La maison individuelle, un fantasme individualiste hors-sol

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SOURCE : Reporterre

Le retour à la campagne des populations urbaines peut avoir des conséquences délétères sur l’environnement, la faune et les petits agriculteurs, explique l’auteur de cette tribune. Qui voit dans la maison individuelle l’incarnation coûteuse d’un individualisme hors-sol.

La maison individuelle, un fantasme individualiste hors-sol

Jonathan Dubrulle est étudiant en agriculture comparée et développement agricole à AgroParisTech.


Un portail de deux mètres de hauteur s’ouvre sur une cour cerclée de brise-vues vert foncé, ne laissant même pas passer les rayons du soleil. Après une dure journée de labeur passée en ville, la voiture rentrée au garage et la porte fermée à double tour, tout est calme, comme si une cloche isolait le lopin de 1.000 m2 de son environnement. Mais, sitôt les pantoufles enfilées, une odeur nauséabonde envahit le jardin, accompagnée d’une armada de mouches. « Ciel, le voisin a eu la satanée idée de mettre ses vaches dans le pré d’à côté ! »

Nous ne poursuivrons pas plus longtemps cette fable caricaturale. Néanmoins, elle permet d’illustrer le décalage qui existe entre certains ruraux et leur environnement. Ces derniers résident, mais n’habitent pas le petit village où vient de pousser un coquet pâté de maisons individuelles, sur l’air de « il faut sauver l’école du village ». Oui, les enfants de ce couple de jeunes cadres sont bien scolarisés à l’école élémentaire située entre la mairie et l’église. Mais c’est à peu près tout ce qui les unit à leur commune de résidence, car les parents travaillent à l’extérieur, se divertissent en ville et consomment dans la zone artisanale fraîchement inaugurée, à 10 minutes de voiture.

Sous ses airs de sympathique petite bourgade, notre village n’est qu’un point parmi un quadrillage où tout est zoné, sectorisé. Nul besoin de préciser que tout est relié par des mouvements pendulaires permis par une automobile qui déplace les individus d’un point A à un point B, sans qu’ils ne croisent jamais personne, bercés par leur musique favorite, et ventilés par l’air conditionné.

70 % de l’urbanisation se fait sur des terres agronomiquement riches

Derrière l’échec manifeste des politiques d’aménagement du territoire, la maison individuelle est bel et bien un caprice individualiste. Un fantasme contemporain qui permet de s’isoler dans sa bulle au milieu d’un environnement que beaucoup imaginent vide, inanimé, voire mort, quand d’autres s’en font une représentation sauvage, arcadienne. C’est un lieu paisible propice à la méditation, où les activités humaines n’ont pas leur place. Quand la vie rurale est idéalisée et que l’on rêve d’une nature originelle, comment voulez-vous ne pas superposer des images d’Épinal sur la campagne qui entoure vos 1.000 mètres carrés ?

La crise sanitaire a dirigé les projecteurs sur la souveraineté alimentaire et la résilience du consommer-local. Néanmoins, n’est-il pas paradoxal de soutenir les petits producteurs du village quand on a contribué à l’urbanisation des meilleures terres de la commune ?

Car la France perd l’équivalent d’un département de terres agricoles tous les sept ans. Et cette artificialisation ne se fait pas sur des terrains ingrats, puisque l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, ex-Inra) estime que 70 % des pertes de foncier ont lieu sur des terres à haut potentiel agronomique. Ce n’est pas étonnant, puisque les terres planes, peu caillouteuses et bien drainées sont aussi intéressantes pour les agriculteurs que pour les lotisseurs, qui y voient un moyen de réduire les coûts de viabilisation.

Quand on se penche sur les espaces de prédilection des néoruraux, on constate que c’est autour des métropoles qu’ils sont les plus nombreux : à Bordeaux, Marseille, Nantes et en Île-de-France, comme le montrent les cartes qui accompagnent un article de The Conversation publié le 7 juin dernier. Résultat, la périurbanisation galope, détruisant des espaces ruraux de proximité pourtant plébiscités. La spirale de l’artificialisation transforme les villages en non-lieux se cherchant une identité entre ville et campagne. Et la boutade de l’écrivain humoriste Alphonse Allais, à la fin du XIXe siècle, est devenue réalité : on tend maintenant à « construire les villes à la campagne ».

La parcellisation des terres agricoles complique la vie de la faune et des agriculteurs

Au-delà de la perte d’une partie du potentiel agricole censé nourrir les Français, les dégâts environnementaux engendrés par cette artificialisation sont criants et irréversibles. L’artificialisation imperméabilise les sols, favorisant le ruissellement des eaux de pluie, qui viennent grossir les cours d’eau et augmenter les risques d’inondation. De plus, contrairement à la végétation détruite, le béton n’absorbe pas de carbone et le changement d’état de terre agricole à parcelle urbanisée est responsable de lourdes émissions de CO2. Soulignons aussi que le mitage des territoires complique les déplacements de la faune sauvage et expose cette dernière au stress d’une présence humaine permanente.

L’artificialisation est également un cercle pernicieux pour le développement agricole local, surtout en zone périurbaine. Les agriculteurs sont exposés à la segmentation de leur parcellaire, ce qui augmente les distances, donc le temps passé sur la route. Ce mitage peut favoriser l’élevage hors-sol, puisque le pâturage est parfois rendu difficile d’accès par l’éclatement des parcours. Inutile de préciser que les dos d’âne, chicanes et autres joyeusetés compliquent le passage des moissonneuses-batteuses et autres engins un peu plus volumineux que la petite citadine ou le monospace familial. Les déchets verts, détritus et objets abandonnés dans les champs sont responsables de casse du matériel, contraignant certains agriculteurs à abandonner l’exploitation de terres situées près des maisons.

Ces contraintes peuvent réduire la rentabilité de petites structures et contribuer à leur disparition au profit de l’agrandissement des exploitations voisines. Même si les parcelles en question, trop petites pour être cultivées ou enclavées au milieu des maisons ne seront pas exploitées, les aides de la PAC primeront quand même la jachère broyée une fois par an.

Le retour au vert désiré et promu aujourd’hui pourrait donc avoir des conséquences délétères sur la vitalité de nos territoires (peu de vie associative, de rencontres informelles…), la viabilité de notre agriculture ou encore sur la préservation de notre environnement. Ne peut-on pas imaginer plutôt d’audacieux projets d’urbanisme réhabilitant des logements existants ? Prendre en considération la valeur agronomique des terres artificialisées et réfléchir davantage aux conséquences sur le parcellaire agricole ? De même, devons-nous favoriser la construction d’un type d’habitat refermé sur lui-même, terreau d’un individualisme qui alimente dangereusement la peur de son prochain ?


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