Article initialement publié sur le site du NPA.
Il est vraiment ironique que celles et ceux qui en temps normal disent n’attacher aucune valeur aux élections, qui en temps normal nous reprochent de céder au jeu politique institutionnel, soient précisément les mêmes qui à la dernière minute, sacrifiant tous leurs grands principes sur l’autel des calculs politiques les plus cyniques, appellent à voter Mélenchon et dénoncent le vote Poutou ! Les plus gauchistes marchent alors main dans la main avec les plus réformistes. En réaction, quelques démontages des faux argumentaires qu’on peut entendre en ce moment.
Vote utile contre vote de principe ?
Voter NPA serait se maintenir dans un vote de principe, idéaliste, et qui n’a pas d’utilité. À l’inverse, voter Mélenchon serait la marque d’un pragmatisme bien compris. Tout d’abord il faut souligner combien cet argument du vote utile est à géométrie variable. Quand Mélenchon a quitté le PS pour monter sa propre formation, le parti de gauche, et avant la présidence Hollande et l’effondrement du PS, c’est le PS qui lui opposait le vote utile. Et lui de répondre alors : « Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs : s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Mme le Pen qui va passer »1 . Maintenant que cette rhétorique sert Mélenchon, ses soutiens peuvent la reprendre : deux poids, deux mesures !
Ensuite, contre la rhétorique du vote utile, il faut réaffirmer la nécessité des principes en politique. Cela a été abondamment commenté, la candidature Poutou a été essentielle pour défendre des choses qui n’auraient jamais été dites sinon pendant les présidentielles, y compris par Mélenchon : que la police tue, que l’accueil inconditionnel des migrantEs et l’ouverture des frontières ne se négocient pas, que notre solidarité va aux peuples et ne repose pas sur une quelconque confiance en l’ONU… Et proposer en positif un autre projet de société : qu’il faut un contrôle ouvrier de la production, une socialisation de la reproduction, le pouvoir aux exploitéEs et aux oppriméEs. Cette candidature était là pour défendre des grands principes qui de plus en plus disparaissent dans le cadre d’une élection extrême-droitisée, ainsi qu’une stratégie révolutionnaire et un programme de société alternatif au capitalisme. Et bien sûr, c’est une bonne chose, c’est même essentiel. Il ne s’agit donc pas de « parader » pour obtenir de maigres suffrages, mais de faire de la politique. L’aurait-on oublié ? La politique se fait en partie avec des idées. Et les idées ont une influence sur la situation, elles ont une forme de matérialité, ce qui explique que la lutte idéologique, même si elle ne se suffit pas à elle-même, est déterminante dans la lutte sociale globale.
Encore aujourd’hui, à quelques jours des élections, la candidature Poutou incarne le maintien d’un cap, y compris dans la tempête. Alors que le phénomène Mélenchon grossit, alors que la possibilité qu’il passe au second tour grandit, on voit de plus en plus de militantEs « radicaux » qui basculent. Et bien, le NPA est le parti qui lorsque tout le monde cède aux sirènes du réformisme maintient sa position initiale : 1/ Il n’y a pas de solutions dans les élections. 2/ Le réformisme au pouvoir n’aura aucun pouvoir.
Voter NPA serait irresponsable.
Mais qu’est-ce qui est irresponsable ? Faire croire aux gens que les élections changent un rapport de force, que Mélenchon au pouvoir sera en mesure de mener sa politique ? Ou au contraire dire la vérité : que même si cela est tentant, il n’y a pas de solutions par les urnes, il n’y a pas de raccourci car il n’y a pas de sauveur suprême ? Toute l’histoire politique de ces dernières décennies le démontre : le réformisme ne peut fonctionner. Pas par mauvaise volonté, pas par trahison, mais parce que dans le cadre capitaliste, il n’est possible que de jouer selon les règles du jeu capitalistes. France, 1981. Mitterrand au pouvoir lance une politique de relance keynésienne. Les capitalistes réagissent par une fuite des capitaux et une spéculation à la baisse sur le franc. Si elle a un impact positif sur la croissance dans un premier temps du fait d’une augmentation de la consommation, la relance se solde par une inflation et un déficit commercial important, en partie parce qu’elle ne parvient pas à faire repartir l’investissement que seul un rétablissement du taux de profit peut réellement redresser à long terme. Résultat en 1983, c’est le tournant de la rigueur et la fin de toutes les illusions de réforme du système. Grèce, 2015. Syriza, soutenue par une partie de l’extrême-gauche et en France par la FI, remporte les élections législatives. Mais que se passe-t-il alors ? La BCE coupe les liquidités d’urgences qui étaient fournies aux banques grecques en difficulté, et les taux d’intérêts de la dette de l’Etat grec flambent. Si bien que malgré la victoire du non dans le référendum qui a été organisé auprès de la population pour savoir s’il fallait au non faire passer le plan d’austérité de la troïka (UE, BCE, FMI), le gouvernement Tsipras se rend aux mesures d’austérité contre le choix démocratique. Autre exemple, celui-ci bien actuel car au pouvoir actuellement : en Espagne, depuis janvier 2020, une coalition PS-PC-Podemos est au pouvoir, avec un programme pas très éloigné de celui de l’Union Populaire. Deux ans et demi après, le constat est clair : au nom du réalisme et du nécessaire maintien de la coalition gouvernementale dirigée par le PS, ainsi que du respect des critères Européens de 3 % de déficit, Podemos n’a pas pu mener la politique promise, au contraire, tout continue comme avant.
Quand en a-t-il été autrement ? Une seule conclusion s’impose : quand les réformistes sont au pouvoir, ils et elles n’ont que trois choix :
1/ ou abandonner et abdiquer le pouvoir
2/ ou mener la politique capitaliste à contre-coeur (c’est ce qu’ils font la plupart du temps)
3/ ou mener enfin une politique révolutionnaire ! (et donc cesser d’être réformistes)
C’est pourquoi nous sommes révolutionnaires. Paradoxalement, la solution révolutionnaire est plus réaliste que la solution réformiste. Dans le capitalisme, il faut jouer selon les règles capitalistes. Mais si on veut d’autres règles du jeu, alors il faut renverser le capitalisme. La seule réponse à une situation politique dégradée est la reconstruction d’un rapport de force par les mouvements sociaux. Il n’y a pas de raccourcis électoraux, aussi tentants soient-ils. Au contraire, l’arrivée du réformisme au pouvoir, son nécessaire échec, peuvent mener à une profonde démoralisation dont on peut mettre des dizaines d’années à se remettre. D’où l’importance de maintenir une position ferme et claire d’ailleurs, sinon plus d’alternative à la démoralisation.
Voter NPA serait un luxe.
Mais alors, nous dit-on encore, voter NPA serait un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre, en particulier les personnes racisées et/ou celles particulièrement précarisées par des années de néolibéralisme. Il faut faire barrage à Macron, il faut faire barrage à Le Pen, il faut faire barrage au fascisme. Cette position est bien sûr compréhensible. Mais en quoi Mélenchon au 2ème tour permettrait-il de faire barrage ? Il est présenté perdant quoi qu’il arrive. S’il fait barrage à Le Pen pour ces présidentielles, cinq ans de politique néolibérale auront tôt fait de l’y mettre aux prochaines élections.
Serait-ce alors par sa simple présence au 2ème tour, qui serait une victoire symbolique, qui redonnerait espoir à notre camp social, et ferait perdre des points au fascisme ? Mais quand historiquement a-t-on vu une reconversion d’une vote électoral en mobilisation sociale ? C’est bien plutôt l’inverse qu’on constate, des mobilisations de masse qui se traduisent en partie dans un vote. « Mélenchon dans les urnes et Poutou dans la rue », ça n’existe pas. En sens inverse, oui, mais dans ce cas, les élections servent avant tout à canaliser un rapport de force qui aurait pu aussi bien déboucher sur une révolution.
