Pour un plan de sortie de crise écologique, « il faut doubler le nombre de paysans »

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Reporterre

Alors qu’une vingtaine d’associations et syndicats publient un « plan de sortie de crise », Reporterre s’est concentré sur les mesures de reconversion sociale et écologique de la production agricole proposées : alimentation, emploi, rémunération, installation, libre-échange…

Mardi 26 mai, vingt organisations associatives et syndicales [1] ont publié un plan de sortie de crise. Dans ce document, elles défendent 34 mesures pour répondre aux enjeux sanitaires, sociaux, économiques et écologiques auxquels font face nos sociétés après la pandémie de Covid-19. Le plan vise à « faire la démonstration qu’il y a des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire, et que ces alternatives sont crédibles, désirables et réalisables, à condition que les moyens politiques soient mis au service des objectifs de transformation sociale et de préservation de l’environnement ».

Parmi ces mesures, plusieurs ont trait à la mise œuvre d’une reconversion sociale et écologique de la production agricole. Reporterre dresse un état des lieux de ces propositions avec Nicolas Girod, éleveur dans le Jura et porte-parole de la Confédération paysanne.


Reporterre — « L’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous » est l’une des 34 mesures déclinées dans le plan de sortie de crise, que la Confédération paysanne a élaboré avec 19 autres organisations. Le confinement a jeté une lumière crue sur les problèmes d’accès à une alimentation, de surcroît à une alimentation de qualité, pour une partie de la population française. Comment rendre accessible à tout le monde une alimentation bio, locale, paysanne ?

Nicolas Girod — Nous sommes encore en plein dans la pandémie et ses répercussions : l’urgence est d’abord de garantir l’accès à l’alimentation pour tous, pour que tout le monde puisse manger. En ce sens, il nous semble essentiel de travailler avec les lieux de restauration collective. Actuellement, la majorité sont fermés, alors qu’ils pourraient et devraient être réquisitionnés pour pouvoir nourrir les plus précaires.

Ensuite, sur le moyen et long terme, il faut pouvoir garantir durablement aux ménages les plus précaires un bien meilleur accès à une alimentation choisie et de qualité. En ce sens, nous appelons à la création d’une Sécurité sociale de l’alimentation, avec la sanctuarisation d’un budget pour l’alimentation de 150 euros par mois et par personne, intégrée dans le régime général de Sécurité sociale. Ce budget devra être établi par des cotisations garantes du fonctionnement démocratique de caisses locales de conventionnement et chacune de ces caisses, gérées par les cotisants, aurait pour mission d’établir et de faire respecter les règles de production, de transformation et de mise sur le marché de la nourriture choisie par les cotisants.

Cette Sécurité sociale de l’alimentation permettrait à tous les habitants d’un territoire de décider, main dans la main avec les paysans, de ce qu’ils veulent manger et des conditions dans lesquelles ces aliments vont être produits. Cette démarche permettrait alors de s’extraire des choix agricoles guidés par l’agro-industrie, la recherche de volumes, d’export, de nouveaux marchés, qui ont fait oublier la raison première de l’agriculture : nourrir la population.

À Pantin (Seine-Saint-Denis), un réseau d’aide alimentaire a été mis en place par des habitants pendant le confinement.

Vous réclamez aussi la création d’emplois dans l’agriculture. Combien d’emplois pourraient-ils être créés ? Comment faire sauter les verrous qui, pour le moment, provoquent plutôt une diminution du nombre d’actifs ?

Depuis l’après-guerre, nous observons en effet une diminution du nombre d’actifs paysans. Mais aujourd’hui, ce n’est plus tolérable ! Nous ne pouvons plus nous permettre d’en perdre un seul. Il en va du maintien de notre activité et de la sauvegarde des dynamiques territoriales et alimentaires. C’est peut-être surréaliste d’entendre ça, mais aujourd’hui nous sommes moins de 500.000 paysans et nous osons croire que, dans les dix ans, nous serons un million de paysannes et de paysans, en France, à pouvoir répondre aux enjeux alimentaires, écologiques, environnementaux et sanitaires.

