Hausses et baisses de la TVA: quels effets sur la redistribution et les inégalités de niveau de vie ?

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SOURCE : INSEE

À court et moyen terme, une hausse de la TVA est supportée par les ménages modestes et augmente les inégalités. Pour autant, baisser la TVA resterait peu efficace pour réduire les inégalités, car il n’est pas certain que cette baisse serait intégralement reportée sur les prix, et parce qu’elle profiterait aussi aux ménages plus favorisés. Améliorer les conditions de vie des ménages modestes nécessite de recourir à des mesures plus ciblées et plus directes.

Entre le 1er juillet et le 31 décembre 2020, le gouvernement allemand a réduit le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il cherchait à relancer la consommation pour faire face à la récession consécutive aux mesures sanitaires. Au 1er janvier 2021, ces taux ont repris leurs valeurs usuelles. Les variations de la TVA ont des effets sur le niveau de vie des ménages, mais ces effets sont-ils identiques quel que soit le niveau de revenu des ménages ? Répondre à cette question nécessite d’étudier les effets redistributifs de la TVA.

La TVA représente une plus grande part du revenu des plus modestes

La TVA représente 16 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires, contre seulement 7 % pour l’impôt sur le revenu. Il s’agit donc d’un prélèvement important et qui se distingue par son caractère anti-redistributif : assise sur la consommation, elle est payée par l’ensemble de la population ; elle représente une part globalement stable de la consommation quel que soit le niveau de vie des ménages mais pèse davantage sur les revenus des ménages les moins favorisés. En effet, les ménages les plus aisés ne consomment pas l’intégralité de leurs revenus et paient donc relativement moins de TVA, car ils épargnent plus.

Une hausse de TVA se répercutant sur les prix à la consommation, elle affecte davantage le niveau de vie des ménages modestes qui consomment l’essentiel de leur revenu. Cet effet antiredistributif immédiat est atténué, mais pas annulé, par la prise en compte de l’indexation sur les prix du salaire minimum et des minima sociaux qui ont lieu les années qui suivent. Ainsi, dans un premier temps, la TVA est un prélèvement antiredistributif.

Mais quelle est l’ampleur exacte de cet effet inégalitaire ? Est-il atténué par la prise en compte d’autres facteurs que le seul effet direct sur les dépenses de consommation ?

Les effets d’ajustements à plus long terme compensent partiellement les effets de court terme

À très long terme, l’épargne a elle aussi vocation à être consommée, ce qui peut générer un paiement de TVA dans certains cas. On peut ainsi considérer que l’effet anti-redistributif d’une hausse de la TVA est en partie rattrapé sur cette consommation différée, même si certains débouchés de l’épargne des plus aisés ne sont pas imposés à la TVA.

Mais il y a également des mécanismes compensateurs à moyen-terme. Une hausse initiale des taux de TVA se traduit l’année même par une augmentation des prix des produits soumis à la TVA. Dans un second temps, les salaires et les autres revenus s’ajustent partiellement, de même que les barèmes des prestations sociales. La répercussion sur les salaires passe notamment par la revalorisation du Smic et sa diffusion aux salaires supérieurs par des mécanismes d’ajustement ou de négociations. En sens inverse, la hausse des prix à la consommation est aussi répercutée sur les loyers dont le poids est également variable entre catégories de ménages.

L’Insee a exploré l’impact cumulé de ces différents mécanismes, effets directs et certains effets différés (André et Biotteau, 2019). L’impact d’une hausse de trois points du taux normal de TVA a été simulée, les autres taux de TVA demeurant inchangés, soit une hausse initiale de 12 % de la TVA totale, à l’aide du modèle Ines développé par l’Insee, la Drees et la Cnaf.

À court-terme, l’effet direct est une baisse de 1,2 % du pouvoir d’achat du revenu disponible. Au bout de trois ans, cet effet direct de la hausse de TVA passe à -1,4 %. Il s’y ajoute une amputation de 0,1 % du pouvoir d’achat au titre des loyers. Mais ces effets négatifs sont compensés par un surcroît de 0,1 % de prestations sociales et de +0,8 % sur les salaires et autres revenus (revenus du capital, allocations chômage, pensions de retraites). Au total, la perte moyenne de pouvoir d’achat sur l’ensemble de la population est de 0,6 % à moyen terme. Ainsi, les effets différés compensent 55 % du choc initial en moyenne. Mais cette baisse représente –1,4 % sur le pouvoir d’achat des moins favorisés à la suite d’une hausse de trois points du taux normal.

