Crédit illustration : Olivier Roy, CNRS (Paris)

Afghanistan : deux siècles d’interventions impérialistes

Ce texte est issu d’une présentation orale sur l’Afghanistan. Il revient sur l’histoire de l’Afghanistan pour donner des éléments de compréhension des récentes évolutions du pays, la prise du pouvoir par les Talibans et l’échec de l’opération impérialiste des USA sur place.

 

L’Afghanistan en chiffres et données géographiques.

L’Afghanistan est un pays de 652 000 km² et 37 millions d’habitants situé en Asie Centrale. C’est un pays essentiellement aride et de hautes montagnes : l’Hindou Kouch y monte jusqu’à 7500 mètres.

C’est une mosaïque de cultures et de peuples : les Pachtounes (peuple également présent au Pakistan) et parlant le pachto (une langue iranienne) et les Tadjiks (parlant le dari, apparenté au persan) y sont majoritaires. Le reste de la population se compose d’Hazaras (de confession chiite, dans un pays essentiellement sunnite, vivant dans les montagnes du centre), de Turkmènes, d’Ouzbeks, de Baloutches et de Kirghizes.

Son économie est dominée par une agriculture de subsistance. 85 % des Afghans sont paysans. Le pays était un gros producteur de fruits avant 1979, mais les guerres ont détruit cette économie au profit de la culture du pavot, qui sert à produire aussi bien l’héroïne destinée au narcotrafic que la morphine et ses dérivés entrant dans les médicaments. 90 % de la production mondiale de pavot se trouve en Afghanistan. L’industrie est quasiment inexistante, en dehors du textile pour la production de tapis. Le pays est riches en ressources gazières, métaux et pierres précieuses, mais qui demeurent largement sous-exploitées en raison de la situation de guerre permanente. Des pipe-lines passent à travers l’Afghanistan pour acheminer le pétrole des républiques d’Asie Centrale vers l’Inde (des entreprises Américaines ont des concessions dessus). Mais le pays en lui-même demeure essentiellement sous-développé, même d’un point de vue capitaliste.

 

Un pays charnière.

De par sa situation géographique tampon, l’Afghanistan a toujours été pris entre différents empires et intérêts géopolitiques.

Alexandre le Grand l’avait découvert et intégré à son empire. Il existe d’ailleurs des vallées Afghanes isolées et difficiles d’accès où la population est de morphotype Européen et Blanc, comme au Nouristan, dont les habitants descendent en grande partie des soldats d’Alexandre.

Le pays existe de manière formelle depuis 1747, date de son indépendance de l’Empire Perse.

Dés le début du XIXème siècle, il devient une convoitise pour les empires Russes et Britanniques en pleine expansion, rivalité que l’on va nommer le Grand Jeu.

En 1801, le tsar envoie 30 000 Cosaques à la conquête des steppes d’Asie Centrale. L’Afghanistan est vue comme la porte d’entrée sur l’Océan Indien, qui permettrait à l’Empire Russe d’enfin obtenir un accès à des mers qui ne sont pas prises dans le gel.

De son côté, l’Empire Britannique, qui vient de conquérir les Indes, s’inquiète d’une percée russe sur sa frontière. En 1839, une mission diplomatique et militaire est envoyée à Kaboul, avec pour objectif de préparer la colonisation de l’Afghanistan. L’émir Afghan Dost Mohammad est renversé, et les Anglais installent sur le trône leur favori, Châh Choudja. En novembre 1841, la population de Kaboul, excédée par l’occupation anglaise, et particulièrement par le comportement de l’ambassadeur britannique Alexander Burnes, qui se livre à des orgies sexuelles en compagnie de femmes Afghanes dans sa villa, se soulève et assassine ce dernier. Sentant que la situation est incontrôlable, les 16 000 soldats Anglais, Indiens, leurs familles et personnels, se retirent de la ville et prennent le chemin de la passe de Khyber (défilé montagneux à l’importance stratégique historique, à la frontière avec le Pakistan), en janvier 1842. Dans l’hiver glacial, harcelée par les tribus de montagnards, l’armée Anglaise est anéantie à la bataille de Gandamak : il n’y aura qu’un seul survivant, le médecin William Brydon. L’Angleterre quitte l’Afghanistan sur la plus grande défaite de son histoire, et n’y remettra pas les pieds pendant 40 ans.

L’Empire Britannique revient à la charge en 1878. A l’issue de 2 ans de guerre, et malgré une défaite initiale écrasante à la bataille de Maiwand (pour les amateurs de littérature Anglaise, cet événement est évoqué dans les aventures de Sherlock Holmes), c’est une semi-victoire pour l’impérialisme : un protectorat est mis en place, la politique extérieure (diplomatie et affaires militaires) de l’Afghanistan tombe sous la coupe des Britanniques, qui renoncent toutefois à véritablement coloniser le pays.

En 1919, à la fin de la Première Guerre Mondiale, une troisième guerre Anglo-Afghane aboutit à la réelle indépendance du pays. Une monarchie se met en place. Elle durera jusqu’en 1973.

Cette année la, un coup d’État renverse le roi Zaher Shah. Mohamed Daoud Khan prend la tête de la République d’Afghanistan, soutenue par l’URSS, qui y développe son influence depuis les années 60, conjointement aux Etats-Unis, par la construction d’infrastructures telles que routes, barrages, tunnels. Le régime de Daoud Khan va toutefois s’autonomiser progressivement de la tutelle Soviétique. Réprimant sauvagement les opposition politiques, il est renversé le 27 avril 1978 par la Révolution de Saur : craignant d’être victimes d’un futur massacre, le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan, le PDPA (le Parti Communiste local) mène un coup d’État préventif. Ces événements prennent complètement de court la diplomatie de l’URSS et les renseignements du KGB, qui ne l’avaient pas vu venir, et dont les intérêts se retrouvent bousculés, considérant que le pays n’est pas mûr pour un pouvoir communiste.

D’autant que le PDPA se retrouvé divisée en 2 fractions rivales : le Khalk, à la radicalité ultra-stalinienne plus prononcée, et le Parcham, vu comme plus modéré par les Soviétiques. Le Khalk au pouvoir se lance dans une fuite en avant délirante. Une réforme agraire est imposée par en haut. Les paysans voient débarquer dans leurs villages des étudiants de Kaboul pour leur expliquer qu’une réforme agraire a collectivisé leurs terres, alors qu’aucun réseau d’irrigation n’a été mis en place pour faire face à la sécheresse et la famine, et qu’aucune infrastructure permettant une réelle sortie de la pauvreté n’est prévue (ni électricité, ni routes, ni hôpitaux, ni moyens de communication). Cerise sur le gâteau : la fermeture arbitraire des mosquées et la répression sanguinaire de tout signe de croyance religieuse (des milliers de personnes sont envoyées en prison, torturées et assassinées pour un voile ou une barbe), dans un pays musulman très conservateur, met le feu aux poudres.  Un soulèvement populaire se produit dans les campagnes, dont une ville comme Kaboul est profondément coupée. Le tout sur fond de 3 coups d’Etats en 1 an et demi entre les deux fractions rivales. Sentant que la situation est incontrôlable et ne pouvant pas tolérer une instabilité à ses frontières, l’URSS se résout à une intervention militaire envisagée de longue date. D’autant plus qu’en 1979, la Révolution Iranienne et ses possibilités de contagion régionale inquiètent Moscou. L’aide discrète mais réelle du Département d’État Américain au soulèvement populaire contre le PPDA joue aussi dans la décision d’engagement militaire de Leonid Brejnev.

Le 24 décembre 1979, les forces spéciales Russes débarquent à Kaboul, assassinent Hafizullah Amin, le leader du PPDA, et le remplacent par leur pion Babrak Karmal. Le 27 décembre, 20 000 soldats Soviétiques franchissent la frontière et prennent le contrôle de Kaboul. Un mois plus tard, ils seront 80 000.

Quarante années de guerres.

Intervenus en Afghanistan pour ce qui s’apparente à leurs yeux à une opération de maintien de l’ordre dans leur pré carré, les dirigeants Soviétiques ne s’imaginent pas qu’ils vont y rester longtemps. Les combats sont d’abord peu nombreux jusqu’en mars 1980. Mais lorsque l’Armée Afghane, mise en place par les Soviétiques, déserte en masse (la moitié des soldats s’enfuit dans les premières semaines de 1980), et que la colère contre l’occupation se transforme en soulèvement populaire, l’Armée Rouge se retrouve engagée directement. C’est le début de 9 ans d’une guerre d’une brutalité sans nom, n’ayant rien à envier à l’Algérie et au Vietnam. 120 000 soldats Soviétiques se retrouveront en Afghanistan au plus fort du conflit, 650 000 en tout y serviront, majoritairement des jeunes conscrits envoyés y faire leur service militaire. Pour combattre les moudjahidines, l’Armée Rouge et ses supplétifs Afghans se livrent à une contre-insurrection sanguinaire : bombardements massifs des villages et des terres, ratissages de population, minage, utilisation de gaz de combat, évacuations forcées, enlèvements et tortures par les services de renseignement militaires. Livrés a eux-mêmes dans un conflit asymétrique, sans adversaire identifiable ni front (toute la population ou presque étant légitimement contre eux) ; cantonnés dans des conditions inhumaines dans des avant-postes sans eau, avec une nourriture infecte, sans soins médicaux (les 2/3 de l’Armée Rouge souffriront de maladies infectieuses graves : typhoïde, hépatite, paludisme, tuberculose), les soldats Soviétiques se livrent à toutes les exactions habituelles d’une guerre impérialiste : exécutions sommaires, pillages, enlèvements, viols. Le tout sur fond de décomposition des troupes face une consommation généralisée de drogues et d’alcool.

D’abord complètement cachée à la population de l’URSS, cette guerre qui ne dit pas son nom va  finir par être contestée à partir de 1985, lorsque la levée de la censure dans le cadre de la Perestroïka de Gorbatchev, cumulée au retour au pays de milliers de soldats dans des cercueils de zinc, déclenche la colère de la population. Un Comité des Mères de Soldats se met en place, des rassemblements ont lieu sur la Place Rouge, des interpellations publiques de responsables politiques et militaires se produisent. De plus, facteur majeur, l’effort économique colossal que demande ce conflit, à savoir 2 milliards de dollars par an dans un pays en crise dès avant 1979, et ce alors que les supermarchés sont vides et les pénuries la norme, devient insoutenable. Le pari lancé par Reagan de lancer une course à l’armement, notamment en équipant de plus en plus massivement le soulèvement Afghan, ne peut pas être gagné par l’URSS.

Le 15 février 1989, les derniers chars de l’Armée Rouge quittent l’Afghanistan, sur une défaite lourde et un bilan désastreux : 1 million d’Afghans, essentiellement des civils, sont morts. Plus de 8 millions se retrouvent en exil intérieur et extérieur. Le pays est détruit, ses terres minées, sa société atomisée. 26 000 soldats Soviétiques sont morts, 75 000 blessés, plus de 450 000 malades, un nombre incalculable de malades psychiatriques, toxicomanes, désocialisés, de suicides. C’est le clou sur la tombe de l’URSS, qui s’effondrera moins de 2 ans plus tard.

En partant, les Soviétiques laissent en place le PDPA et son leader, Mohamed Nadjibullah. Il fait aussitôt face à des offensives des leaders moudjahidines qui cherchent à le renverser, mais qui se font aussi la guerre entre eux. Les moudjahidines, avec parmi eux le fameux commandant Massoud tant vanté en Occident, investissent Kaboul en 1992, s’y affrontent de façon sanguinaire au milieu de la population, et renversent le PDPA.

Profitant du chaos, un mouvement millénariste et issu des madrasas (les écoles coraniques) des camps de réfugiés au Pakistan, les Talibans, réussissent à tirer leur épingle du jeu et prennent le pouvoir en 1996. Ils y instaurent une dictature théocratique délirante, avec une chape de plomb sur les femmes (privées de tout, y compris de soins médicaux) et sur toute vie sociale (interdiction de la photographie, de la télé, et même des cerf-volants!). Ils garderont le pouvoir jusqu’en 2001.

Cette année-là, un tournant historique se produit. Prenant prétexte des attentats du 11-Septembre , et accusant le régime Taliban d’être derrière par complicité avec Al-Qaida, le réseau d’Oussama Ben Laden, les Etats-Unis interviennent en octobre 2001, soutenus par une coalition militaire de l’OTAN (dont la France et le Royaume-Uni). Ils renversent les Talibans, pour y placer un régime fantoche dirigé par Ahmid Karzaï. C’est le début d’un nouvel engrenage et enlisement militaire : portés par la doctrine néoconservatrice professant qu’ils doivent eux-mêmes y construire la démocratie (du moins leur vision assez particulière de ce concept), les Etats-Unis décident de rester pour y mettre en place le nouvel Etat Afghan. On se souvient aussi de l’instrumentalisation grossière des droits des femmes à l’œuvre dans cette croisade : les Etats-Unis et ses alliés intervenaient pour parait-il défendre les droits des femmes. Comme s’il était possible de les faire valoir au travers d’une occupation militaire, de la mise en place d’un régime ultra-corrompu et de bombardements de civils. Derrière les prétextes officiels, des évidentes motivations géostratégiques de redéploiement de l’impérialisme, aux portes d’une Chine émergeant comme une superpuissance et d’une Russie toujours présente, ainsi que la possibilité pour les multinationales US de signer des contrats astronomiques, notamment via les pipe-lines d’Ouzbekistan.

Cette intervention aura duré 20 ans et coûté 2 200 milliards de dollars (la plus longue et plus chère guerre de l’histoire des Etats-Unis). 2 700 soldats US y auront perdu la vie, ainsi que 160 00 Afghans, civils pour la plupart. Le retour des Talibans, pacté avec Donald Trump en 2020, et dont l’orientation ultra-réactionnaire et la volonté d’écraser les timides droits obtenus par les femmes Afghanes depuis 20 ans ne font aucun doute, sont le point final d’une page qui se tourne, celle d’une certaine forme d’intervention impérialiste. La défaite de la coalition, menée par les américains, permet également le retour de la Russie dans la région, ainsi que l’émergence de la Chine sur la scène locale. En échange « d’une stabilité du régime », Pékin s’engage à la reconnaissance du gouvernement des talibans. Il s’agit d’une part pour la Chine de limiter le risque de contagion de mouvements nationalistes et religieux parmi sa population musulmane (Ouighours), notamment dans le Xinjiang limitrophe, et d’autre part de sécuriser les réserves de ressources, de bauxite, de chrome, de mercure, de cuivre, d’or, de pierres précieuses, de pétrole, de gaz… mais surtout de métaux rares, graphite, cobalt, lithium, composants nécessaires à la fabrication des véhicules électriques, et autres nouvelles technologies de la transition énergétique. Il s’agit moins pour la Chine de développer les capacités d’extraction, ou du moins, dans un premier temps, que de s’assurer que ces mines ne seront pas exploitées, notamment par les Etats Unis, afin que la Chine conserve son quasi monopole sur ces ressources, nécessaires aux technologies vers lesquelles la Chine a axé son développement ces dernières années. Cette défaite Américaine permet à la Chine de continuer à développer son projet des « Nouvelles Routes de la Soie » dans l’Asie Centrale.
L’impasse de 40 ans de guerres impérialistes est totale, notre solidarité avec le peuple Afghan et ce qu’il va devoir continuer à affronter est entière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

Documentaires :

– La Guerre Froide : l’Armée Rouge (Arte, 2021)

https://www.youtube.com/watch?v=GDVNnufbpNk&list=PLCwXWOyIR22u7zWLFpOIcKDlOArePorSc&index=9

 

– Afghanistan, les soldats perdus de l’Armée Rouge (Arte, 2021)

https://www.youtube.com/watch?v=ShF9QSxD-7A

 

– Les Talibans à Kaboul : civils en danger (Arte, 2021)

https://www.youtube.com/watch?v=PNBc3m1T8Jg

 

 

– Tu enfanteras dans le chaos (Arte, 2021)

 

https://www.youtube.com/watch?v=E2-bFAsnKuQ&t=4s

 

 

– Afghanistan : 40 ans de conflit en cartes

 

https://www.youtube.com/watch?v=HQq3lAqYaC0

 

 

– Afghanistan, pays meurtri par la guerre : 4 documentaires sur 60 ans d’histoire du pays

(Arte, 2021), dispo jusqu’au 11 octobre sur le site d’Arte

 

https://www.arte.tv/fr/videos/081554-001-A/afghanistan-pays-meurtri-par-la-guerre-1-4/

 

 

 

– « Un tournant : le 11-Septembre et la guerre contre la terreur », documentaire de Netflix en 6 parties sur les 20 écoulés depuis le 11-Septembre

 

https://www.youtube.com/watch?v=NqgNFGkOjBE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Films :

 

– « L’homme qui voulut être roi », sur le colonialisme Britannique en Afghanistan (John Huston, 1975)

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Homme_qui_voulut_%C3%AAtre_roi_(film)

 

– « L’étoile du soldat », sur la guerre Soviéto-Afghane (Christophe de Ponfilly , 2006)

 

 

 

Livres :

 

– « Le Grand Jeu », sur la rivalité entre Russes et Britanniques pour le contrôle de l’Afghanistan au XIXème siècle (Peter Hopkirk, 1990)

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_Jeu_(livre_de_Hopkirk)

 

 

– « Les cercueils de zinc », de Svetlana Alexievitch (1989), une suite de témoignages de soldats Russes et de leurs familles sur la guerre en Afghanistan

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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