“Un enlèvement” de François Bégaudeau : critique très drôle de la bourgeoisie ou livre ennuyeux ?

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SOURCE : France inter

Le dernier livre de l’auteur d'”Entre les murs” passé au crible de l’équipe de critiques littéraires du Masque et la plume. Avec Olivia de Lamberterie (Elle), Frédéric Beigbeder (Figaro-Magazine), Michel Crépu (La NRF) et Arnaud Viviant (Transfuge) réunis autour de Jérôme Garcin (L’Obs, France Inter)

Un Enlèvement de François Bégaudeau. L'auteur ici
Un Enlèvement de François Bégaudeau. L’auteur ici © AFP / Joël SAGET

La présentation du livre par Jérome Garcin

“Un enlèvement de François Bégaudeau parait chez Verticales. L’auteur d’Histoire de ta bêtisesigne ce pamphlet contre les bobos, dont il pourrait être la suite logique. Il campe ici une famille bourgeoise, les Le Gendre en vacances à Royan. Le père chaussé de Nike Pégasus pratique la course à pied, pardon, “le running” et compte ses pas avec sa montre GPS fitness tout autre textotant avec sa maîtresse Amélie. Il est le narrateur. La mère travaille dans la communication. La fille Justine, 10 ans, est première de sa classe et est excellente au piano.

Seul le fils de 6 ans, Louis, fait de la résistance. Il ne veut pas apprendre à lire.

Pendant ce temps-là, le fils d’un entrepreneur du coin est porté disparu d’où le titre du roman. Mais on sent que ce n’est pas le coeur du livre. Cette disparition n’affecte pas beaucoup la petite famille de deux performeurs à la pointe de la mode technologique et du franglais.”

Olivia de Lamberterie : “Un livre très drôle”

“Je trouve que c’est très drôle. J’ai ri peut-être parce que Bégaudeau décrit à peu près tout ce que je déteste dans le monde d’aujourd’hui. Cela m’a plu qu’il le brocarde.

C’est un livre qui n’est pas sans rapport avec Broadway de Fabcaro. C’est le même canevas. Un homme de 45 ans qui, tout d’un coup, devient complètement paranoïaque et fou. Et François Bégaudeau raconte l’époque au travers de cette famille parfaite.

Il y a tout ce que je vomis : le running, Les bracelets connectés, la vie sans gluten, le yoga, les smoothies protéinés, l’éducation positive qui fait que maintenant, vous devez parler à vos enfants comme si vous étiez un conseil de ministres !

François Bégaudeau a vraiment le sens de la scène. Dont une qui est vraiment très drôle. La mère demande à son mari d’aller jeter des yaourts parce que leur fille s’est trompée et qu’elle a acheté des yaourts non bio. Et là, on se dit : ce n’est pas trop grave, ils vont les manger, ils ne vont pas en mourir. Pas du tout ! Le malheureux mari y va. Et là, il y a des Roms à côté des poubelles. Ils lui demandent si les yaourts sont périmés. Il leur explique que non, ces yaourts sont très bons. Et cela se termine par une sorte de dialogue fou où il va se trouver à dire : ” ces yaourts ne sont pas bons pour nous, mais ils sont bons pour vous”. Il faut imaginer le gars en tenue de running, forcément grotesque, avec sa montre connectée, et les deux femmes roms qui ne comprennent pas pourquoi, il jette ces yaourts. Et lui qui n’ose plus les jeter. C’est très marrant !

La mère est terrible aussi. Ce qui m’a posé problème, parce que je n’ai pas compris la fin du livre. François Bégaudeau : il faut m’inviter à prendre un café non protéiné, et m’expliquer !”

Arnaud Viviant : “On décolle avec ce livre parce qu’on a emmagasiné cette énergie, cette drôlerie, cet humour, et cette ironie”

“J’ai adoré. J’adore les romans de François Bégaudeau. Celui-là est juste, parfait. D’ailleurs, Un Enlèvement serait un formidable prix Goncourt puisque c’est un véritable roman.

Je l’ai lu dans l’après-midi. C’est 200 pages. Je déteste le terme de page turner, mais il y a une sorte d’énergie entropique dans la lecture de ce livre.

Ce qui fait que les magnifiques dernières pages où le livre décolle, on décolle avec parce qu’on a emmagasiné cette énergie, cette drôlerie, cet humour, et cette ironie.

J’apprécie la précision chez Bégaudeau. Elle rappelle celle de Simenon avec moults précisions topographiques.

L’intrigue n’est peut-être pas la plus palpitante, mais elle s’éclaire dans les dernières pages. C’est très fort.

C’est un livre sur ces êtres les plus assujettis de la société que sont les enfants. Ils doivent obéir. On a des idées pour eux, on doit les protéger et il devrait y avoir un Front de libération de l’enfance aujourd’hui, dans la société française !

C’est ce que raconte très bien Bégaudeau. C’est une moquerie sur de vrais bourgeois, pas des bobos.

La visite du Musée municipal de Royan rappelle la visite du musée municipal dans La nausée de Sartre. C’est magnifique ! C’est un chef d’oeuvre d’ironie. Une exceptionnelle vision de ce qu’est la nouvelle bourgeoisie. C’est un grand livre sociologique, mais aussi romanesque. Et il ne se moque pas de ces personnages.”

Michel Crépu : “Un livre très ennuyeux”

“J’ai trouvé Un enlèvement très ennuyeux. Je suis désolé. Ce sont les sciences sociales dans toute leur splendeur. Philippe Muray a fait ça dix fois mieux, il y a 20 ans avec une autre verve, et plus de vigueur.

Là, j’ai l’impression d’être à la bibliothèque municipale pour faire une enquête sur les pratiques de lecture.

Non, franchement, ça m’ennuie affreusement.”

Frédéric Begbeider : “François Bégaudeau écrit des phrases de malade”

“Je ne suis pas aussi enthousiaste qu’Arnaud, mais je trouve Un Enlèvement très marrant. Ce qui me frappe, c’est que François Bégaudeau est un gauchiste. Il est communiste normalement. Avant, les bobos, c’était plutôt Benoît Duteurtre ou Philippe Muray qui se moquaient d’eux. Là, on s’aperçoit qu’ils sont vraiment devenus les ennemis de tout le monde. C’est la faute à Macron ! 

Je maintiens que ce sont des bourgeois obsédés par le bio, par la santé, par l’éducation… Donc ce sont des bobos, un peu comme des auditeurs de France Inter. Ils ont un côté des progressistes, mais ils sont des injonctions paradoxales sur pattes : ils voudraient être généreux, mais en même temps, ils sont égoïstes, etc. C’est assez marrant.

Je serais un peu d’accord avec Michel Crépu : ça n’avance pas, c’est un peu toujours la même chose, il manque peut-être une intrigue un peu plus forte.

Mais François Bégaudeau écrit des phrases de malade : « Nous avons mâché en silence » ou bien « il ne pouvait rien nous arriver. Justine ne tomberait de ce troisième étage que si je la jetais »…

Cette espèce de méchanceté ! En fait, Bégaudeau, c’est une teigne. C’est une qualité chez un écrivain.”

🎧 ECOUTER | Le Masque et la plume qui évoque Yoga d’Emmanuel Carrère

Un enlèvement de François Bégaudeau, chez Verticales.

Avec :

  • Olivia de Lamberterie (Elle)
  • Frédéric Beigbeder (Figaro-Magazine)
  • Michel Crépu (La NRF) 
  • Arnaud Viviant (Transfuge) 

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