Accord “LFI-NPA” en Nouvelle-Aquitaine : une campagne réformiste qui renforce la crise du NPA

La campagne pour les élections régionales menée par la France Insoumise et une partie du NPA en Nouvelle-Aquitaine est parfois défendue sous l’angle de la constitution d’un front unique. Nous pensons qu’il y a dans le NPA deux écueils au sujet du front unique : d’une part, celui de l’auto-proclamation sectaire qui ne cherche pas à interpeller, à s’adresser aux courants réformistes du mouvement social, et d’autre part, celui qui consiste à rechercher l’unité à tout prix, notamment celui d’une dissolution de notre identité politique dans cette unité. La recherche de l’unité doit être fondée sur des objectifs programmatiques précis qui permettent de faire avancer la conscience du fait que seule la révolution pourra nous permettre de “reprendre nos affaires en main”, tout en cherchant à s’adresser le plus largement possible. C’est parce qu’elle ouvrait la possibilité d’une troisième voie que nous avons participé à la campagne municipale de “Bordeaux en Luttes” : le rapprochement s’était fait “à la base”, c’est à dire à la fois de manière démocratique à travers la consultation des militant-e-s du NPA, mais aussi à travers la création d’un cadre collectif permettant de nourrir le débat et de tirer des bilans collectifs sur l’orientation politique du groupe. Nous discutions là avec des militant-e-s de la base de la FI et des militants des luttes “non-aligné-e-s” de Bordeaux. Ces conditions préalables ont permis de partir en campagne derrière un programme clairement incompatible avec les institutions bourgeoises, malgré des ambiguïtés dans la manière dont il a pu être défendu par les uns et les autres. Comme on pouvait s’y attendre en vue d’un front électoral sur une échelle régionale où le rapport de force n’est pas en notre faveur, c’est bien l’absence de ces conditions préalables qui nous amènent aujourd’hui à nous opposer à la liste  “On est là!”. Ce texte a pour objectif de préciser notre positionnement, tant sur la démarche que sur le fond de l’affaire.

 

________Malgré le rajout de “En Lutte” sur le logo, le titre de l’accord (“accord NPA-FI”) laisse entendre qu’il s’agirait d’un accord entre le NPA et la France Insoumise, alors qu’il s’agit d’un accord entre la France Insoumise et une fraction minoritaire du NPA en Nouvelle-Aquitaine. Les camarades ont refusé que se tienne une AG décisionnaire en Nouvelle-Aquitaine pour prendre une décision collective sur le sujet, ils affirment: “Nous refusions un échange consistant à remettre en cause l’autre, qui imposerait à l’autre une vision “majoritaire”. Il est donc difficile de considérer que cette initiative n’est pas moins “légitime” que celle qui aurait émané d’une prise de décision collective démocratique, appelée notamment par les camarades du comité d’animation de la fédération 33. Le logo “en lutte” brouille également la frontière avec Bordeaux en Luttes, qui ne prend pas part à cette campagne en tant que collectif. Une discussion sur les régionales a d’ailleurs eu lieu en interne de BEL et 11 camarades sur 14 qui se sont exprimé-e-s ont demandé à ce que BEL ne s’investisse pas dans la campagne régionale et que la liste (qui s’appelait initialement “Aquitaine en Luttes”) change de nom pour éviter toute confusion. Bien qu’aujourd’hui cet accord soit entériné par les faits, il nous semble important d’avoir a minima une discussion collective sur la région avec les camarades, qu’ils soient pour ou contre la démarche.

 

________L’accord stipule également : “Le montant de la campagne hors matériel officiel  sera plafonné à 230 000 euros avec une répartition de 25 à 30 % pour les militant.e.s NPA et le reste pour les militant.e.s LFI.” Cette clause engage donc financièrement le NPA à hauteur de 57 500 € à 69 000 €. Le parti, et pas seulement “un bout du NPA” est donc directement engagé, et au vu des montants, il est d’autant plus regrettable que le débat démocratique (et donc aussi décisionnaire) n’ai pu être mené, ni localement, ni dans les instances dirigeantes. Cette absence de vote au CPN masque donc un accord de facto d’un prêt conséquent de la majorité de la direction du NPA, alors même que la majorité n’a de cesse de reprocher aux fractions “de ne pas faire parti”. Ce soutien montre bien les deux poids deux mesures dans le soutien à des politiques bien plus fractionnelles que celles des fractions déclarées du NPA, qui n’auraient jamais été tolérées pour aucune autre.

