“Euro fort” : le dilemme

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SOURCE : France culture

La Banque Centrale Européenne « tout à fait attentive » au renchérissement de l’euro face au dollar : les déclarations de ce genre sont rares et soulignent l’inquiétude croissante quant à un « Euro fort » et à ses conséquences. Mais qui s’en soucie vraiment ?

Si la valeur de l'Euro augmente, le Dollar reste la principale "monnaie de réserve" mondiale : 62 % du total, contre 22 % pour la monnaie européenne. Viennent ensuite la Livre Sterling, le Yen et le Yuan.
Si la valeur de l’Euro augmente, le Dollar reste la principale “monnaie de réserve” mondiale : 62 % du total, contre 22 % pour la monnaie européenne. Viennent ensuite la Livre Sterling, le Yen et le Yuan. Crédits : Daniel Sorabji – AFP

Le seul fait que la présidente de la BCE affiche désormais publiquement une préoccupation pour la monnaie européenne rompt une sorte de tabou car le taux de change n’est pas dans le mandat de l’institution.

Le renchérissement de l’euro en hausse de 12 % face au dollar depuis mars inquiète la presse : c’est « le retour de l’Euro Fort ». Favorable ou pas ? C’est une vieille question :

L’inquiétude est normale, en bonne économie mercantiliste : elle porte sur les risques connus d’étranglement du commerce extérieur (en raison d’exportations plus chères) et réciproquement de déflation – les importations moins coûteuses faisant baisser les prix. Dilemme classique : ce qui est bon pour le pouvoir d’achat des ménages est mauvais pour la balance commerciale.

Mais pour l’Europe, le risque est plus large : l’inflation négative au mois d’août et le dépassement du seuil symbolique des $ 1,20 pour un euro sont des signaux d’alarme : en frappant les secteurs les plus sensibles (auto, aviation, tourisme), l’euro fort pourrait agir comme un boulet sur les économies européennes en pleine relance.

L’euro fort dénote d’abord un certain dynamisme de l’économie européenne

Une réactivité financière surtout, explique Valérie Mignon du Cercle des Economistes : s’il y a de la demande pour l’Euro, c’est parce que l’UE a émis des signaux de confiance : dette commune et plan de relance ; et que ses Etats affichent de meilleurs résultats budgétaires que les Etats-Unis : par exemple 17,9 % du PIB de déficit publics, contre 11 % pour la France.

En outre, l’économie européenne a de la réserve, suggèrent plusieurs analystes : au cours de sa vingtaine d’années d’existence, l’euro a déjà atteint des niveaux de change plus importants encore, jusqu’à $ 1,6 en 2008, sans empêcher la relance en Europe à l’époque.

Le Dollar en baisse : un risque de déstabilisation de l’Euro ? 

D’abord le dollar chute et renforce l’Euro aussi à cause d’une défiance croissante des investisseurs envers l’économie américaine ; défiance liée à la politique chaotique de Donald Trump mais aussi à certaines faiblesses « structurelles » dit Valérie Mignon : pauvreté, inégalité… Les lacunes sociales du système américain en somme.

Ensuite, l’implication croissante des autorités financières rompt un consensus entre banques centrales européenne et américaine qui leur interdisait d’influer sur le change. Pour le New York Times, c’est tout le dilemme de la BCE et des dirigeants européens aujourd’hui : ne pas évoquer le taux de change serait un signal inquiétant pour les investisseurs, le mentionner, c’est violer ce « pacte de non agression » avec les Etats-Unis, le « jeu à somme nulle » du taux de change libre.

Pour Olivier Passet de Xerfi, le « tournant » stratégique de la FED fin août pourrait même inaugurer une nouvelle guerre des changes : l’exportation des déflations, où chacun serait tenté d’utiliser la baisse des cours comme un avantage comparatif.

La “menace” de l’euro fort : peut-être une fausse piste ?

Philippe Crevel tente de tempérer : l’euro ne représente que 22 % des réserves de change mondiales, le dollar encore 62 % ; et il restera fort, indépendamment des « résultats macro-économiques de l’économie américaine », tout simplement à cause du poids économique et politique des Etats-Unis. Pour lui on est d’ailleurs loin de la « zone de danger », autour de $ 1,40 pour 1 €.

Dans la Libre Belgique l’investisseur Ken Fisher veut même clouer le bec à « l’euro-pessimisme » : dans une économie mondialisée aux chaînes de valeur ultra-fragmentées, les entreprises qui ont parfois des milliers de fournisseurs peuvent amortir les variations de change et l’Euro fort est « un facteur plus neutre que ne le pensent la plupart des experts ». Par conséquent poursuit-il, « l’idée selon laquelle des devises fortes sont néfastes est non seulement fausse mais également dépassée et mercantiliste ».

Ce n’est pas tout : interprétation trop dramatique des marchés et de l’humeur des investisseurs, nostalgie hexagonale des dévaluations du Franc alors que 60 % des exportations françaises sont intra-européennes : les inquiétudes sur l’euro fort sont parfois repoussées sans ménagement.

Vaut-il mieux être « Europtimiste » ?

Il faut quand même surveiller le change car l’Euro fort pourrait accroître les disparités financières européennes : six seulement des 19 pays de la zone euro ont eu une inflation positive en août et tous n’ont pas la “marque de fabrique” du made in Germany ou made in Italy pour stimuler leurs exportations.

Et puis, glisse malicieusement Ken Fisher en conseil à ses collègues, « les opposants de l’Euro fort sont nos amis » : puisque selon l’adage du prince des spéculateurs John Templeton, le pessimisme est bien le signe contre-intuitif d’un marché à la hausse et de bonnes affaires potentielles…

XM


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