Alors, entend-on, au moins sa présence au deuxième tour aura un effet symbolique bénéfique de faire diminuer le racisme et l’islamophobie, même si elle ne provoque pas un sursaut. Malheureusement, c’est probablement également un calcul erroné. Au contraire, les frayeurs que peut avoir la bourgeoisie, même du réformisme modéré d’un Mélenchon, peut la pousser à toutes les extrémités. Souvenons-nous : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ». « Plutôt Le Pen que Mélenchon », dit Raphaël Enthoven. Des circonstances où Mélenchon a pu représenter un danger et quand même connaître une défaite pourraient tout aussi bien constituer le terreau d’une recrudescence du racisme, de l’islamophobie et du fascisme en France. Il n’y a donc aucune garantie non plus de ce côté-là.
En guise de conclusion
En fait, dans l’argumentation des défenseurs du vote Mélenchon, on oscille en permanence entre une maximalisation des effets du vote et une minimalisation de ce dernier. Tantôt on le minimise : ce n’est qu’un vote tactique, il ne faut pas lui apporter grande importance, vous êtes puriste de le refuser, et de toute façon il faudra lutter dès le lendemain du vote. Tantôt on le maximalise : c’est ce vote qui permettra de changer la situation en France, qui sera le barrage au fascisme, la reconstruction de la gauche en France. Il faudrait savoir ! Un vote est-il puissant ou est-il faible ? En tout cas, on ne peut pas jouer sur les deux lignes argumentatives à le fois. De la même façon, la situation est alternativement présentée comme terrible, l’ensemble des mouvements sociaux sont décomposés, seul le vote pourra nous sauver. Et alternativement : ah, mais nous n’avons aucune illusion dans le vote, même si Mélenchon passe au 2ème tour ou est élu, il faudra se mobiliser. Mais qui se mobilisera si les mouvements sont décimés ? Là encore il faut savoir comment on analyse la situation, mais elle ne peut être présentée alternativement sous son pire jour ou au beau fixe en fonction des arguments avancés.
Le NPA ne se présente pas dans ces élections pour défendre sa petite boutique, mais pour défendre ses idées. Il n’appelle pas à voter Mélenchon, non pas spécialement pour appeler à voter NPA, mais parce qu’il n’a aucune illusion sur les marges de manoeuvre de Mélenchon et qu’il préfère défendre une réalité difficile que donner des faux espoirs qui mènent à une démoralisation encore plus certaine. Nous ne pourrons faire l’économie de mouvements de masse et d’une sortie du capitalisme. Nous n’avons pas le choix que de croire en notre propre force. Certes, cela est plus difficile dans les périodes de reflux que dans les lendemains qui chantent. Mais le rôle d’un parti comme le NPA est précisément de tenir dans ce genre de période et de donner un espoir, non pas immédiat et vain, mais plus profond et plus solide : c’est par nos mobilisations, par notre auto-organisation que nous pourrons renverser le rapport de force actuel. Les élections à ce titre obscurcissent profondément les enjeux. Et c’est ce qu’un Gambetta avait bien compris : « Comment ne voyez-vous pas qu’avec le suffrage universel », disait-il, « vous avez là un moyen de terminer pacifiquement tous les conflits, de dénouer toutes les crises, et que, si le suffrage universel fonctionne dans la plénitude de sa souveraineté, il n’y a plus de révolution possible, parce qu’il n’y a plus de révolution à tenter, plus de coup d’État à redouter quand la France a parlé ? ». Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire un usage tactique des élections, mais qu’il faut se souvenir qu’une tactique, quand elle est systématique, s’appelle une stratégie.
1. Source : https://www-sudouest-fr.cdn.ampproject.org/v/s/www.sudouest.fr/politique/jean-luc-melenchon/jean-luc-melenchon-le-vote-utile-est-une-camisole-de-force-9232229.amp.html?amp_js_v=a6&_gsa=1&usqp=mq331AQKKAFQArABIIACAw%3D%3D#aoh=16491776096138&csi=1&referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com&_tf=Source%C2%A0%3A%20%251%24s&share=https%3A%2F%2Fwww.sudouest.fr%2Fpolitique%2Fjean-luc-melenchon%2Fjean-luc-melenchon-le-vote-utile-est-une-camisole-de-force-9232229.php