Etats-Unis : crise sociale et élections présidentielles

Une crise historique 

La situation sociale et économique aux États-Unis est catastrophique à tous points de vue.

Tout d’abord, c’est le pays le plus touché au monde par la pandémie de Covid-19, avec 300 000 mort.e.s à l’heure où ces lignes sont écrites. L’épidémie a depuis le début été hors de contrôle, sans même connaitre de reflux ni de pause estivale, comme on a pu le voir pendant 3 mois en Europe suite aux confinements du printemps. En cause : l’absence de tout système de santé publique digne de ce nom. Pas de sécurité sociale permettant de prendre en charge soins, dépistages, arrêts de travail (il n’y existe aucune loi fédérale sur les congés maladie). Ce qui pousse en temps normal de nombreux/seuses Américain.e.s à aller travailler avec la grippe ou diverses affections s’est avéré désastreux face à une épidémie aussi contagieuse et virulente. Un test Covid, non pris en charge par les associations et cliniques communautaires ou l’assurance santé individuelle (30 % des américain.e.s n’en ont pas), coûte 900 dollars, et un mois en réanimation plus de    30 000 dollars, directement à la charge des patient.e.s.

La conséquence directe des confinements (décidés au niveau de chaque État), des incapacités de travail, de la paralysie des industries et des services, a été l’éclatement d’une crise économique d’une ampleur inédite depuis la Grande Dépression des années 30. Le taux de chômage est passé en quelques semaines de 5 % (taux officiel, donc sous-évalué) à plus de 25 %, et il se monte aujourd’hui à près de 40 % de personnes réellement sans-emploi. C’est le résultat de l’absence d’un dispositif de chômage partiel et technique comme il peut exister dans divers pays d’Europe, et qui a servi d’amortisseur social en mars et avril (avant les plans de licenciements massifs à l’œuvre depuis le déconfinement).

Le résultat est une montée effroyable de la misère et de la faim, un écrasement de la « Middle Class » (un concept sociologique plus large que notre petite-bourgeoise, incluant aussi bien les cadres et petit.e.s commerçant.e.s et indépendant.e.s, que les ingénieur.e.s, enseignant.e.s, fonctionnaires et ouvriers/ères syndiqué.e.s des anciens grands bastions industriels) et le quasi anéantissement de toute illusion dans le « Rêve Américain », qui avait été nourri par les années de croissance de la Guerre Froide et les gros salaires des bastions syndicaux, déjà bien mis à mal depuis les années Reagan et la crise de 2008.

Cela entraîne en retour une montée des tensions politiques, à double tranchant : d’un côté on assiste à beaucoup de luttes sociales, dont de nombreuses grèves et conflits du travail directement liés à la crise sanitaire et à l’exposition au virus dans les industries et services. De l’autre on observe de plus en plus de brutalités de groupes liés au Parti Républicain et à Donald Trump, ou même encore plus à droite (néonazis, Ku Klux Klan), qui s’ils sont minoritaires à l’échelle de la société, sont très dangereux car légalement armés par le 2ème Amendement, et qu’ils hésitent de moins à moins à faire usage de leurs armes contre le mouvement social.

Cette année a surtout été marquée par l’historique mobilisation Black Lives Matter, contre le racisme et les violences policières, suite à l’assassinat de George Floyd le 25 mai dernier à Minneapolis, par le flic Derek Chauvin, devant les caméras et avec des images relayées sur toute la planète. De 15 à 25 millions de personnes en cumulé ont manifesté et se sont affrontées avec la police pendant plusieurs semaines en mai et juin, à travers 700 villes des Etats-Unis. Et avec des répliques à l’occasion d’autres meurtres (en août à Kenosha et Atlanta, en octobre à Philadelphie, tout l’été à Portland).

Des élections au milieu de la tourmente 

C’est dans ce contexte tout à fait exceptionnel que se sont déroulées les élections présidentielles que viennent de remporter Joe Biden et le Parti Démocrate.

Un Donald Trump haï par une très grande partie de la population et discrédité jusque dans la bourgeoisie pour sa stratégie permanente de la tension et ses aspects incontrôlables (plus que pour sa politique en faveur des riches et des patrons, qui se portent très bien), a cru pouvoir jusqu’au bout bénéficier du système électoral indirect lui ayant permis de gagner en 2016 tout en étant minoritaire (3,5 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton à l’époque) ainsi que de la mobilisation de sa base chauffée à blanc.

En face, une mobilisation contre lui plus que pour Joe Biden ramène le Parti Démocrate au pouvoir, 4 ans après la fin de l’ère Obama. Un Joe Biden quasiment sans programme (si ce n’est une vague reprise édulcorée de vagues points du programme de Bernie Sanders, et qu’il ne mettra même pas en application). Il n’a eu comme seule stratégie de faire campagne contre son adversaire et en le diabolisant.

De plus, et même s’il tente de le faire oublier, c’est un homme politique professionnel, complètement pro-police (en juin, il recommandait aux flics de tirer dans les genoux des manifestant.e.s plutôt que dans leur tête), ayant fait des déclarations racistes, voté des lois d’incarcération de masse et soutenu de bout en bout la guerre en Irak. Il doit aussi faire face à des accusations de harcèlement sexuel. Quant à sa vice-présidente Kamala Harris, c’est une Afro-Américaine discréditée chez de nombreux Noir.e.s de Californie, pour son rôle de procureure générale de l’État : elle y a envoyé de nombreux jeunes Noir.e.s en prison, innocent.e.s ou auteurs/trices de délits mineurs. Et elle a systématiquement couvert et enterré les meurtres policiers sur lesquels elle enquêtait.

Il n’y a donc strictement aucune alternative à attendre du côté du Parti Démocrate. La politique pro-patronale, bourgeoise et impérialiste va continuer de plus belle. Biden ne créera pas de sécurité sociale, d’assurance chômage digne de ce nom ni ne lancera de plan d’urgence pour les services publics et les hôpitaux dévastés par la pandémie. Il ne désarmera pas la police ni se s’attaquera au racisme structurel de la société américaine.

La question est donc pleine et ouverte : de quelle façon est-il possible pour les travailleurs/euses américain.e.s d’arriver enfin à se doter à terme d’une représentation politique propre et indépendante des deux grands partis bourgeois, ce que n’a pas été capable de faire Bernie Sanders, malgré tous les aspects positifs de ses campagnes et la repolitisation importante de secteurs de la société US qu’elles ont entraîné ? Seules des luttes sociales, féministes, antiracistes, LGBT, ouvrières de masse peuvent apporter cette réponse, avec notre entière solidarité.

Appendice : explication du taux de participation

Cette année, le taux de participation est exceptionnellement élevé. Il serait de 61,8%, ce qui ne s’était pas vu depuis 1960. L’augmentation de la participation a été notée dans 43 des États américains, et de manière significative dans les États qui se sont montrés décisifs pour cette élection (11,9% pour l’Arizona, 10,4% pour la Géorgie, 9,1 % pour le Michigan). Néanmoins si ce taux de participation (rapporté à la population en âge de voter) reste très bas en comparaison de la plupart des démocraties bourgeoises, il peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, par le faible taux d’inscription sur les listes électorales, qui se fait de manière individuelle. Il n’était que de 70,3% en 2016. À ce titre, le taux de participation est élevé, mais uniquement parmi celles et ceux qui sont inscrit.e.s (86,8% en 2016). La non-inscription touche en effet de manière différenciée les diverses catégories sociales. En termes ethniques, 72,5% des Blanc.he.s sont inscrits, contre 65,3% des Noir.e.s, 38,9 % des asiatiques, et 39,2% des Hispaniques. En termes d’activités professionnelles, ce sont les chômeurs/euses qui sont le moins inscrit.e.s, seulement 63,3%. Sur le plan de l’âge, ce sont les jeunes de 18 à 24 ans qui sont les moins inscrit.e.s (seulement 55,4% contre 78,7% des 65 à 74 ans). Les facteurs explicatifs sont nombreux. Le « winner-takes-all » qui, à l’exception du Maine et du Nebraska qui eux fonctionnent à la proportionnelle, régit l’ensemble des États, fait qu’avoir la majorité permet d’emporter l’ensemble des grands électeurs, les fameux 270 qui sont nécessaires pour gagner la présidentielle. Ce système invisibilise totalement les votes minoritaires dans les états, ce qui est une garantie constitutionnelle du fonctionnellement bipartite des États-Unis. Il y a donc peu de raisons pour un.e démocrate de se déplacer pour voter dans un État fortement républicain, et inversement. Cela vaut également pour la constitution d’autres formations politiques qui ne peuvent pas avoir de représentation légale, et qui n’ont jamais pu concurrencer le parti démocrate ou républicain. Le « gerrymandering », un système complexe de découpage des circonscriptions électorales, a été pratiqué autant par les démocrates que les républicains, afin de minimiser le poids de l’opposition au Congrès (les élections ayant pour moitié lieu pendant les présidentielles). Bien que connues de tous, rien n’a été fait pour changer ces manigances. L’ensemble de ces fonctionnements institutionnels ont pour conséquence une surreprésentation des campagnes par rapport aux villes, ce qui explique que des présidents élus aient pu perdre en voix exprimées (Hayes,1876, Harrison, 1888, W.Bush, 2000, et Trump, 2016).

Un autre point important est qu’un grand nombre de barrières de classe sont mises en place pour empêcher les minorités ethniques et les pauvres de voter : les quartiers pauvres, en particulier les ghettos Noirs, sont très souvent dépourvus de bureaux de votes, et l’élection qui n’a pas lieu un jour férié représente un obstacle pour un nombre importants de travailleurs. De plus, la majorité des Etats se sont dotés de lois privant de droits civiques les repris de justice, pour des durées allant de plusieurs années à la perpétuité (comme en Floride). Dans un pays où 1 Afro-Américain adulte sur 2 est dans les filets de la justice (que ce soit par l’emprisonnement, la probation, les travaux d’intérêt général et les mises sous tutelle), et qui a le plus fort taux d’incarcération au monde, cela a pour effet d’exclure des millions de personnes du droit de vote. Et quand ça ne suffit pas, certains élus rayent tout simplement des listes électorales des quartiers Noirs entiers, comme on a pu le voir en Floride en 2 000 au cours de l’élection douteuse de George W. Bush. Comme des airs de république bananière dans la plus grande démocratie du monde…

 

 

 

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