🎬 La vie n’a pas de prix

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SOURCE : France culture

Faut-il sacrifier la vie des vieux pour sauver celle des jeunes ? La question, dérangeante, est à nouveau posée.

faut-il sacrifier les vieux pour sauver les jeunes ?
faut-il sacrifier les vieux pour sauver les jeunes ? Crédits : Jasmin Kämmerer / EyeEm – Getty

Alors que la perspective d’un troisième confinement nous pend toujours au nez, qu’aucun horizon de sortie de crise ne semble se dessiner en dépit de la campagne de vaccination, une petite musique se fait à nouveau entendre : faut-il sauver les vieux à tout prix, quoi qu’il en coûte ?

Il y a une semaine, chez nos camarades de France Inter, le professeur de médecine Xavier Lescure évoquait l’alternative suivante : ‘’on ne peut plus vivre sous cloche et je pense qu’on a intérêt à faire soit des confinements sur des populations extrêmement à risque, soit à admettre qu’à 80 ans, tout ce qu’on vit après, c’est du bonus. Est-ce qu’aujourd’hui, on peut encore s’autoriser ces bonus ? Je ne suis pas certain.’’ (à noter que le même Xavier Lescure a eu l’occasion de préciser sa pensée au micro de la médiatrice de Radio France)

Trois jours plus tard, sur LCI, le journaliste François de Closets, 87 ans au compteur, intervient sur le même sujet :

Moi je dis que la vie a un prix, et que ce prix n’est pas le même selon les générations ; que le prix de ma vie, la vie de gens comme moi, ça n’est pas très élevé, parce que la vie elle est derrière, il y a quelques années devant, c’est pas grand chose. Mais la vie des jeunes de 20 ans, de 40 ans, ça, c’est capital, et il ne faut pas hésiter à sacrifier la vie des plus âgés pour assurer l’avenir des plus jeunes.

Sacrifier les vieux, autrement dit accepter qu’ils meurent du Covid, pour sauver les plus jeunes : une telle approche est extrêmement dérangeante, puisqu’elle nous place devant l’hypothèse de devoir décider entre deux catégories de personnes laquelle a le plus le droit de vivre. Une sorte de ‘’choix de Sophie’’ générationnel.

En même temps, s’il faut absolument choisir, le critère d’âge parait assez logique : à 80 ans, il vous reste peut-être une dizaine d’années à vivre, tandis qu’à 20 ans, vous en êtes à peine au ¼ de votre vie.  Sachant qu’au bout du compte, la mort n’épargnera personne, autant sacrifier ceux qui, statistiquement, en sont les plus proches.

Voilà une attitude à laquelle j’étais prêt à me ranger, en cas d’absolue nécessité, jusqu’à ce que je lise les arguments de Lucy Winkett. Lucy Winkett est une femme d’église, prêtresse anglicane. Au printemps dernier, le magazine Prospect la faisait débattre avec le philosophe australien Peter Singer, grand spécialiste de la question animale. Leur dialogue est republié ces jours-ci dans le recueil ‘’21 penseurs pour 2021’’, aux éditions Philosophie magazine.

Singer défend le principe de la primauté de la jeunesse sur la vieillesse. Winkett lui répond ceci : oui, ce choix peut apparaitre raisonnable mais ‘’pour qui ou pour quoi serait-il intrinsèquement le meilleur ? Pour la société ? Pour la survie de l’espèce ? Certainement pas pour la planète.’’ Certainement pas pour la planète : avouez que ce n’est pas totalement idiot.

Mais laissons-la poursuivre : ‘si nous avions cette discussion à un autre moment de l’histoire, nous pourrions être en train de débattre de l’intérêt relatif qu’il y aurait à sauver des gens en fonction de leur couleur de peau ou de leur genre’’. La couleur, le genre, voilà bien des critères objectifs auxquels il nous paraitrait impensable de recourir aujourd’hui.

Et si malgré tout le critère d’âge doit être retenu, alors pourquoi ne pas soutenir le fait que la survie d’un individu dépend ‘’de ce qu’il a déjà réalisé et non pas de ses potentialités. De ce point de vue, une personne plus âgée serait favorisée en raison de la sagesse accumulée…sagesse grandement nécessaire pour permettre à une société de traverser une crise’’

Ce que dit Lucy Winkett, ce n’est pas que d’autres critères que celui de la potentialité du jeune âge seraient plus adaptés face à un tel choix. Pas question de privilégier qui que ce soit. Ce qu’elle dit, c’est que de tels critères sont inopérants lorsqu’il est question de vie ou de mort : ‘’les règles absolues nous donnent à tous l’illusion de la clarté…mon expérience m’a appris que cette clarté vole en éclats dans le bruit et la fureur de l’urgence vitale’’.

Bref, vouloir fixer des principes pour régler la question du choix entre deux individus ou deux catégories d’individus est aussi illusoire que dangereux. Seule certitude face à la pandémie : la vie, quelle qu’elle soit, n’a pas de prix.


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