Pour les 10 % les plus modestes, une baisse directe de 2,8 % de pouvoir d’achat

L’impact sur les prestations n’est sensible que pour les 30 % les plus modestes. Pour les 70 % restant, l’impact est proche de l’impact moyen : le fait que les ménages proches du revenu médian épargnent moins que les ménages les plus favorisés est compensé par le fait qu’ils bénéficient davantage des effets de diffusion des hausses du salaire minimum.

La compensation par la hausse des prestations joue un rôle beaucoup plus important en bas de l’échelle de niveau de vie, mais elle ne suffit pas à compenser l’impact direct, d’autant plus que ces ménages sont plus souvent locataires. Pour les 10 % les plus modestes, l’impact direct de la hausse des prix est une baisse de 2,8 % sur le pouvoir d’achat ; il s’y ajoute -0,4 % d’impact de la hausse des loyers. La revalorisation des salaires et des prestations sociales ne corrige ces deux effets qu’à hauteur de + 0,7 % et +1,1 % respectivement, laissant subsister une perte de pouvoir d’achat de 1,4 %. Les 10 % des personnes les plus modestes se distinguent ainsi du reste de la population par une perte relative de leur niveau de vie corrigé beaucoup plus importante.

Au total, malgré la prise en compte des effets de compensation, la TVA reste bien un prélèvement qui est légèrement inégalitaire à moyen terme, alors que tous les indicateurs d’inégalités et de pauvreté augmentent l’année de la hausse de TVA.

Les effets de la baisse de la TVA ne sont pas symétriques

Pour autant, réduire ce prélèvement est-il le meilleur instrument pour soutenir le pouvoir d’achat des moins favorisés ?

Premièrement, les effets différés à la baisse ne sont pas symétriques de ceux à la hausse : une partie des baisses de TVA peut rester captée par les producteurs et fournisseurs. Les études empiriques soulignent que généralement la diffusion à la baisse des prix est partielle voire faible.

Deuxièmement, la plus grande part de la TVA récoltée par l’État est supportée par les ménages les plus aisés, car les inégalités des revenus avant redistribution sont fortes. Malgré une épargne nettement supérieure pour les plus aisés, les montants consommés croissent eux aussi avec le revenu. Ainsi, 64 % de la TVA est portée par la moitié la plus aisée des ménages. Plus précisément, les 20 % les plus aisés s’acquittent de 32 % du total de TVA contre 12 % pour les 20 % les plus modestes. Réduire la TVA de 100 implique donc de diminuer la contribution des 20 % les plus aisés de 32.

Par ailleurs, quel que soit leur niveau de revenu, tous les ménages consomment des biens réputés de première nécessité : au-delà d’une consommation plus élevée en quantité, les ménages les plus aisés peuvent également opter pour des variétés de ces biens de prix plus élevés. Comme la TVA est proportionnelle aux prix, acheter un bien plus cher implique d’acquitter un montant de TVA en euros plus élevé.

Enfin, l’effet redistributif d’une baisse des taux réduit ou intermédiaire de TVA est limité. Il dépend des biens considérés, les produits alimentaires imposés à 5,5 % étant plus consommés par les ménages modestes alors que les services de restauration imposés à 10 % sont davantage consommés par les ménages aisés (Boutchenik 2015). Par ailleurs, les exonérations de TVA bénéficient relativement plus aux ménages modestes : elles représentent plus de 25 % de la consommation des 10 % les plus modestes contre 15 % pour les 10 % des ménages les plus aisés (André et Biotteau 2019). Parmi ces exonérations on trouve notamment les dépenses de loyer et de caution, de consultations et services médicaux, ou de services d’assurance.

Si une baisse de la TVA est bien suivie de baisses des prix, celle-ci profiterait à l’ensemble des ménages et donc également aux ménages les plus aisés. Baisser la TVA pour améliorer le niveau de vie des moins favorisés a donc un coût élevé pour les finances publiques. Une action spécifique envers les ménages aux plus bas revenus nécessite de recourir à des instruments plus ciblés.

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