Pour parvenir à doubler le nombre d’emplois paysans, il faut une rupture complète avec toutes les orientations prises jusqu’à présent. Ça commence par l’accès au foncier, qu’il faut arriver à répartir et à réguler. Le gros frein à l’installation est souvent là, notamment pour des publics non issus du milieu agricole, qui n’ont pas les codes et ne sont pas dans les bonnes sphères pour avoir accès à ses moyens de production.

Il faut également changer les consciences, en premier lieu dans le monde agricole, faire comprendre à toutes et à tous qu’il est plus intéressant d’installer que d’agrandir. La politique agricole commune (PAC) doit permettre ce changement de conscience. Elle faire cesser d’encourager « la course à l’hectare » et privilégier les installations de nouveaux paysans. Cela implique d’en finir avec les aides à l’hectare et de leur préférer un principe d’aide à l’actif, de dégressivité et de plafonnement des aides, avec un soutien plus important aux petites fermes, qui sont reconnues comme plus vertueuses socialement et pour l’environnement. Ces mécanismes doivent permettre de faire basculer le monde agricole vers une augmentation du nombre d’emplois, plutôt que de perte d’emploi, d’agrandissement et d’intensification, comme c’est le cas aujourd’hui.

Enfin, il y a l’enjeu de la rémunération du monde paysan. Comment attirer d’éventuels candidats à l’installation si les revenus ne sont pas la hauteur des besoins et des espérances de chacun ? Au niveau européen, pour augmenter ces revenus, il s’agit de réguler les volumes, d’en finir avec les politiques de dérégulation des marchés, avec cette course au « toujours plus ». En France, nous pourrions interdire la vente à perte en ayant un plancher, un seuil de revenu minimal qui soit satisfaisant pour les premiers volumes.


La dernière mesure du plan de sortie de crise est une « transition sociale et écologique de l’agriculture et de l’alimentation ». Si vous vous réveillez, un matin, dans la peau du ministre de l’Agriculture, quelle est la première mesure que vous mettez en œuvre ?

Dans la peau d’un ministre de l’Agriculture, notre première bagarre serait européenne, nous pèserions de tout notre poids pour la régularisation des volumes. Ce plan de transition sociale et écologique de l’agriculture et de l’alimentation est fondé sur un triptyque : protéger, installer et socialiser. Et la première des protections, c’est la régulation des marchés. Pour commencer à protéger les paysannes et les paysans, il faut mettre fin aux accords de libre-échange. L’Union européenne doit sortir du néolibéralisme, cesser de vouloir exporter des volumes toujours plus importants, de chercher sans cesse des parts de marché supplémentaires sur les marchés mondiaux. À partir de là, nous pourrons refonder les politiques agricoles autour d’une volonté de « produire pour nourrir » et chercher des prix rémunérateurs pour couper la spirale de disparition des paysans.


Ces changements que vous appelez de vos souhaits ont-ils une chance de se concrétiser dans les mois à venir ?

Avec ce gouvernement, nous avons des doutes, mais tout l’enjeu de cette convergence entre ces vingt organisations est de créer un rapport de force et d’alimenter le débat public. Ce président est là aujourd’hui, il sera là jusqu’à la prochaine présidentielle, et nous ne pouvons pas attendre une prochaine mandature pour s’inscrire dans la rupture que nous appelons de nos souhaits. C’est notre travail de syndicaliste et d’organisation de peser au plus pour incarner cette rupture et ce besoin de changement de modèle, la poser sur la table pour qu’elle soit reprise, débattue, réfléchie. Est-ce que ce sera suffisant pour sortir de ce dogme néolibéral incarné par le gouvernement ? Nous n’en sommes pas certains, évidemment, mais cette crise sanitaire est un moment charnière pour s’inscrire dans une bifurcation. Il y a une demande forte de la société qui comprend que cette rupture est une nécessité vitale pour les paysans, pour la sécurité alimentaire des plus précaires, et pour la planète.

  • Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut