer la nécessité de rompre avec le capitalisme, de mettre en place un nouveau mode de production, fondée sur l’appropriation collective des moyens de production et le pouvoir des travailleurEs sur l’économie. Ce n’est pas leur projet politique.
Les antilibéraux se démarquent des libéraux dans leur volonté de compléter le plan de soutien au patronat par un plan de soutien au pouvoir d’achat de la population. Ils font croire qu’on peut donner des milliards à tout le monde. C’est bien entendu une illusion, mais les antilibéraux cultivent le fétichisme monétaire : il suffirait de faire fonctionner la planche à billets pour garantir le pouvoir d’achat et pour sortir de la crise grâce à la relance de la consommation. Les propositions fleurissent : la banque centrale pourrait financer directement le déficit budgétaire des États ; elle pourrait aussi faire un chèque à tous les ménages : c’est la théorie de la « monnaie hélicoptère ». Comme cette métaphore l’indique, un hélicoptère distribuerait de la monnaie à chaque ménage. Mais il n’y aura pas de miracle : si de telles solutions étaient mises en œuvre, la conséquence serait une inflation galopante qui amputerait le pouvoir d’achat de la population. La création monétaire massive ne permet pas de sortir de la crise. Ce qui permet la sortie de crise, c’est une immense dévalorisation du capital excédentaire : cela signifie concrètement des faillites d’entreprises, un chômage de masse, une baisse des salaires. Dans le cadre du système, il n’y a pas de sortie de crise qui peut se faire au bénéfice des travailleurEs. La seule alternative, c’est la rupture avec ce système de plus en plus barbare : une issue communiste à la crise !