 

________Avec Bordeaux en Luttes, l’objectif n’était pas seulement le soutien aux luttes, mais de porter collectivement une politique  radicalement incompatible avec les intérêts de la bourgeoisie. Et c’est à ce titre que Bordeaux en Luttes diffère profondément de cet accord aux régionales. L’accord préalable à la campagne avec le collectif “Bordeaux debout” donnait des garanties sur la question de la police, des frontières et mettait en avant la “réquisition” des entreprises qui licencient. Il donnait aussi cet état d’esprit par rapport aux élections : « Les élections municipales, pas plus que les autres, ne modifient le système dominant, l’ordre social que nous entendons renverser. »

 

________Ensuite, les débats sur le programme politique ont pu être menés collectivement au sein de Bordeaux en Luttes, et le texte final, adopté à la quasi unanimité (à l’exception de trois voix sur une soixantaine de camarades, dont moins de la moitié du NPA), articulait un ensemble de mesures d’urgence à la nécessité de la rupture avec le capitalisme, la propriété privée, et les institutions bourgeoises.  En revanche, l’accord qui scelle l’alliance pour les régionales a été fait par le “haut”, par un petit nombre de camarades, (dont Loic Prud’homme, député, et Clémence Guetté, militante co responsable de la plateforme programmatique de “L’avenir en commun”)  ce qui n’a pas pu suscité ces débats qui ont fait la force de Bordeaux en Luttes.

 

________ Lors de la conférence de presse de lancement de la liste, le principal ennemi identifié contre lequel la liste entend se battre est “le modèle Rousset”. Cela constitue pour nous un grand recul et un alignement sur le programme de LFI qui ne remet pas en question le capitalisme mais uniquement la manière dont il est géré, qui se résumerait à une question de paradigme (de “modèle”) ou de personnel politique. Un nouvel élément qui apparait également pendant la conférence de presse, c’est la focalisation sur le sujet du budget (donc sur la manière de gérer les institutions bourgeoises et non sur leurs remise en question) à travers la mise en avant de la richesse de la région qui permettrait de faire des choses concrètement et qu’il faudrait bien utiliser. Ce rapport de “bon gestionnaire” aux institutions bourgeoises (pour le moins hétérodoxe dans notre tradition politique) est développé à travers une dissociation de l’échelon régional de l’État central lorsque Clémence Guetté affirme “le rôle de l’Etat n’est pas une question régionale”. Pourtant c’est bien l’Etat qui autorise les pesticides dont l’interdiction serait nécessaire à l’application du programme agro-alimentaire de “On est là!”.

 

________Pour revenir à l’accord, on peut y lire : “Et si notre programme rencontre l’intérêt qu’il mérite, nous sommes prêt·es à diriger la région en appliquant nos propositions.” Cette affirmation est symptomatique d’un désaccord politique fondamental, comment peut-on croire que des révolutionnaires puissent diriger la région, sans se confronter à l’Etat bourgeois, qui combattra les propositions politiques que les camarades souhaitent porter ? Et même si nos mesures passent, la question de la dette publique, du déficit viendra se heurter au programme. Que comptent faire les camarades aux responsabilités ? Renoncer à un certain nombre de mesures, et faire preuve de “pragmatisme” comme l’a fait LFI à Grenoble, en fermant des bibliothèques et en diminuant les effectifs municipaux ? Une conquête d’avancées sociales sans le “moindre compromis sur des décisions politiques et budgétaires” n’est pas possible sans une confrontation directe avec les institutions de l’Etat, et à ce titre, l’enjeu d’une liste aux régionales n’est pas seulement d’être un relai des luttes, mais bien d’être clair que ce ne seront que les luttes et la révolution qui pourront pousser à un changement social profond, et pas l’acquisition progressive d’une majorité dans les institutions qui génère plus d’illusions que de solutions.

 

________L’accord est suffisamment flou pour qu’il soit très peu engageant, et ne peut que susciter des craintes sur les possibles recompositions au second tour. Si les discussions pour le second tour doivent se faire « sur les bases politiques de notre liste et du programme qu’elle porte ». Contrairement à l’accord préalable à Bordeaux en Luttes qui l’excluait explicitement, le texte d’accord aux régionales laisse ouverte cette possibilité : “Au soir du premier tour, des discussions ouvertes pourraient avoir lieu sur une éventuelle convergence avec d’autres listes, aux conditions qu’elles se fassent sur les bases politiques de notre liste et du programme qu’elle porte.” Cette absence de clarification est notable, lorsque l’on sait que les discussions préalables avaient été engagées entre LFI et EELV, et que ceux-ci se gardent une porte ouverte pour un accord au second tour. Ces élections régionales sont les répétitions en vue des élections présidentielles, et il aurait été d’autant plus judicieux de porter un programme clair sur les perspectives révolutionnaires, afin de formuler un discours à la hauteur des enjeux de la période, qui rendent de plus en plus évidente la contradiction entre le capitalisme, la satisfaction des besoins de la population, et la préservation de l’environnement.

 

________Bien que nous pensons que les révolutionnaires doivent chercher en permanence à convaincre le plus largement possible, en formulant des propositions concrètes face aux problèmes concrets de la vie sociale, il ne faut pas que cette préoccupation devienne un argument pour diluer notre programme dans une perspective qui laisse entendre que ce programme serait compatible avec la légalité bourgeoise car cette approche, loin de développer la conscience de classe, ne fait qu’apporter de la confusion, et ouvre la porte à une politique de canalisation institutionnelle des mouvements sociaux, dont l’expérience de Podemos en Espagne a montré les tristes résultats.

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