Avec les soignant·e·s qui luttent, l’heure est à la création de collectif d’usagers!

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Blog de Mediapart

Les usager·e·s des hôpitaux aussi ont des choses à dire… et pas que depuis cette affaire de COVID-19. Depuis quelques semaines, les luttes des hospitaliers grossissent. Dans le 93, le feu prend à Saint-Denis mais aussi à Bobigny à l’hôpital Avicenne. Ça donne envie de soutenir de voir ces gens lutter et en même temps quand on est usager c’est difficile de revenir sur ces lieux sans grincer des dents.

 

Aux côtés des soignant·e·s qui luttent, l’heure est à la création de collectif d’usagers !

Depuis quelques semaines, les luttes des hospitaliers grossissent et c’est une bonne chose. Dans le 93, le feu prend à Saint-Denis autour des centres Delafontaine et Casanova mais aussi à Bobigny à l’hôpital Avicenne. Ça donne envie de soutenir de voir ces gens lutter et en même temps quand on est usager c’est difficile de revenir sur ces lieux sans grincer des dents.

Mon grand-père est mort à Avicenne à Bobigny.

Mon père est mort à Delafontaine à Saint-Denis.

Pépé, c’est un cancer qui l’a fait partir. J’étais trop jeune pour me rappeler de tout, mais je revois quand même le long couloir triste, la chambre et la douleur de ma tante. Je revois ma grand-mère me demander de sortir car il fallait mettre une crème sur les testicules de mon grand-père pour pas que ça nécrose. Je me rappelle déjà la difficulté de parler à un médecin. Je me rappelle le coup de fil à 6heures du matin.

Je n’étais pas préparée à la mort de mon père, qui est advenue en quelques semaines, mais j’étais assez grande cette fois pour voir ce qui arrive quand un hôpital dysfonctionne grandement. Mon père était passé deux fois aux urgences avant qu’ils finissent par l’hospitaliser à cause d’une grave anémie. Le lendemain il a fait un AVC frontal qu’ils ont mis 24 heures à déceler. Ça désinhibe et lui s’est battu car il voulait sortir de l’hôpital, désorienté. Pendant ces 24 heures, ils l’ont accusé de se droguer pour justifier son comportement. Ce n’est qu’au bout d’une bonne dizaine de jours et en faisant d’autres examens qu’ils ont compris qu’il avait un cancer et qu’il ne pourrait pas être guéri. La phase terminale se profilait et surtout ses artères étaient en train de se boucher par suite des AVC rendant impossible toute opération. Chaque étape les obligeait à aller chercher plus loin, ce qui aurait pu être découvert si au premier passage aux urgences, ils avaient eu le temps de se pencher sur son cas. Ils n’ont jamais réussi à lui dire qu’il allait mourir et ils ne sont jamais revenus sur les étapes précédentes. Tous ces médecins et soignant-e-s qui l’ont « suivi » n’ont probablement jamais su qu’il était mort.

Je n’en veux pas ni à l’hôpital, ni aux soignant-e-s. Mon père est mort parmi les siens, comme un des siens. C’est cette réalité là qui me donne la rage : qu’il puisse encore exister une médecine de classe.

Mon père était très attaché à cet hôpital de Saint-Denis, pour lequel il a milité, où sont nés une partie de ces enfants et petits-enfants, il aimait parler de l’accouchement sans douleur qu’on y avait appliqué, du professeur truc… Bref il aimait cet hôpital (comme il aimait Avicenne) et était persuadé qu’il était le meilleur du monde, que parce qu’il était à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, et on ne pouvait faire mieux. Mon père avait gardé la naïveté du militant communiste qu’il était, persuadé que chez lui, on ne pouvait que bien accompagner les patients. Il avait les traces du milieu dont il était originaire même si lui avait monté quelques étages de l’ascenseur social. D’ailleurs, même au plus mal, il contait l’histoire de Saint-Denis aux soignant-e-s qui s’occupaient de lui quand il constatait qu’il la ne connaissait pas.

Et pourtant. A son 2e AVC durant l’hospitalisation, il s’est passé quelque chose qui ressemble fort à une prise de conscience qu’on combat. Pendant plusieurs semaines, il a souffert de ce qui, nous a-t-on dit, s’appelle une confusion spatiale. C’est-à-dire qu’il s’est cru ailleurs. Rien n’y faisait. La vue sur les 4000 de La Courneuve où il avait vécu. Non c’est autre chose. La vue de bretelle d’autoroute qu’il a prise pendant des années pour rentrer chez lui à Pierrefitte. Non. Le hall ? Non. Le nom Delafontaine inscrit en gros sur le fronton de l’hôpital. Non plus. Mon père se pensait à Tignes (dans les Alpes) et pour se mettre en cohérence, il s’est mis à dire qu’il y avait un autre Delafontaine à Tignes. Je le revois encore au téléphone dire à ses amis : « Tu savais qu’il y avait un autre Delafontaine à Tignes ? ».

C’est là que l’inconscient parle. Le fait de se croire à Tignes a permis à mon père de formuler l’informulable pour lui : Qu’est-ce que c’est que cet hôpital de merde ? Il a exigé durant des jours d’être rapatrié à Saint-Denis, où il serait mieux soigné, où il serait mieux pris en charge, où il serait chez lui. Ce qu’il disait sans le dire c’est qu’il voulait être chez lui dans un vrai service public.

Avec une kiné qui vient le jour dit et pas trois jours après ; voire une kiné qui vient tous les jours comme promis

Avec des examens qui sont faits en temps et en heure, et qu’on ne perd pas dans le va-et-vient

Avec des infirmières et des aides-soignants qui ne changent pas tous les deux jours

Avec des médecins qui viennent te parler et te considérer un peu

Avec une nourriture qui ressemble un tant soit peu à quelque chose

Avec des espaces de vie qui permettent de ne pas croupir sans rien avoir à faire à part la télé dans l’hôpital

La première fois qu’il a pu sortir de l’hôpital, il n’a rien dit. Et après il n’a plus rien dit non plus. Mon père n’est pas mort à Delafontaine, il est rentré chez lui, dans sa maison à Pierrefitte via un dispositif appelé HAD, une autre foutaise du fonctionnement actuel de l’hôpital, qui consiste en gros à renvoyer les patients – ou clients – souffrir et mourir seuls chez eux.

Il a été abandonné par cet hôpital, lui qui l’avait accompagné toute sa vie.

Avec quelques unes, nous voudrions intervenir en tant qu’usagers dans cette lutte. Nos histoires d’usager-es, avec leurs douleurs et leurs joies, disent quelque chose de l’hôpital, de ce qu’il est et de ce qu’il devrait être. A nous de les partager : le manque de moyens de l’hôpital, c’est très concret, ce sont des questions de vie et de mort. Si ça vous dit de réfléchir au collectif d’usager-es des hôpitaux du 93, un peu ou beaucoup, écrivez à Usagers93@protonmail.com

C’est notre unique protection contre l’injustice sur laquelle repose le système de santé actuel.


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